La confrontation entre raison et religions a accompagné la construction du savoir depuis les temps les plus anciens. Bataille qui s'est jouée parfois par des massacres et jusque sur bûchers. Elle a été pacifiée depuis le principe de laïcité, et depuis que la science s’attache délibérément à rechercher des théories qui ne fassent pas appel à la main d’un dieu, et rares sont les religieux chercheurs en sciences.
Chaque religion a été constituée dans une société précise, à un moment de son histoire. Sa naissance fait partie d’un fait social et politique. Chacune des mutations, des scissions ultérieures font partie de la vie de la société dans laquelle elle a pris forme.
Le monde actuel livré au lucre, entraîné dans son autodestruction systémique, active toutes sortes d’obscurantismes, de discours mensongers, active toutes formes de conflits armés possibles, en tous points de la planète. Jusqu’à des génocides. En toute déraison.
Bivalence des religions
Quel lien existe-t-il entre les sectes meurtrières actuelles visant à asservir « la communauté des musulmans », voire le monde, et la religion telle qu’elle fut créée par le Prophète. Cela se réduit à la réclamation du mot Islam, et quelques sourates du Coran d’origine, Coran dont de nombreuses rédactions se sont ajoutées au fil du temps, au fil des conflits internes. (0)
Au sein de la chrétienté, pour les temps où ont été massacrées des femmes dénoncées comme investies par le Diable, les temps où furent massacrés les Juifs, les Cathares (4), les peuples d'Amérique Latine, les Protestants etc. de quelle nature était la religion de leurs tortionnaires, ou des tortionnaires de l’Inquisition ? Tous affirmaient agir au nom d'une religion qui se proclamait fondée sur l'amour et le pardon.
Le puissant texte symbolique de l'Apocalypse a suscité par des lectures littérales, des délires ravageurs, meurtriers, et déraison mystique. Voir les autres comme monstres et se transformer soi-même en monstre, créer un dieu sanguinaire qui exigerait son lot d'horreurs.
Les religieux qui ont combattu l'obscurantisme au sein de leur Eglise et qui y ont développé une spiritualité, étaient des hommes et femmes de savoir sans tabou, en quête de rencontre avec Dieu dans les rencontres avec les hommes et femmes tels qu’ils sont. Leur façon de vivre leur religion leur permettait d’échapper à la sauvagerie liée aux croyances et aux ambitions de pouvoir. Ils n’ont pas réussi à sauver du bûcher le grand savant Giordano Bruno.
Dans chacun des trois monothéismes il y eut des courants, qui tous ont en commun la gnose (soufisme, kabbale, gnosticisme alexandrin) qui furent porteur d'une spiritualité apaisée, tolérante et non prosélyte, détachée des enjeux politiques. Ils furent le plus souvent attaqués et combattus par les groupes dogmatiques dominants, et stigmatisés sous le nom infamant d'"hérétiques" ou de "païens", et en tant que tels, passés à l’épée. Cependant ces courants ont constamment tenu sous tension les trois monothéismes. (2)
On sait que l'Eglise catholique est aujourd’hui menacée d'explosion autour de lourdes menaces sur son Pape accusé de défigurer l’Eglise par ses positions sur la violence, sur les réfugiés, sur les inégalités sociales, sur les modes de vie, et par son action contre la pénétration de la finance mafieuse en son sein.
Une mention particulière doit être faite pour les Eglises protestantes d’Europe qui ont participé activement à la Résistance, et récemment n’ont pas rejoint les « manifs pour tous », et qui combattent concrètement discriminations et stigmatisations.
L'Union de Juifs de France pour la Paix UJFP, porte fermement les valeurs de Lumières face aux dérives de notre société.
Les fameuses racines chrétiennes a historiques sont nimbées de négationnisme par les identitaires qui s’en réclament. Négation du passé obscur. Besoin d’une identité de groupe composée de croyances, pour justifier une prétention à dominer des populations proclamées inférieures, puisque « non-chrétiennes » dont, en fin de compte, ils nient l’humanité.
