Billet de blog 23 juin 2009

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Le fascisme à la sauce sicilienne

Privé de titre, le dernier roman d'Andrea Camilleri paru en poche raconte la construction du premier martyr fasciste de la Sicile. "Construction", car il s'agit bien d'une élaboration virtuelle des faits qui permet au parti d'utiliser la mort stupide d'un de ses militants pour en faire une victime politique. 

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Privé de titre, le dernier roman d'Andrea Camilleri paru en poche raconte la construction du premier martyr fasciste de la Sicile. "Construction", car il s'agit bien d'une élaboration virtuelle des faits qui permet au parti d'utiliser la mort stupide d'un de ses militants pour en faire une victime politique.

C'est dans les ruelles du bourg de Caltanissetta, la nuit du 21 avril 1921, que le jeune fasciste Lillino Grattuso se ramasse une balle de revolver. La Sicile, comme le reste de l'Italie, vit au rythme des grandes manifestations idéologiques. Fascistes, socialistes, communistes, agitent leurs drapeaux, leurs bannièrens et se tombent dessus à chaque coin de rue. Toutefois, les cartes ont déjà été distribuées et la faction de Mussolini est en passe de l'emporter. De nombreux membres du parti aux chemises noires sont déjà présents dans l'appareil judiciaire, adminstratif, législatif et exécutif. Ils constituent autant de voix, de personnages relayés par le roman, qui contribuent à l'édification virtuelle de Lillino au rang de martyr.

La dimension comique du roman est surtout due à la langue dans laquelle s'exprime Camilleri. Il faut noter au passage l'important travail de traduction réalisé par Dominique Vittoz pour rendre compte du langage fleuri et imagé de l'auteur sicilien. Des expressions du type le crâne nu comme un nez de magistrat ou encore on peut toujours siffler quand l'âne veut pisser émaillent le texte pages après pages en lui donnant un côté humoristique. C'est ce même humour qui permet à Camilleri et au lecteur de se déprendre des événements relatés. Le fascisme, sous le soleil pesant de la Sicile a une dimension théatrale et tragique. Il y a quelque chose de la tragédie antique qui se rejoue ici. Mais plutôt à la manière d'Aristophane que de Sophocle : le ton est grinçant, les personnages sont à la fois burlesques et pathétiques. Annecdotes et petites aventures dignes de Don Camillo accompagnent et font concurrence à la trame principale.

Le fil de la narration se déroule autour de documents, procès-verbaux, extraits de témoignages qui permettent d'éclairer progressivement l'ampleur de la manipulation et les différentes phases de la construction du martyr. Ainsi de 1921 à 1941, on assiste aux événements, puis à leur sédimentation progressive dans la mémoire collective. A noter encore : l'histoire que nous raconte Camilleri s'articule autour d'un fait divers avéré et documenté par l'auteur dans une notice à la fin du roman.

Guillaume Henchoz

Andrea Camilleri, Privé de titre, traduit de l'italien par Dominque Vittoz, Le Livre de poche, 281 p., 6 € 50.

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