Billet de blog 26 août 2009

Christine Marcandier (avatar)

Christine Marcandier

Littérature

Journaliste à Mediapart

Inglorious Bastards

Le scénario s’ouvre sur un « il était une fois ». Manière de souligner l’importance de la fiction comme du récit, du « dire ». Inglorious Bastards - devenu Inglourious Basterds - est un hymne à la puissance du verbe, du film, au pouvoir de l’image pour détruire comme construire, (dé)faire l’Histoire.

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Christine Marcandier

Littérature

Journaliste à Mediapart

Le scénario s’ouvre sur un « il était une fois ». Manière de souligner l’importance de la fiction comme du récit, du « dire ». Inglorious Bastards - devenu Inglourious Basterds - est un hymne à la puissance du verbe, du film, au pouvoir de l’image pour détruire comme construire, (dé)faire l’Histoire.

Pourquoi lire un scénario, fut-il de Tarantino, quand on peut aller voir son film, dans toutes les salles depuis le 19 août 2009 ? parce que ce film est un choc, un chef d’œuvre, un monument, qu’on en sort à la fois transporté et par terre. Qu’on n’a qu’une envie, le revoir (suivre l’histoire c’est louper les inventions filmiques, se laisser porter par l’esthétique, c’est rater une part de l’histoire). Et lire ce scénario, c’est constater à quel point le film repose sur une mécanique de précision, un récit implacable, maîtrisé de bout en bout, des dialogues ciselés, somptueux, d’une violence qui laisse pantelant. C’est goûter le plurilinguisme voulu par Tarantino, anglais, français, allemand, italien, parce qu’Inglourious Basterds n’est pas seulement une vision profondément originale de la seconde guerre mondiale, de la chute du IIIème Reich, c’est aussi, à travers cet épisode, un concentré de l’histoire de l’humanité.

C’est percevoir à quel point l’ironie de Tarantino est polymorphe : citationnelle (« Nuit allemande à Paris. À noter : tout le chapitre sera filmé en noir et blanc à la manière de la Nouvelle Vague française »), elle est aussi violence verbale, jeu, un procédé jubilatoire dont il use et abuse, dont le scénario porte la trace, qu’il s’agisse des répliques du colonel SS Hans Landa ou des échanges verbaux, à glacer le sang, lors de la partie de cartes à « La Louisiane ». Impossible de regarder de la même manière un verre de lait, quand Tarantino en fait un des ressorts de son film.

Les mises en abyme (« je crois que ça pourrait bienêtre mon chef d’œuvre »), les réécritures filmiques, tout fait sens. Le scénario se lit comme un roman, avec les images du film en surimpression quand on a déjà vu Inglourious Basterds. Et le texte en Pavillons Poche ajoute une dimension : les annotations du metteur en scène, ses parenthèses qui soulignent un jeu de scène (« il laisse la métaphore produire son effet »), les termes en italiques qui trouveront tout leur sens, leur plénitude, leur épaisseur dans le jeu des acteurs, leurs intonations, leurs mimiques.

Il est à noter que le scénario publié l’est dans sa version originale, avant la Director’s cut, les scènes que Tarantino préféra finalement couper. On lira donc des scènes que l’on ne peut voir sur les écrans, comme celle qui met en présence Shosanna et Mme Mimieux, coupée au montage.

Indispensable.

CM

Quentin Tarantino, Inglourious Basterds, traduit de l’américain par Nicolas Richard, Pavillons Poche, 266p., 8 € 90