Le capitalisme commercial et le capitalisme financier avaient déjà connu plusieurs crises, lorsque Karl Marx a étudié le jeune capitalisme industriel. Pour cette étude, il a mis en œuvre la pensée matérialiste et la raison, contre la pensée idéaliste. Une démarche scientifique. Un travail fondateur qui a marqué la pensée au 20° siècle.
Depuis ce temps-là, le capitalisme a opéré plusieurs mutations.
1.-N’étaient pas encore formées les filières de production intégrées allant de l’extraction de matières premières à la commercialisation des marchandises : c’est plus tard que les impérialismes joueront simultanément l’exploitation des ouvriers et celle des colonies : ressources, main d’œuvre et chair à canon. Et qu’il jouera les uns contre les autres. (Voir point 9 ci après)
La création de filières intégrées a aussi prolétarisé la paysannerie, de la semence à la grande distribution des produits transformés. Spéculation mondiale sur les produits alimentaires : les tomates viennent de Chine, la viande de cheval vient d’Argentine… produites dans des conditions incontrôlables
Et récemment, la production industrielle : usines de volailles, de poissons, de vaches…) bourrées d’antibiotiques et autres bidouillages chargés de risques…
2.-La mutation néolibérale des années 80 à la fin de la « guerre froide », a été la contre-attaque du capitalisme aux libérations nationales, aux » mai 68 » ouvriers dans le monde prolongés dans les années 70, aux mouvements dans les banlieues :
le capitalisme financier s’est séparé de l’économie, s’est délocalisé dans l’opacité des paradis fiscaux et a dominé les Etats, a mondialisé les activités, délocalisé la production vers des terres de quasi-esclavage, formé d’énormes multinationales qui dominent des pans de l’activité planétaire, multiplié les "Ecoles" chargées de diffuser la nouvelle Table de la Loi.
Il impose la concurrence et le profit sans entrave d’aucune sorte, ni éthique, ni politique. L’affirmation There is no alternative, TINA, écrase toute prise en compte morale, éthique ou choix politiques différents.
Tel un vaisseau sans cabine de pilotage, ni sonar, ni radar, ni cartes, moteurs bloqués avant toutes, hélices toutes orientées dans des directions différentes. C’est la nef des fous. Et il n’y a pas d’autre alternative.
Il en résulte que l’examen des mécanismes de la production au sein d’un pays considéré isolément n’a plus de sens. Dans la balance recettes / dépenses de l’Etat, le chapitre recettes est amputés par les trafics et spéculations mondiales sur la pauvreté, par les domiciliations dans les paradis fiscaux, par les exonérations et dumping fiscal. La balance commerciale « du pays » n’a aucun sens. Dans le ratio sacré déficit / PIB, le diviseur PIB n’a aucun sens pour les mêmes raisons. La délocalisation des fabrications réduit le PIB, ce qui gonfle le ratio, alors que les dépenses sont toujours plus rabotées. La prétendue « dette » n’est qu’un moyen de chantage, grossier, mais qui marche.
3.-La prétendue « révolution numérique » qui créerait une nouvelle société mondiale est une imposture : ces machines et leurs algorithmes sont conçues, fabriquées, mises en œuvre pour tirer la société dans le sens de surveiller et prendre le contrôles sur l’activité humaine.
A la naissance du capitalisme industriel, les machines ont été conçues, façonnées, mises en œuvre, l’organisation économique bâtie de façon à
- priver les producteurs de la maîtrise et de la finalité sociale de leur travail,
- produire non pas les biens nécessaires, mais les marchandises qui produiront le meilleur profit. Y compris en sacrifiant la santé des travailleurs, et des consommateurs. Y compris en poussant à la guerre pour détruire massivement et reconstruire. (complexes militaro-industriels très influents)
Il faut donc revenir sur la fameuse domination de l’infrastructure économique sur la superstructure idéologique. C’est en proclamant que les lois économiques sont universelles, naturelles, incontestables que la finance néolibérale écrase la politique (nos dernier quinquennats comme l’actuelle présidentielle en donnent la preuve aveuglante), écrase l’humain et la nature. Aucune promesse électorale n’y résiste, bien que ce soit absurde et destructeur.