Quant aux créationnistes américains ils témoignent d'un obscurantisme dont Trump ne donne qu’une petite idée. Les capitaux importants dont ils disposent révèlent le lien entre finance, obscurantisme, croyances et soumission à la culture du lucre totalement amorale. Leurs financements ont soutenu les Manifs pour tous dans le monde et dans nos rues.
Bivalence du SAVOIR : certitudes, ou questionnement du réel et de l'Histoire ?
· Certitudes assénées par l’imposture « science économique » dont la finalité est d’imposer le profit financier comme impératif planétaire suprême, sans entrave d’aucune sorte. Pseudo science, pseudo rationalité qui habille la volonté des grands intérêts économiques et réduit la réalité à celle des profiteurs.
· Les « experts » réduisent la science en certitudes, en normes censées fonder la stabilité des sociétés. Evidemment sur une sélection de « certitudes » validées par le néolibéralisme.
Les politiciens s’abritent derrière les « experts » pour fuir la charge de la politique qui devrait œuvrer pour un type de société différent, démocratiquement débattu et choisi.
En science, les savoirs progressent par remise en question permanente de la perception du réel, par la remise en question permanente des savoirs acquis, toujours relativisés par la complexité infinie du réel. Intelligence contre réductionnisme. La science avance à grands pas depuis qu’elle cherche des théories qui ne fassent pas appel à la main du Dieu.
L'Histoire est un chantier permanent. Les mutations qui s'opèrent actuellement dans le monde et dans notre société s'éclairent par de nouveaux questionnements sur le passé. L'Histoire ne peut pas être réduite à une construction figée une fois pour toute, érigée en dogme, fut-il placé dans un musée. (2)
Mais bivalence de l’intelligence : Les autoritarismes règnent certes par la violence, mais aussi par le cynisme et la perversité. Et cynisme comme perversité sont souvent pétris d’intelligence… et d’une bêtise sans fond. Cynisme et perversité s’efforcent de brouiller la perception des problèmes de société porteurs de périls.
Ainsi, le discours politique a l’apparence de la raison rigoureuse, mais enveloppe l’imposture de messages subliminaux : « Il faut creuser les inégalités pour créer l’emploi ! » « User de violence pour la réduire ! » « Chasser sans répit les réfugiés pour les protéger » ; « Encadrer les mosquées et les imams » et masquer le commerce et les liens étroits que l’on entretient avec les financeurs des terroristes ; "Réprimer les femmes, les (présumés) musulmans, pour les émanciper" ; "Votez pour moi et je vous soutiendrai comme la corde soutizent le pendu", etc...
Irrationalité qui constitue le réel des mesures qu’ils imposent aux populations, contre les intérêts de celles.
Retour au REEL ACTUEL de nos sociétés :
Depuis la mondialisation du système néolibéral, la destruction objective de la planète et des populations est en cours, mais elle n’est pas l’œuvre d’un tyran ou d’un état-major mondial suprême. Car les détenteurs de capitaux constituent un marigot de requins en guerre mortelle entre eux, en interminable bataille pour la suprématie. (3)
Non : La destruction est systémique. Elle est l’œuvre du système néolibéral mondialisé, qui a été construit pour que s’organise partout, au-dessus des frontières, la plus efficace façon de secréter le profit financier maximal, coûte que coûte. Chaque acteur financier est contraint à cette course, sous peine d’élimination.
Les voies de la destruction sont impensées, et cependant adaptées à chaque région. C’est en ce sens, que domine la déraison. On en voit les effets dévastateurs à l’échelle du continent africain, de l’Amérique Latine, du Moyen Orient…et désormais en Europe aussi.
La Culture est un puissant domaine de la pensée collective, de compréhension du monde. Depuis deux quinquennats, le statut de ses acteurs est obstinément dégradé, son budget dramatiquement réduit, et ce qu'il en reste est canalisé vers l'industrie du spectacle, qui se charge d'éblouir le bon peuple. et de faire du fric. "Surtout, ne pas penser."
Tout est source de profit, y compris les pires des déraisons : les guerres. Car elles nécessitent la course juteuse aux armements de tous les camps en conflit. Et, comme les cataclysmes naturels, les guerres sont suivies de la merveilleuse phase de reconstruction. Perspective qui excite les financiers.
