Points réédite en poche Joséphine de Jean Rolin, roman paru en 1994 chez Gallimard. Un texte court, dense, d’une présence et lucidité rares, autour d’une éphémère, une femme-enfant fragile, en (dés)équilibre, à la présence d’autant plus prégnante qu’elle est au-delà des lignes.
Joséphine se rêve marchant « très légèrement, comme en apesanteur », elle a la beauté évidente des navires qui appareillent, elle est « légèreté et puissance », rassemble les cinq sens, ouvre vers un sixième, celui du sur-réel, des hasards objectifs et des coïncidences pétrifiantes. Joséphine est une Nadja, de ces femmes inspirées et inspirantes, proches du désespoir, « des ténèbres » mais aussi « de la beauté des choses », vêtues de manière (et matières) impossible(s) — son manteau de kangourou bleu —, flirtant avec tous les envers, les fêlures, héroïnes aux frontières de la folie et de la voyance. Romans de la rencontre, de la déambulation, Nadja de Breton comme Joséphine de Jean Rolin, ce texte qui déborde de Paris vers La Rochelle, Dinard.

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Joséphine est un « lutin extraterrestre », son instable présence au monde fait d’elle une funambule, une équilibriste, toujours proche de la rupture, lorsqu’elle marche « à sa manière inimitable, à la fois menue, élégante et imprécise », lorsqu’elle danse :
« Jamais peut-être je ne l’ai vue aussi belle, aussi déchirante, si légère, et comme embarrassée de cette légèreté – comme si même cette légèreté était encore trop lourde à porter – qu’elle donnait en même temps l’impression d’être près de tomber et de ne tenir à la terre que par un fil ».
Joséphine est un être du manque (de preuves d’amour), du trop (de maquillage, de drogue). Elle enchaîne et libère, écrit et inspire, elle est l’essence du paradoxe. Elle hante un roman des errances pourtant sans détour, qui déclare les égarements, les cruautés, « les excès divers auxquels nous nous livrions ». Dit comment Joséphine aide l’écrivain à renouer avec le sexe et l’écriture, le sauve du « désordre mental », avant d’elle-même succomber, de mourir dans la nuit du 25 au 26 mars 1993, à Paris. Petite fille en pleurs, sa chanson préférée de Nougaro.
Jean Rolin égrène les souvenirs, les épisodes, des scènes (le phare de la Baleine, la nuit d’Emily Dickinson), les « je me souviens », les « sans doute », les peut-être, les regrets. Les moments parfaits comme ceux de crise. Les ivresses. Il dit le trouble, passé, présent, la passion, l’infinie puissance de l’attrait dans ses petits riens, « un petit savon de chez Guerlain et un de ces élastiques, imprégné encore de l’odeur de son parfum de prédilection, avec lesquels elle nouait ses cheveux lorsqu’elle les portait en queue de cheval, et qu’elle égarait dans les lits avec une telle régularité, une telle obstination, qu’après que nous avions fait l’amour ou lorsqu’elle se réveillait le matin ses premiers mots, accompagnés d’un geste de la main gauche pour retenir ses cheveux tandis que la main droite lissait les draps et repoussait les oreillers à la recherche de l’objet égaré, étaient presque toujours pour signaler la disparition de cet élastique ».
La phrase, ample, aiguë, épouse le mouvement, la vie comme la disparition, dit l’impossible, se coule et se déploie, submerge le lecteur. L’entraîne dans la séduction de Joséphine. Ces lignes, Jean Rolin dit les écrire « comme si quelqu’un qui ne l’a pas connue, qui ne l’a pas perdue, pouvait en lisant être transi d’amour pour Joséphine ». Aimée à jamais, dans les mots et les blancs des pages, limpide, foudroyante, vertigineuse, comme ce roman.
Jean Rolin, Joséphine, Points, 85 p., 4 € 50 .