Quand il a écrit sur l’aliénation des ouvriers, Marx a bien sûr décrit cette dépossession. Mais il a aussi montré l’emprise idéologique qui obtient que l’ouvrier accepte et contribue à son exploitation.
4.-En un siècle et demi, la possession de la finance s’est contractée dans les mains du 1% et l’exploitation s’est étendue aux peuples du monde entier.
Les moyens développés en un siècle, permettent de façonner « l’opinion publique », de faire accepter et même contribuer aux guerres, aux massacres, à la ruine de nombreux pays. L’intox permet de faire passer des peuples qui se lèvent pour pouvoir vivre, pour bandits et trafiquants (Tchétchènes), pour rebelles et terroristes (Palestiniens, Kurdes, Syriens, Erythréens, etc…) et prépare l'opinion accepter leur destruction. Faire accepter le rejet vers la mort de million de réfugiés du Moyen Orient dévasté par la volonté néolibérale de recomposer cette région. Comme ce fut conduit 30 ans plus tôt, contre les peuples colonisés en lutte pour se libérer. L’antisémitisme qui a culminé avec l’affaire Dreyfus fin 19° siècle, réactivé par la réaction contre le Front Populaire, a préparé une opinion d’extrême-droite toujours active dans ce pays, à collaborer à la shoah. Réactivation sans fin de la pensée identitaire à volonté hégémonique, totalitaire.
C’est bien la preuve que la domination culturelle est aussi importante, voire décisive, par rapport à la domination matérielle.
5. « uber » ne crée pas une nouvelle catégorie de travailleurs : c’est un degré ultime dans les pyramides de la sous-traitance. Celles-ci imposent une domination croissante vers le bas et concentrent le profit en leur sommet. Les entreprises qui, en bas font le travail sont condamnées à travailler à perte. Les prétendus « indépendants », isolés, sont privés de tous les droits des salariés et sont soumis à l’abus de position dominante illimité. C’est typiquement une organisation de types mafieux, avec ses tares culturelles de renonciation volontaire à la dignité.
6.-Il faut réexaminer à cet éclairage la séparation imposée dans les années 1920, entre action syndicale et action politique. Le syndicalisme révolutionnaire a été éliminé, et les ouvriers ont été enfermés dans le bras de fer avec l’employeur, parfois avec le mythique « patronat ». Ils ont été dépossédés du pilotage de leurs luttes.
La déconnexion entre syndicalisme et politique a suffi pour empêcher de comprendre et de contrer la mutation néolibérale, et empêcher l’émancipation ouvrière. Les uns n’avaient pas la vue d’ensemble ; les autres n’avaient pas la connaissance de terrain.
7.-Cette déconnexion a été imposé au nom d’un prétendu « marxisme ». Tous les « marxismes » ont prouvé leur incapacité à piloter les luttes ouvrières, incapables de réaliser l’émancipation idéologique des ouvriers parmi lesquels, il a ravalé les ouvrières au second plan.
L’enjeu était de garder le contrôle politique de la classe ouvrière, au nom d’une mystérieuse « conquête du pouvoir » toujours inaccessible.
Les marxismes portés en étendard par les « partis communistes » furent autant de dogmes, filtres figés de lecture du monde, se référant aux écrits de Marx, pour s’imposer comme « parti de la classe ouvrière ». Dogmes producteurs de discours plus que d'action collective.
En Russie le parti bolchevik a évincé les soviets de la direction du puissant mouvement révolutionnaire et procédé aux épurations dont on connait l’aboutissement russe actuel. * Puis il a encadré tous les partis communistes du monde, et contrôlé leurs « marxismes » selon ses propres intérêts.