La gestion néolibérale des sociétés, et plus encore les guerres mobilisent les religions dans leurs configurations les plus obscures, au service d’ambitions géopolitiques locales, mobilisent les savoirs pour ce qui sera le plus dévastateur, mobilisent l’intelligence pour berner les peuples et les lancer dans les tueries. C'est ce qu'on désigne par "le retour du religieux", comme s'il s'agissait d'un cycle cosmique...
Une gestion automatique, qui domine la vie de tous les pays depuis les années 80, détruit leur souveraineté, réduit le rôle des gouvernants une fois élus, à la distribution de l’argent public, à la tromperie et à l’exercice brutal de la contrainte. Quel gouvernement ne finit pas par parler et agir comme s’il était ou allait se mettre en guerre contre son peuple. Les gouvernements ne sont plus nos interlocuteurs, mais ils font toujours partie de la cible de nos combats. Il faut inventer les nouvelles voies de luttes adaptées.
Les découvertes scientifiques sont fabuleuses. Mais toutes peuvent être commuées en moyen de domination, en arme de destruction massive, comme le fut la dynamite, ou l’énergie nucléaire. Ce n’est pas intrinsèque au savoir.
Que ces avancées du savoir soient à disposition du système néolibéral constitue autant de périls de haute intensité, vu son absence totale de sens moral : Le système néolibéral entraîne l’humanité dans son autodestruction. Les délires de « trans-humains », « post-humain », sont des diversions ascientifiques, en un temps où l’humain est massivement nié, massivement détruit.
Les considérations de temps de transition entre un monde passé et un nouveau en train de se former, font réapparaître le mythe de la Roue de l’Histoire, contre laquelle on ne peut rien autre que laisser venir. Mythe utilisé pour masquer les processus en cours sur lesquels il est urgent d’agir.
Le temps présent se caractérise comme celui de l’action. Le néolibéralisme s’efforce de l’accaparer.
Comment subvertir le système néolibéral ?
En faisant vivre l’intelligence et l’action pour les valeurs de l’humanisme, en effraction de toutes les barrières qu’on nous oppose, religieuses (refuser leur essentialisation qui serait associée à une identité) , ethniques, sociales, culturelles dont les préjugés liés au genre. Contourner par mille initiatives le culte triomphant du profit financier.
Et, ce faisant, inventer de nouvelles formes de démocratie.
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Sur la naissance de l’Islam, du vivant de Muhammad on ne dispose pas d’élément historique. On sait cependant qu’avant la Révélation, (610 de notre ère) il professait une religion très répandue, le hanafisme. La umma a opéré une rupture avec les divinités locales et leurs cultes… et de ce fait, perturbait gravement les ressources liées à ces cultes. D’où une répression qui l’a contraint à aller s’installer à Yathrib en 622. A cette époque la pratique d'un culte n'était pas en soi un marqueur identitaire : tous avaient le même mode de vie.
L’écriture du Coran avec commentaires fut l’œuvre de Tabari à Bagdad publiée en 923, fait partie de l’histoire du califat abbasside qui se constitue en embryon d'Etat attaché à un territoire, et plus seulement une foi unissant un groupe religieux. Les nombreuses scissions, les firqa dont sunnites et chiites furent les principales, toutes ayant apporté leurs transfomations à l’écriture du Coran. Elles se sont encore subdivisées, toujours liées à des luttes de pouvoir ultérieures. Chaque firqa pense être la seule vraie.
Ainsi est lourdement viciée chaque démarche intellectuelle qui prétend réduire une religion à « sa » prétendue essence. En ce domaine aussi l’essentialisme est une maladie de la pensée, ou une démarche visant à imposer une identité, à fractionner la population en groupes antogoniques.
(1) Voir notamment le livre que Pierre Bouretz vient de consacrer à Maïmonide (1135-1204) qui œuvra pour une philosophie et une pédagogie populaires, unissant la religion juive et la philosophie d’Aristote. "Lumières du Moyen-Age. Maïmonide philosophe" 2015 Gallimard.
Voir aussi les série de documentaires « Juifs et arabes, si proches, si lointains », particulièrement les siècles dits « de l’Age d’Or » mi-8° siècle à mi-13° siècle.
