Billet de blog 1 septembre 2024

michel-lyon

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RC 194. Inspection du Travail, Deux tués, il y a 20 ans. Les conditions ont empiré.

2 septembre 2004, un Inspecteur, une contrôleuse du travail assassinés par un chef d'entreprise. Pas de soutien hiérarchique. 20 ans plus tard, les conditions de contrôle des entreprises ont empiré. Je reproduis ici un tract intersyndical qui appelle à se rassembler devant le ministère le 10 septembre. Michel-Lyon

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Les 2 et 10 septembre 2024, nous commémorerons le double assassinat de nos collègues Sylvie Trémouille et Danièle Buffière. Pourtant
20 ans plus tard, parmi tout ce que nous avons dénoncé alors, les réactions scandaleuses des Ministres, l’absence de soutien
hiérarchique, l’état de nos effectifs, l’impunité patronale, rien ne s’est amélioré voire a empiré. La crise agricole de janvier 2024 a montré
que les conditions pour que de nouvelles agressions surviennent sont largement réunies. Refusons de nous y résigner !
Que s’est-il passé le 02 septembre 2004 ?
Les faits.

Le 2 septembre 2004, une journée de contrôles communs entre l’ITEPSA et la Mutualité Sociale Agricole est organisée en Dordogne. Sylvie Trémouille, contrôleuse du travail et Daniel Buffière, inspecteur de la MSA, font équipe pour intervenir dans le secteur du bergeracois.

En cette période de récolte des prunes, ils repèrent des ramasseurs en plein travail et s’arrêtent pour vérifier leurs identités, aux alentours de 15h45, sans connaitre l’identité de l’employeur. Sur les onze travailleurs contrôlés, trois sont salariés d’un prestataire de services,

Sylvie Trémouille et Daniel Buffière décident donc de poursuivre le contrôle auprès de l’exploitant car ils soupçonnent un prêt de main d’œuvre illicite. L’exploitant, Claude Duviau, est prévenu par les ramasseurs de l’arrivée des agents de contrôle qui le trouvent, en compagnie d’un mécanicien et d’un salarié saisonnier.
Le début du contrôle se déroule normalement, Daniel Buffière rappelle la circulaire sur le prêt illicite de maind’œuvre adressée à tous les employeurs de la région.
Soudain le ton monte, l’exploitant fait reposer la culpabilité de la liquidation judiciaire de son exploitation sur Daniel Buffière et Sylvie Trémouille et s’inquiète d’une éventuelle convocation devant le tribunal. Il prétexte aller chercher le registre unique du personnel dans un corps de ferme désaffecté.
Après plusieurs minutes, Daniel Buffière et Sylvie Trémouille s’approchent du local où est retranché l’employeur et l’appellent.
Daniel Buffière s’apprête à franchir la porte du local, l’exploitant sort, pointe son fusil sur lui, à une distance de 60 cm,et lui tire dessus. Daniel Buffière crie « Attention ! » avant de s’effondrer. Sylvie Trémouille hurle, se retourne pour s’enfuir, l’employeur lui tire dans le dos, à moins de
trois mètres de distance. Il est 16h.
Sylvie Trémouille décède sur place à 17h15, Daniel Buffière décède à l’hôpital de Bergerac à 19h30. Il y a un avant et un après Saussignac 

Les réactions immédiates. Cet assassinat en soi était 
inimaginable et inacceptable pour tous les agents du
Ministère du travail et au-delà. Au Brésil, trois inspecteurs
du travail avaient été assassinés par la mafia locale en
janvier 2004…cela semblait bien lointain.
Les Ministres.

Cette violence ne suffisant pas, il nous a fallu entendre les déclarations déplacées voire scandaleuses des ministres de l’époque, rapprochant ce
double assassinat des difficultés du monde agricole. A commencer par H. Gaymard, ministre de l’agriculture, qui dans un communiqué de 11 lignes mettait odieusement sur le même plan l’assassinat de nos collègues et les difficultés du monde agricole :


« A la suite du décès des deux inspecteurs du travail, en
Dordogne » où il fait part «de [s]a très vive émotion au
sujet du drame qui vient de se dérouler en Dordogne », il
adresse tous ses sentiments de compassion et de peine
aux proches et aux familles des victimes, et poursuit: «
Confronté à des difficultés extrêmes, le monde agricole et
rural réunit des acteurs divers, qui partagent un même
amour de leur métier. »

J.P. Raffarin, alors Premier ministre, écrit au mari de Sylvie
Trémouille le 8 septembre 2004, « J'ai été ému
d'apprendre les tragiques circonstances du décès de
Sylvie Trémouille. Sa disparition en service illustre les
risques auxquels les fonctionnaires de l'Etat peuvent être
confrontés dans l’exercice de missions difficiles. Soyez
assuré que j'associe toutes mes pensées à votre douleur
et à celle de vos proches. Je vous prie d'agréer, Monsieur,
l'expression de ma profonde sympathie. Sincèrement »