La spécialisation des syndicats sur le champ des usines, le Parti se réservant la pensée politique, était la transposition de l’éviction des soviets.
8.- Marx a fondé la connaissance et la voie de l’émancipation de la société. Il ne peut pas être tenu pour fautif de tout ce qui s'est fait en son nom par la suite.
La sociologie critique est de nos jours, des sciences humaines celle, me semble-t-il, qui peut le mieux poursuivre le travail scientifique sur la société, ouvert par Karl Marx. Si elle sait à la fois analyser les processus économiques, les procédés d’asservissement culturel, et la profusion de combats émancipateurs spontanés, à qui proposer des outils aidant à en penser eux-mêmes la conduite.
C’est directement aux acteurs du mouvement social de penser le combat auquel ils participent, situés dans une compréhension constamment à améliorer de l’évolution du monde.
La vigueur des manifestations contre la loi Travail, l’endurance des rassemblements-débats de Nuits Debout, les luttes vigoureuses contre l’aéroport, contre la poubelle Bure, etc…les nombreuses initiatives artistiques, les façons variées de vivre produire et vivre autrement. Tout cela montre malgré le poids des propagandes réactionnaires, une large capacité populaire d’émancipation. ** Lire : https://reporterre.net/A-Paris-des-milliers-de-personnes-ont-demande-la-fin-des-violences-policieres
9. Ajout du 27 août 2018. Consécutif à l'article de Lucie Laporte du 23 août, appuyé sut les recherches que l'universitaire américaine Carolyn Eichner a réalisées sur Louise Michel au cours de sa déportation en Nouvelle Calédonie.
Louise Michel a été la seule déportée à comprendre les peuples Kanaks, leur culture, leurs combats et leur révolte de 1878. Et comprendre que leur exploitation est l'autre face de l'exploitation ouvrière. Seule a comprendre que dans l'exploitation coloniale et dans l'exploitation ouvrière, les femmes sont surexploitées, sur-réprimées, qu'elles ont une place spécifique dans le combat révolutionnaire.
En cela on doit considérer que l'apport de Louise Michel est venu compléter celui de Karl Marx dans la compréhension du capitalisme.
Les " marxismes" ont masqué cet aspect de ces luttes, ont relégué les combats des colonisés dans "l'anti-impérialisme", objet d'un " devoir" et non pas traité à égalité. Ils ont de même méprisé le rôle des femmes.
Depuis la mutation néolibérale, l'unité des combats est perdue de vue, dans un vague soutien, facilement balayé par les politiques racistes d'extrême droite conduites par tous les partis "de gouvernement".
*.-Préparer la saisine du Conseil de Prudhomme en requalification d’un faux statut d’indépendant : https://blogs.mediapart.fr/edition/les-mots-pieges-du-neoliberalisme/article/030217/autoentrepreneurs-requalifier-en-contrat-de-travail-preparer-la-pl
Et réécouter France-Culture le 14 mars 20017 vers 17h : enquête auprès d’ubérisés.
**.Voir l’excellent documentaire qu’a récemment donné ARTE : « Lénine. Une autre histoire de la révolution russe » https://www.youtube.com/watch?v=f3ajJshCJ2A
***que mesure le surplus d’abstentions aux élections, dégradées en concours infect de poker-menteur entre les candidats de droite-extrême-droite.
Lire : https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/210317/andre-tosel-disparition-d-un-marxiste-eclaire (Gramsci prolonge la pensée de Marx Et Tosel, dans le monde néolibéral.)
Réflexion parallèle : Darwin a élucidé les processus de l'évolution, contre la croyance créationniste. Mais figer son travail en un "darwinisme" ouvre le champ à d'absurdes oppositions entre ce travail fondateur, et les développements postérieurs de la connaissance. Transformer une pensée fondatrice en dogme, est une façon de la tuer, en ayant l'air de la glorifier. La statuification est un assassinat.