Agnès Druel écrit : « Ils refusent de voir la banlieue telle qu’elle est, d’en parler, d’en faire la promotion parce que cela viendrait perturber l’imaginaire collectif. »
Avec son accord, je reproduis ici deux articles dans lesquels elle relate sa banlieue, telle qu’elle vit. .Assortis de deux des commentaires qui ont fait suite.
Agnès Druel, 5 décembre 2016
La rue du Landy,
je l’emprunte tous les jours pour me rendre au travail. Elle est longue cette rue. Elle traverse Saint-Ouen, Saint-Denis et Aubervilliers. Cette rue-là, elle montre à qui veut bien l’utiliser, ce qu’est la réalité dans ces 3 villes de la petite couronne. Ces 3 villes du nord parisien.
Je pense que c’est la rue des oubliés, des vrais oubliés de la République. Cette rue, elle défie quiconque de lui parler d’identité, de religion, d’appartenance, parce qu’elle vomira cette rhétorique, méprisera ces débats de salon où l’on s’écharpe pour savoir ce qui fait de nous un bon ou un mauvais français.
Dans cette rue, qui traverse 3 villes du 93, souvent citées comme étant des réservoirs à salafistes, la première chose qui frappe, c’est l’extrême pauvreté. Cette même pauvreté que l’on a tendance à ignorer, tendance à mépriser. Pourtant elle est là. Quand on part de Saint-Denis pour se rendre à Aubervilliers, c’est l’un des endroits les plus dénués de tout. Seule la pauvreté semble résister.
Un vide immense. Cette partie-là de la rue du Landy ne fait pas peur, en déplaise aux clichés tenaces, elle rend juste triste. Pourtant, au tout début, vers La Plaine, il y a quelques commerces, des habitations récentes, un quartier tout neuf qui sort de terre. Aussi pour satisfaire et rendre attractive cette partie de la ville pour les entreprises qui trouvent les loyers parisiens trop élevés.
On lit l’abattement sur le visage des gens dans cette rue. Celui d’habiter un endroit pareil en 2016. Celui de vivre dans un immeuble risquant de s’effondrer à tout moment et rongé par l’humidité. Cet endroit, entre Aubervilliers et Saint-Denis, est l’image même de ce qu’est la misère et l’abandon de l’état et des mairies face à l’accroissement continue de la pauvreté en France.
Vers Saint-Ouen, l’ambiance est différente. Un peu moins excentré, il y a le métro pas loin. Et beaucoup de parisiens qui viennent y acheter leur herbe. Ce qui me rend le plus triste, c’est l’âge des guetteurs. 14 ans parfois. Quand tu as compris que l’égalité des chances n’est pas la même selon ton code postal. Pourtant il y a un peu plus de vie dans ce coin-là. Des commerces, des bars, des immeubles mieux entretenus. Mais toujours, il y a quelque chose qui bloque. La mairie, par exemple, qui a abandonné depuis bien trop longtemps son rôle auprès des jeunes. A privilégier la paix sociale au détriment d’une vraie bataille qui pourrait garantir un semblant d’égalité en matière d’éducation.
Et puis cette rue est surtout victime des combats d’égo des politiciens. Qui pourra bien se fera élire en proposant un programme qui refuse la pauvreté, la misère sociale, et d’essayer tous ensemble de tendre vers une société qui soit plus égalitaire. Qui aura l’honnêteté de dénoncer ce qui est écrit dans le rapport du Secours Catholique sur l’état de la pauvreté en France et de l’augmentation de près de 3% du nombre de pauvres en France.
Et puis, la pauvreté ne fait pas vendre. Le pauvre, s’il est pauvre, c’est qu’il le veut bien aussi. Il ne fait pas grand-chose pour s’en sortir. C’est un assisté. C’est bien pour cela que l’on vote Fillon : Il a trouvé la solution pour qu’il n’y ait plus d’assistés. On lui supprimera ou réduira toutes ses aides. Comme ça plus de problèmes. On pourra enfin se sentir plus à son aise d’avoir stigmatisé les pauvres et ainsi, leur nier toute humanité.
Mais personne n’ira se battre pour les pauvres comme l’on peut se battre pour toutes autres causes. Ce n’est pas assez glamour de dire qu’il faut réduire les inégalités territoriales, que l’insalubrité ne devrait même plus exister en France en 2016. Non, cela ne fait pas partie des belles luttes, celle qui peuvent donner une place au soleil pour certains militants et qui font faire de l’audimat.