Dans la même veine, J.L. Borloo et G. Larcher écrivent
aussi le 2 septembre 2004 au soir un communiqué de
presse en parlant d'agression mortelle et de circonstances
dramatiques. Le 6 septembre 2004, les trois ministres
rédigeront un nouveau communiqué de presse, insipide.
Pour ne pas dire crime, assassinat, homicide, ils
minimiseront, préférant parler de circonstances
dramatiques, tragiques circonstances, disparition en
service, tragédie, perte de la vie, acte obscur, disparition,
moment dramatique…
Comme le résume ACRIMED : « Ce meurtre était une
première : jamais, depuis la création de l’inspection du
travail en 1892, des agents de cette administration
chargés de faire respecter le droit du travail n’avaient été
tués en mission. Pourtant, ce crime n’a guère remué dans
l’instant les ministres prompts à déployer communiqués et
déplacements devant les caméras lorsqu’un policier ou un
gendarme est tué. Y a-t-il des meurtres de fonctionnaires
plus importants que d’autres ? »
Enfin, s’ils ont voulu se faire oublier à l’époque, ne les
oublions pas : le DAGEMO (DRH d’aujourd’hui) a fait le
service minimum et le Directeur Général du Travail s’est
tu. Tant les réactions des politiques que des médias
conduiront à éviter le débat public sur la reconnaissance
du rôle des inspecteur.rice.s du travail.
La presse l’a immédiatement présenté comme l’acte d’un
désespéré acculé, symbole de la détresse des
agriculteurs, laissant de côté les victimes, Sylvie
Tremouille et Danièle Buffière – leurs noms n’étant même
pas cités – leurs familles, les deux enfants laissés
orphelins, les collègues de travail. Sur TF1, le journal
commence par la mort d'un ours dans les Pyrénées. Le «
désespoir des agriculteurs » continue de s’étaler dans les
journaux. La plupart des médias n’ont pas été à la hauteur
de l’événement, prenant l’affaire comme un simple fait
divers.

Il aura fallu quelques jours pour que Libération donne la parole aux inspecteurs du travail et se penche sur leurs conditions de travail, que par la suite que Charlie Hebdo, Politis et arrêt sur Images reviennent sur le traitement médiatique et politique de ce double assassinat.

Les syndicats patronaux agricoles. Sans parler des
individus qui se sont déchainés sur le forum internet du
site Terre Net, proférant des propos odieux en soutien de
l’assassin ou ironisant sur la mort de nos collègues, propos
pour lesquels ils seront condamnés par la justice pénale,
et le forum sera fermé, les syndicats patronaux agricoles
n’isolent pas Claude Duviau. Au contraire, ils en font le
symbole de la détresse du monde agricole et le victimisent
pour mieux oublier les vraies victimes, Sylvie Trémouille,
Danièle Buffière et leurs proches. Citons la Coordination
rurale déjà. « Le drame qui vient de se dérouler en
Dordogne démontre, hélas, l’ampleur du désespoir des
paysans spoliés de leurs droits fondamentaux et soumis à
des contraintes inacceptables ».
Ces propos ont des conséquences. Quelques mois plus
tard, lors d’une manifestation des Jeunes Agriculteurs
portant sur les quotas laitiers, deux douilles des mêmes
balles à sanglier qui ont servi à tuer les deux contrôleurs
sont balancées devant les bureaux où travaillait Sylvie
Tremouille. Le geste est d’une violence inouïe.
Les agent.e.s et leurs syndicats Ils se sont trouvés bien
seul.e.s pour dénoncer les déclarations et les silences des
précédents.

Pour faire le lien entre ce double assassinat et la faiblesse de nos effectifs, l’absence de soutien politique des agents de contrôle et l’impunité patronale.
Pour demander ce que nous demandons encore aujourd’hui par exemple dans la déclaration intersyndicale adressée aux Ministres le jour des obsèques :
«- La condamnation sans concession des organisations professionnelles patronales qui par leurs attaques continuelles incitent au non-respect de la loi et des fonctionnaires chargés de son application.
- Un arrêt de la remise en cause permanente du caractère protecteur du droit du travail pour les salariés
- Un soutien sans faille des fonctionnaires, et particulièrement des agents de contrôle, par tous les moyens juridiques et politiques.
- Une refonte profonde de l’organisation et un renforcement très important des moyens de l’inspection du travail, à la hauteur des problèmes sociaux et des valeurs fondamentales dont ce corps de contrôle doit veiller au respect. »

