OuLiPo : ouvroir de littérature potentielle, « atelier produisant une littérature en quantité illimitée », selon les termes de Raymond Queneau. Ecrire sous contrainte, jouer avec les mots, en un sens ludique comme virtuose, relever des défis scripturaux, mettre la langue au devant… tels sont les (en)jeux de ces « rats qui construisent eux-mêmes le labyrinthe dont ils se proposent de sortir ».
Depuis plus de cinquante ans (le 24 novembre 1960), les Oulipiens se réunissent, chaque mois et l’un des membres propose une création.
Une régularité signe de la contrainte mais aussi d’un jaillissement créatif toujours renouvelé, d’une œuvre pensée dans sa dimension collective. L’anthologie publiée le mois dernier chez Poésie/Gallimard est un recueil de ces textes oulipiens, certains devenus classiques, d’autres inédits. Une anthologie qui se donne à lire comme un recueil, ouvert, pluriel, le dépôt d’une (dé)marche, au sens premier du terme (« nous essayons de prouver le mouvement en marchant », Raymond Queneau).

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L’anthologie classe ces « essais », tentatives et jeux selon des thèmes littéraires fondamentaux (Ville, Amour…), des formes (Sonnets et autres…), des contraintes spécifiques (La loi des séries, Circonstances, Restrictions…). On y trouvera les théories du mouvement (la postface de La Disparition de Perec, Histoire et manifestes), des travaux collectifs ou plus individuels. Le volume convoque aussi bien Perec, Calvino, Roubaud, Queneau qu’Hervé Le Tellier, François Le Lionnais, Anne Garréta ou Marcel Duchamp.

Cette anthologie est une somme, dense mais jamais close, ouverte sur les possibles du livre, des textes. Les contraintes sont des formes paradoxales de liberté, qu’elles soient mathématiques, phonétiques, syntaxiques, grammaticales ou littéraires, comme le montre le texte en Ouverture du volume, « 35 variations sur un thème de Marcel Proust », de Longtemps je me suis couché de bonne heure, texte-souche, à Je me serais longtemps couché de bonne heure ?, « douloureuse question » posée par Georges Perec. Ou To be or not to be, that is the question peu à peu transformé jusqu’à Do I really care whether I exist ot not ?, autre « painful question » due cette fois à Harry Mathews. Même jeux de perspectives et de variations dans les “Jocondes”, du point de vue de Murphy selon qui “tous les grands chefs d’oeuvre sont faits par erreur”, au “point de vue de la fin”, en passant par celui de Marguerite D. (« un sourire qui dit qu’elle sourit ») , du trader, de l’animateur de jeux télévisés. C’est drôle, pétillant, intelligent, un hommage constant à la littérature, son histoire, sa manière de dire le réel pour l’enchanter.
Des « ardinosaures » à la « mantilope religieuse », des « anagrammes de métro » à des textes écrits sous la contrainte « buisson » (c’est-à-dire qu’isl se développent à partir d’une racine qui demeure cachée), de la « Douzine cubiste » aux « Poèmes pour chiens », la lecture, à l’image de l’écriture présidant à ces textes, est voyage, exploration, drôle, lumineuse.

« Voici l’Oulipo que François Le Lionnais a créé.
Voici les joyeux membres de l’Oulipo que François Le Lionnais a créé.
Voici les travaux des joyeux membres de l’Oulipo que François Le Lionnais a créé. » (« Voici l’Oulipo », p 347).
Un Discours de la méthode ludique. Un ouvroir au format poche, immanquable.
CMAnthologie de l'Oulipo, édition de Marcel Bénabou et Paul Fournel, Poésie/Gallimard, 928 p., 10 € 90.

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Prolonger : le site Internet de l’Oulipo