Qui vient parler des jeunes collégiens qui arrivent en 6ème en ne sachant ni lire, ni écrire ? Qui parle de l’abandon scolaire parce que la rue propose mieux, qui parle du mal-logement en région parisienne, qui parle de l’inégalité pour l’accès au soin, de réseaux de transports, qui se bat pour que l’éducation soit une priorité dans les milieux défavorisés ?
Parce que nous pouvons débattre des heures entières sur l’écriture ou non d’un roman national, parler des heures d’identité, de religion, de tout ce qui vient diviser encore plus notre société. Mais tous ces débats, qui concernent surement plus les habitants de la rue du Landy que les lettrés de Paris intra-muros, profitant de chaque bonne occasion pour se faire une place au soleil en utilisant certaines causes, n’aident en rien ceux qui voit la fracture grandir un peu plus chaque jour.
La rue du Landy, c’est cette France que l’on oublie, cette France que l’on a le droit de détester sans se voir assigner au tribunal pour propos dégradants. La rue du Landy montre qu’en 2016, on peut toujours haïr le pauvre, le mépriser et l’ignorer comme bon nous semble. En bon chrétien que nous sommes tous dès lors qu’il s’agit de défendre les valeurs de notre France face à l’envahisseur musulman. On le trouve en dessous du refugié, du migrant, du musulman, le Pauvre. Ne récoltant les faveurs d’aucun BHL de l’humanitaire qui serait prêt à mouiller sa chemise pour lui.
Témoignage de Fabienne :
Je suis née à Saint Denis, j’y ai vécu dans un HLM qui m a permis d avoir ma chambre à 15 ans, j’y accompagnais ma mère dans un marché et des rues commerçantes variées et vivantes.
J’ai pu faire de belles études alors que l’ascenseur social n’était pas bloqué, j’y ai exercé 20 ans comme "médecin paysan" ....et pendant ces 20 ans j'ai assisté à l'inexorable descente aux enfers de ceux d’en bas...pauvreté alimentaire et énergétique grandissante, infiltration de la drogue au cœur des quartiers et des lieux de vie des enfants, dégradation de l'éducation "offerte" et donc logiquement du bagage desdits jeunes pour exprimer leurs pensées et leurs colères ( comment s’étonner alors d'un passage par le non-verbal ?), mais aussi arrivée du foulard chez des femmes qui ne le portaient pas 10 ou 20 ans plus tôt (étendard demandant à exister socialement devant l’invisibilité ressentie?)...
Et maintenant, en sus de cette invisibilité aux yeux de ceux d’en haut, et parce qu’il devient de plus en plus difficile de maintenir cette marée de pauvres invisible, une nouvelle stratégie: l exhiber comme un objet, et non un groupe d’hommes et femmes, méprisable car proclamés « responsable et auteur de son état », donc méprisée avec un cynisme et une arrogance inimaginables.
Mais c’est peut être une " chance" : ces oubliés d’en bas, qui baissaient la tête pour se rendre invisibles consentants, face à ce mépris actif et affiché, commencent à relever la tête. C’est un début de dignité retrouvée, dont il pourra sortir enfin une réaction, laquelle ?, la radicalisation n’en est qu’une parmi d’autres, mais tant d’autres sont possibles.
Beaucoup de tristesse et de craintes, mais aussi une petite raison d’espérer.
Agnès Druel, 30 janvier 2017
Ce matin, entre les hashtags #MuslimBan , #Quebec et #SalutManu , un article m’interpelle. « Comment baise-t-on en banlieue ? ». Oui parce que pour ceux qui ne savent pas, en banlieue, nous ne faisons pas l’amour, nous baisons. Donc, interloquée, je me décide à lire cet article.
Une lecture amère et un sentiment, certes de déjà vu, mais surtout d’écœurement. Tous les clichés sur la banlieue sont réunis dans cet article. On y apprend qu’en banlieue « On se fait dépuceler dans les cages d’escalier » et que « le recours à la prostitution est fréquent pour pallier à l’absence de vie sexuelle ».