N’oublions pas l’expression massive des agents du
Ministère le jour des obsèques, la journée de grève du 16
septembre 2004. Et par la suite la présence au Procès. Il
y a un avant et un après Saussignac.
Le procès. Le 5 mars 2007, le procès d’assises s’ouvre à
Périgueux. Ce que le procès a clairement montré,
notamment à travers le réquisitoire du Procureur, c’est que
c’est parce qu’ils contrôlaient l’application des lois sociales
que Sylvie Trémouille et Danièle Buffière ont été
assassinés. « L’affaire de Saussignac n’est ni un fait
divers banal ni le résultat d’un coup de folie. C’est bien
parce qu’ils étaient contrôleurs du travail que Sylvie
Trémouille et Danièle Buffière ont été tués ».

Le meurtrier
est condamné le 9 mars 2007 à 30 ans de réclusion pour
meurtre. Il meurt en prison en 2016.


20 ans après, où en sommes-nous ?
Des effectifs au plus bas - Nos effectifs n’ont jamais été
faibles, mais pendant quelques années, après
Saussignac, une volonté politique de les renforcer a été
affichée, d’autant plus que la France était régulièrement
épinglée comme très mauvaise élève dans le cadre des
classements européens et en bas de tableau s’agissant des
effectifs dédiés au contrôle.

En 2014, à l’issue du PDMIT et
de la fusion des services d’Inspection du travail (il y avait
jusqu’alors des services d’inspection du travail spécifiques
pour le secteur agricole et le secteur des transports), 2400
agent.es étaient affecté.es au contrôle des entreprises. Or,
le discours politique a rapidement changé : on est passé d’un
objectif de renforcement, à un objectif de maintien et enfin au
tribut à payer sur l’autel du principe qui a fait des ravages : le
non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la
retraite.

En 2024, la situation est catastrophique : il ne reste
plus que 2000 postes d’agent.es de contrôle affecté.es au
contrôle des entreprises et 400 de ces postes ne sont pas
pourvus. Dans le même temps, le nombre des salarié.es du
secteur privé a augmenté et la réglementation s’est
largement complexifiée.
Des conditions de travail dégradées – En lieu et place
d’une réorganisation censée nous donner les moyens de nos
missions, nous avons eu les DIRECCTE, le Ministère fort et
les DDETS : nos services n’ont plus de déclinaison
départementale spécifique et sont noyés dans des directions
interministérielles dont les périmètres n’ont pas de
cohérence en terme de service public. Le renforcement de
l’inspection du Travail est un lointain souvenir et le mot
d’ordre principal est simple : il faut faire des économies.
Des situations d’obstacle, d’outrage et des cas de
pressions indues qui se multiplient – Déboulonnage de
roues de voiture et agressions répétées en Bretagne,
agressions en Centre Val de Loire, en Corse, au cours des
20 dernières années, partout en France les agressions
contre les agents de contrôle n’ont pas cessé. Si la demande
de protection fonctionnelle (entre 50 et 100 par année) est
mobilisée dans les cas les plus graves, ces chiffres taisent
toutes les situations de tension, attitudes menaçantes,
propos non relevés qui n’en font pas l’objet.

Alors que les organisations syndicales n’ont eu de cesse de demander au Ministre de s’exprimer publiquement et de condamner les
agressions contre les agents, les Ministres successifs n’ont jamais donné suite, se limitant au mieux au strict minimum (un tweet d’Elisabeth Borne par exemple) et au pire au silence comme la Ministre Vautrin.

Conséquence, le sentiment d’impunité patronale s’est développé. Pire, les
références au double assassinat de Saussignac ont
régulièrement été reprises par les patrons-agresseurs
d’agents de contrôle.
Si en début d’année 2024, la colère des agriculteur.trice.s a
explosé et que nos organisations syndicales ont soutenu le
droit pour tou.tes à vivre décemment de son travail. Certains
syndicats agricoles ont néanmoins tiré profit de ce
mouvement en développant un discours anti-taxe, antinorme et anti-contrôle censés être responsables de la misère des agriculteurs.

Ainsi, si la détresse des agriculteurs peut
être réelle, ce mouvement a également permis de libérer un
discours poujadiste prenant pour cible les différentes
administrations, notamment par le biais des représentants
des plus gros capitalistes du secteur. Il nous faut être
clair.es : il est parfaitement inadmissible de prendre pour
cible les agent.es de contrôle, qui ne sont en aucun cas
responsables de la crise agricole, il.elle.s ne sont présent.es
que pour faire respecter la réglementation relative aux
rémunérations, à la durée du travail, à l’hébergement entre
autres – réglementation déjà adaptée en partie, au détriment
des salariés agricoles sous la pression du lobbying agricole
et agro-alimentaire.

