Billet de blog 27 juillet 2009

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Christine Marcandier

Littérature

Journaliste à Mediapart

Cent livres pour un siècle, l’œil de la NRF

La Nouvelle Revue Française voit le jour le 1er février 1909, autour d’André Gide. Elle se donne pour objet une « critique militante », diverse, attentive à l’actualité littéraire. Pour célébrer les 100 ans de la Revue, Gallimard publie, en poche, une anthologie regroupant cent critiques de livres ayant marqué le siècle. Cent parmi des milliers.

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La Nouvelle Revue Française voit le jour le 1er février 1909, autour d’André Gide. Elle se donne pour objet une « critique militante », diverse, attentive à l’actualité littéraire. Pour célébrer les 100 ans de la Revue, Gallimard publie, en poche, une anthologie regroupant cent critiques de livres ayant marqué le siècle. Cent parmi des milliers.

On pourra regretter le choix d’un silence pesant sur la période de l’Occupation – certes avoué en note dans la Présentation –, ce moment où la revue était dirigée par Drieu La Rochelle… La NRF illustrait pourtant alors, aussi, sa volonté d’être un « miroir » de son époque. Le prix en sera lourd : le silence, jusqu’en 1953. Mais le sujet de cette anthologie n’est pas la polémique, bien plutôt un hommage, à la pertinence des choix opérés par les critiques (Proust, Kafka, Hemingway, Mishima… mais aussi Senghor, Calvino, Perec, Barthes, Roth), à leur pré-voyance, à leur défense, permanente, d’une littérature qui se renouvelle, déborde les marges, les cadres, ose, avance.

A chaque lecteur de faire son chemin dans ce livre, de baliser son propre itinéraire. Il est large, varié, mondial. Se consacre à tous les genres, de la poésie à la science-fiction, de la bande-dessinée au roman érotique, en passant par la philosophie, le théâtre, la sociologie, la linguistique. De même, les critiques frappent par leur diversité, du court billet d’humeur à l’essai prenant une publication pour prétexte à une théorisation de la littérature. On peut ainsi sauter d’une critique de Bergson (La Pensée et le mouvement) à une lecture des Contes du chat perché, ou de Quignard à Sempé, sans transition, sinon chronologique. Au lecteur d’explorer, à l’image de la vocation première de la critique.

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On peut lire ce recueil comme une histoire littéraire. Apprécier, par exemple, la critique esthétique, narratologique du Voyage au bout de la nuit de Céline, par Eugène Dabit, en décembre 32, non encore obscurcie par la conduite de son auteur dans les années qui suivent. S’amuser de la volonté de défendre, en janvier 1920, le Goncourt attribué à Proust pour A l’ombre des jeunes filles en fleurs, un Proust non encore installé parmi les « classiques ». S’étonner du choix de Lautréamont (Les Chants de Maldoror) par André Breton pour vilipender les doctrines de « l’art pour l’art » et démontrer que « la poésie doit mener quelque part ».

De la critique des Poèmes par un riche amateur (Valéry Larbaud) par André Gide à Dans le café de la jeunesse perdue (Patrick Modiano) par Paul Gellings, c’est un siècle de littérature qui s’écrit sous nos yeux aussi un siècle de critique littéraire, avec ses modes (la référence constante à « Mme Colette », du début du siècle à Bonjour Tristesse de Françoise Sagan), ses haines, ses passions, ses petites histoires (Cocteau défendant Radiguet), ses anticipations (Dominique Noguez voyant, en 1967, dans L’Ecriture et la différence de Jacques Derrida un « livre dont on ne mesurera probablement pas l’importance réelle avant un certain temps », un ouvrage « en avance »).

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On peut aussi voir dans ce recueil une invitation à la lecture ou à la relecture. Comme un ouvroir de bibliothèque potentielle. Parce qu’une pointe, une saillie, un bon mot donnent envie d’ouvrir un roman, de découvrir un ouvrage. Le « Lolita n’est pas un scandale, c’est un chef d’œuvre » de Dominique Aury ; la prose enflammée de Michel Leiris à propos de Mort dans l’après midi d’Hemingway ; les lectures d’Ernst Jünger ou de Fritz Zorn, Mars, roman malheureusement méconnu du grand public. La si pertinente lecture de la Modification de Butor par Dominique Aury.On pourra conclure avec Sartre qui ouvre sa lecture de Sartoris de William Faulkner, par ce constat, d’une évidence lumineuse :« Avec quelque recul, les bons romans deviennent tout à fait semblables à des phénomènes naturels ; on oublie qu’ils ont un auteur, on les accepte comme des pierres ou des arbres, parce qu’ils sont là, parce qu’ils existent ».Ce dont témoigne L’œil de la NRF, balcon sur cette forêt…CM

L’œil de la NRF, Cent livres pour un siècle, choix des textes et présentation par Louis Chevaillier, Folio, 351 p., 7 €.

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