Billet de blog 23 février 2009

Christine Marcandier (avatar)

Christine Marcandier

Littérature

Journaliste à Mediapart

Le nouvel amour

« Il n’y a de roman que d’amour ». Cette phrase de Philippe Forest est-elle un clin d’œil à Robert McLiam Wilson et son sublime « Toutes les histoires sont des histoires d'amour », incipit d’Eureka Street ?

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Littérature

Journaliste à Mediapart

« Il n’y a de roman que d’amour ». Cette phrase de Philippe Forest est-elle un clin d’œil à Robert McLiam Wilson et son sublime « Toutes les histoires sont des histoires d'amour », incipit d’Eureka Street ?

Pas forcément. Il n’est surtout de récit que de passion, selon Philippe Forest, la passion comme emportement, ivresse des sens et souffrance. D’Alice à Lou, d’Alice et Lou à Lucie, en revenant à Lou, le roman sonde la mécanique du temps, la marche du sentiment amoureux, dans ses atermoiements, ses embrasements, ses doutes et ses petits arrangements.

L’auteur est ici narrateur, personnage, écrivain mettant en abyme la genèse de son texte. Il dissèque, analyse, interroge. Revient sur les petits faits vrais comme les envolées du désir.

Tout part d’un deuil, absolu, irréparable, comme tous les autres romans de Philippe Forest : la mort de sa fille de trois ans, Pauline. Comment survivre ? Comment vivre quand on a fait l’expérience du néant, de « tout le chagrin du monde » ?

Son couple avec Alice n’y résiste pas et l’auteur pense que plus rien, désormais, ne peut plus lui arriver, que le désir est mort, que son existence est vouée au présent, vide, « sans avenir ».

Pourtant « le temps travaille » et un jour vient le vertige. « Ce vertige, on l’appelle : aimer ».

Tout le propos de ce roman est alors de tendre vers le recommencement, l’absence de point final.

Les pages que Philippe Forest consacre à la naissance du nouvel amour sont extraordinaires. Poétiques et crues, cérébrales et sexuelles, saisissantes. La manière dont il décrit sa redécouverte, le vertige de savoir aimer encore, faire l’amour, trouver le sel de la vie, sont denses, poignantes. Sa volonté de dire l’intimité, du plus cru au plus scandaleux, étonnante.

Puis le livre se perd. L’analyse ronfle, tourne en rond. Le refrain du « nous n’en aurions jamais fini » tourne à la rengaine creuse, les scènes d’écrivain au travail à la caricature. Les « personne ne dit jamais rien du », « j’écris ces choses non parce que je les pense uniques (…) mais parce que je ne les ai jamais lues dans un roman », « dont aucun romancier n’a jamais le courage », réitérés, ne font pas office de réelle originalité ou singularité.

Et on finit par se demander si tout n’est pas que pose. Si Forest ne nous a pas pris au piège de l’intimité, pure façade, de l’autofiction, pure construction. Si son narrateur ne vit pas que pour écrire, si un portrait à charge ne percerait pas sous l’apparente analyse bienveillante. La platitude de se mettre à écrire pour « résoudre l’énigme », « savoir le dernier mot » de l’histoire, est-elle la déconstruction d’un poncif ?

On reste avec ses questions, c’est insoluble. Or c’est sur cette frontière que repose la différence entre un roman et un grand roman. A chacun de décider.

Demeure l’absolu équilibre du début de roman, sa poésie saisissante, ses phrases stupéfiantes, au sens surréaliste du terme, Lou étant pour une part la Nadja de Forest, une Crazy également, une essence de féminité littéraire. Demeurent de très belles – ou très plates – analyses du sentiment amoureux :

« Dans toute histoire d’amour, il y a ce point d’équilibre où l’on se tient un seul instant, dont ensuite reste à jamais la nostalgie, et à partir duquel on surplombe soudain tout le temps de sa vie. Le passé semble alors tout entier derrière soi. C’est à peine s’il a jamais existé ».

Le nouvel amour, du côté de Narcisse, déceptif pour le personnage. Pour le lecteur également.

CM

Philippe Forest, Le nouvel amour, Folio, 2009, n° 4829, 5 € 50