Le 19 janvier 2024, un bâtiment de la DREAL à Carcassonne
est soufflé par une explosion.

Le 25 janvier, un sanglier a été pendu et éventré devant les locaux des services de l’inspection du travail à Agen. Le lendemain, à Narbonne, ce
sont les locaux de la MSA qui ont été incendiés. Les messages sont relativement clairs : il ne faudrait plus de contrôles dans les exploitations agricoles.

Des menaces inacceptables qui visent les organismes de contrôle, pourtant
indispensables pour garantir les droits des travailleurs
incontournables dans une démocratie, au-delà crée une
situation de menace contre les agent.es ! Le gouvernement
a-t-il pris la défense de ses agents ? A-t-il rappelé que les
missions exercées par les services de l’État sont essentielles
en matière de protection des salariés, de l’environnement, de
sécurité alimentaire ? AUCUNE RÉACTION ! L’entourage du
ministre de l’Intérieur a indiqué à l’AFP : « on n’envoie pas
les CRS sur des gens qui souffrent ». Au-delà d’une preuve
d’une mansuétude à géométrie variable, les agent.es sont
jeté.es en pâture et leurs missions discréditées. Tout au plus
un tweet discret sur le sujet de la Ministre du travail, même
pas adressé à ses agent.es, Ministre qui n’aura par ailleurs
jamais daigné rencontrer les représentants du personnel.
Le silence constitue une prise de position. Certaines
organisations agricoles l’ont bien compris : dans le
département où un sanglier a été pendu, la Coordination
Rurale du 47 informe le Préfet du refus de tout contrôle dans
les fermes, et déclare que « personne ne franchisse la ligne
rouge, visible ou non, devant les fermes » dans un courrier
du 20 mars 2024.

L’absence de soutien du gouvernement à ses agents, même symbolique, constitue une violation de l’État employeur de ses obligations en matière de santé et de sécurité face à des risques évidents d’agressions voire pire.

 20 ans après l’assassinat de deux agents dans une
exploitation agricole, livrer nos collègues à la vindicte
populaire n’est pas seulement méprisant et lâche, c’est
mettre en danger purement et simplement leur vie. Nos
organisations syndicales ont également leurs lignes
rouges : les menaces à l’encontre des agents doivent
cesser ! L’État de droit doit être une constante sur tout le territoire !


20 ans après, que voulons-nous pour l’inspection du travail ?
Effectifs en berne, conditions de travail dégradées, pressions indues : il est urgent que ça change ! Nous voulons un ministère
du travail accessible, un ministère répondant aux demandes et besoins des salarié.es avec ou sans statut, avec emploi ou
sans emploi voire très éloigné.es de l’emploi, avec ou sans papiers, des besoins qui seraient définis par les premier.es
concerné.es et leurs organisations syndicales et par les agent.es de terrain, un ministère où les garanties d’indépendance
seraient réellement respectées et nos prérogatives renforcées.
Nous n’en pouvons plus de ces situations de souffrance, de voir des collègues quitter le ministère, mettre en péril leur santé
et parfois même leur vie.

Leur politique du chiffre et leurs plans d’action, leurs projets de densifications immobilières,
leur réduction sans fin des effectifs sont un fiasco et nous mettent en danger. Nous ne sommes tout simplement plus en
mesure d’assurer nos missions de service public et nos conditions de travail ne peuvent qu’être qualifiées de maltraitantes
et même de harcèlement institutionnel. Cela doit cesser, maintenant.

Alors, plus que jamais, il faut se mobiliser, en défense de nos missions. Un autre ministère est possible !

Mobilisons-nous autour d’un plan d’urgence :
 Un plan de recrutement massif pour renforcer tous les services, à commencer par le recrutement immédiat à hauteur
de tous les postes vacants par voie de concours ;
 Des effectifs renforcés pour l’inspection du travail : un.e agent.e de contrôle pour 5000 salarié.es, tout de suite et
un.e assistant.e pour trois agent.es ;
 La condamnation publique par le.a Ministre du Travail des agressions contre les agents de contrôle et la réaffirmation
de la légitimité de nos missions ;
 Pour une vraie politique pénale du travail et la fin de l’impunité patronale. Rétablissement de l’observatoire des suites
pénales (et notamment en matière de délit d'obstacle),
 Des moyens matériels suffisants pour assurer nos missions ; des bureaux individuels pour recevoir les usager.ère.s
en toute confidentialité ;
 Arrêt des attaques contre la législation du travail et renforcement des droits des travailleurs et de leurs organisations.

Les 2 et 10 septembre 2024, rendons hommage à Sylvie Trémouille et Daniel Buffière.
Tou.te.s ensemble, réaffirmons la légitimité de nos missions de contrôle, défendons
l’inspection du travail et retrouvons-nous autour de nos revendications !

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