J’ai élaboré ce billet au cours du débat qui a fait suite à l’article : https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/040816/science-contre-religion-une-histoire-qui-repart/commentaires#comment-7680817
Lire aussi : https://www.mediapart.fr/journal/economie/080816/les-extremistes-juifs-une-plaie-au-coeur-d-israel
https://blogs.mediapart.fr/francois-g/blog/070816/la-fermeture-des-commerces-du-camp-de-calais-nest-pas-justifiee (un jugement en a heureusement bloqué la déraison)
(2) Dans son commentaire, que je reproduis ici, Christine Bord, historienne spécialiste du Moyen-Age, écrit : "... il y a toujours eu alliance et discontinuité entre l'orient et l'occident dont aujourd'hui les tendances s' opposent. Les Lumières ( l'Humanisme, la Réforme, dans ces développements au moins ) ont permis de limiter le pouvoir temporel du christianisme. A l'inverse, une tendance minoritaire, mais active, de l'islam wahhabite se développe depuis une dizaine d'années. Est-ce que cela a toujours été le cas ? Certes pas. Même au sein du dogme (donc je ne parle même pas des mouvances adogmatiques et spirituelles qui ont toujours été minoritaires) il y a eu des temps apaisés. J'en veux pour exemple le pouvoir des femmes au moment du premier islam, leur autonomie, le rôle majeur qu'elles ont joué (et je renvoie au très bel essai de la sociologue Fatema Mernissi, qui a mené une véritable enquête a partir d'un haddit maintes fois aujourd'hui entendu et répété : "ne connaîtra jamais la prospérité le peuple qui confie ses affaires à une femme", pour démontrer que c'est là une représentation tardive et inverse à la réalité des faits : "Le harem historique", Albin Michel, 2010).
Ce qui devient (ou voudrait devenir) guerre de religion, n'est donc que vision d'un instantané historique qui voile une réalité politique (sociale aussi) autrement complexe, dans laquelle on peut voir des rapports de force qui ne sont antagonistes que pour ceux qui les subissent et non pour ceux -la minorité qui décide- dont la finance mondiale et ses dévoués serviteurs qui n'ont plus rien de politique, au sens étymologique du terme, qui les ont développés ou laissés prosperer.
Là se brouillent les pistes et nos peurs, là se jouent des enjeux qui jamais ne nous sont restitués comme "chose publique", là s'efface l'histoire sous les récits qu'on en fait, les mythes qu'on en créée.
Il devient capital que ces travaux sortent des universités, qu'ils soient "parlés" en "agora" au meilleur sens du terme. Il faut se donner la peine et le temps de "renommer", si nous ne voulons pas être réduits à subir le silence ou le bruit et la fureur de rigueur. Redéfinir c'est nommer. "
Bel exemple de déchiffrage de ce qui est actuel par interrogation du passé historique,
(3). Le terme « marigot » est parfois employé métaphoriquement pour suggérer des activités plus ou moins occultes, en eaux troubles, ou un milieu dangereux pour les personnes qui lui sont extérieures, étant souvent associé à l’habitat des crocodiles. (Wikipédia)
(4). La demande de pardon à Dieu de l’évêque de Pamiers et Cousserans pour le massacre au 13° siècle des Cathares, les Albigeois, donne l’occasion de rechercher ce qu’ils étaient. La bibliothèque de l’association Cathares aujourd’hui contient de nombreuses références d’ouvrage d’historiens, notamment Anne Brenon, « Le vrai visage du Catharisme » et d’un ouvrage collectif d’universitaires « Les Cathares devant l’histoire ». « Christianisme sans damnation éternelle et sans croix, le catharisme refusa le mal et la violence et crut en la bonté fondamentale de la nature humaine… » Cette religion se doublait d’une organisation sociale fondé sur des rapports d’égalité. La liquidation physique de cette religion concurrente de l'Eglise catholique, a en outre permi à celle-ci, très engagée avec la royauté, de lui apporter une province importante jusque là rattachée à l'Espagne.
Pour mémoire : https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/040816/science-contre-religion-une-histoire-qui-repart?page_article=2