Je m’arrêterais là pour les extraits de cet article. Le reste est bien trop vulgaire pour être reproduit ici. D’ailleurs l’auteure s’autorise à employer un vocabulaire grossier, mal maitrisé, faussement « cool », comme le montre le titre de son article, aguicheur et réducteur. Elle répète régulièrement « baiser » dans son article, pas de sentiments, pas d’amour, pas de belles histoires, que des drames, des tromperies, des pilules oubliées et des avortements foireux.
Elle aurait pu appeler son article « Bienvenue au zoo » que j’en aurai été pas plus choquée. Nous, habitants de banlieue, source illimitée de clichés pour toute personne en manque de sensations fortes et d’expériences nouvelles remercions une fois de plus l’effort fourni par cette journaliste de s’être déplacée chez nous et d’avoir par conséquent contribué à véhiculer une image saine et positive de la banlieue.
Oui c’est vrai, la banlieue, c’est le seul endroit en France où l’on se permet une familiarité avec ses habitants. Imaginons un seul instant le même article sur les habitants de Neuilly sur Seine. Impossible. A Neuilly, dans l’imaginaire collectif, les gens s’aiment et se respectent, et surtout, on n’y baise pas. On y fait l’amour. C’est bien plus chic.
La banlieue, on s’autorise toujours à lui cracher dessus et la mépriser. Soit les filles seront considérées comme « des putes » soit comme étant « soumises à leurs maris / frères / pères et n’ayant pas leur place dans l’espace public ». Les hommes, eux, seront toujours « des délinquants », « des dealers » ou « des extrémistes ». Un futur bien reluisant donc.
J’aime bien entendre les gens me dire « Saint-Denis ça craint ». Je demande toujours pourquoi. Généralement, les personnes n’y sont jamais allées. Ce sont des « on dit ». Quoique l’assaut du 18 Novembre 2015 est devenu maintenant la caution dès lors que l’on évoque son désamour pour la banlieue.
La banlieue, dans l’imaginaire collectif, ce n’est pas la France. Ils sont trop colorés pour être français de l’autre côté du périph. Et puis les reportages de Bernard sur M6 le montrent bien, c’est dangereux, et puis il y a beaucoup d’Islamistes là-bas. Peu importe que la fracture viennent à s’agrandir avec ce genre de reportages.
Ils refusent de voir la banlieue telle qu’elle est, d’en parler, d’en faire la promotion parce que cela viendrait perturber l’imaginaire collectif. En banlieue, la normalité ne semble pas exister pour ces attiseurs de haine. Il faut dénigrer, animaliser et détruire constamment.
Merci donc à tous ces journalistes qui viennent vendre leurs torchons en utilisant les pires clichés sur les banlieues, en pratiquant le mépris de classe, en étant perpétuellement condescendants avec tout ce qui semble être différents de leurs schémas habituels et en faisant le choix d’ignorer le tort causé par leurs soi-disant « enquête de terrain ».
Témoignage de Joël Martin
J'ai été invité naguère à causer physique de la matière à une classe de troisième dans un collège de Saint-Denis. Des collègues m'ont fortement déconseillé d'y aller (tu vas te faire racketter, etc). Je leur ai ri au nez, leur rappelant que nous étions dans un labo expérimental.
J'ai donc été faire l'expérience. C'était en février.
Une de mes plus beaux souvenirs de "partageux de la science". Une écoute attentive, des questions d'une profondeur bouleversante chez des jeunes de cet âge. Je devais causer de 13h30 à 14h30. Mais à 18 heures j'y étais encore avec toutes les troisièmes, des parents d'élèves et tous les profs.
Au moment de partir, un élève me dit : "En juin, on fait une fête, viens, on te fera goûter des gâteaux comme t'en n'as jamais mangés.
J'y ai été. A mon arrivée : "Ouais, il est venu, super".
Les gâteaux étaient délicieux et j'ai encore eu des questions précises sur mon laïus quatre mois auparavant.
Moralité : plutôt que des CRS, il faut envoyer à ces jeunes des professeurs Nimbus.
Illustre prédécesseur : Victor Hugo soi-même : "Quand on ouvre une école, on ferme une prison"...
PS - Deuxième moralité : Baisez, bastonnez pas Faites l'amour, pas la guerre.
A suivre : https://blogs.mediapart.fr/edition/educateurs-prioritaires