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A l'heure suisse

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Billet de blog 29 décembre 2010

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La Suisse et le principe de réalité

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De N...

... On n'a plus le droit de voir hors de la chambre de vision. Vous comprenez, il y avait trop de monde dehors. Comment les surveiller ? Ils allaient partout. Il devenait pratiquement impossible de les tenir et puis, forcément, ils recevaient par les spectacles de la rue et de partout des impressions diverses.
Alors ? L'Unité d'un peuple, nous n'allions quand même pas la laisser partir en miettes...

Henri Michaux (Face aux verrous, 'XI. Nouvelles de l'étranger')

Alors que la presse suisse revient sur l'année faste des sportifs nationaux ou célèbre le génie helvétique à travers une recension de ses objets culte, un sondage publié récemment dans le SonntagsBlick précise qu' « une grande majorité des Suisses est heureuse et pense le rester l'année prochaine. »

Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles pour la Confédération donc, à l'heure des bilans traditionnels de fin d'année.

Le bonheur... Mais à quel prix ?

Plus que jamais en cette année 2010, la Suisse a revendiqué, à défaut de la sauvegarder efficacement, sa place à part sur l'échiquier mondial ; le magazine Bilan se piquant même d'épingler la nullité de son grand voisin.

Une revendication qui se tisse sur le storytelling réactivé -depuis la fin du 19e siècle- des origines mythiques de la Confédération : la lutte contre l'envahisseur et ses « velléités hégémoniques », envahisseur aujourd'hui présent sous les avatars de l'Europe technocratique ou des Etats-Unis.

La sauvegarde du modèle suisse -dont les qualités sont indéniables- et de la souveraineté nationale étayés par le peuple[1], grâce au système de démocratie directe, a pris une nouvelle fois en 2010 la forme d'un repli : lutte contre l'étranger et les menaces qu'il est censé représenter, crainte atavique du changement. Lutte condamnée par les instances internationales, mais saluée par une bonne partie des peuples européens. Lutte qui signale une problématique cruciale au cœur de notre complexe modernité : celle du métissage et de la diversité d'une part et de l'identité et de l'unité d'autre part.

Le pays qui vient de réaliser une prouesse technologique permettant d'établir un trait d'union entre l'Europe du Nord et l'Europe du Sud en creusant ses entrailles -annihilant de la sorte symboliquement ses citadelles- entend pour l'instant régler ce problème d'ouverture par la stigmatisation, l'exclusion et le repli.

Une réaction, nous l'avons souligné, qui séduit une partie de l'électorat européen, qui fait de la Suisse le porte-parole d'un mal qui ne se réglera pourtant ni par l'angélisme (le métissage n'est pas un problème) ni par la diabolisation (le métissage est la source de tous nos maux). Il s'agira, pour le surmonter, d'oser se mesurer à la marche du monde. De se perdre, un peu, pour mieux se retrouver.

Ces réflexions m'ont porté vers un texte de Jérémie Szpirglas (contributeur régulier de Mediapart). Ce texte, selon les dires de son auteur, « n'a que très lointainement rapport à la politique » mais il offre un écho poétique aux défis qui attendent la Suisse, et, partant, l'Europe :

La vue des bateaux immaculés glissant sur la surface à peine ridée des lacs helvètes m'attriste. Ils ne feront jamais l'expérience de la fragilité de leur existence face à l'immensité écrasante de l'océan, la rudesse nerveuse du clapot, la puissance majestueuse de la houle. Faisant rond dans l'eau, ils achèvent toujours leur parcours. Prisonniers des hauts sommets et des alpages abrupts, ils développent une myopie frileuse, et n'éprouveront jamais cette angoisse essentielle qui précède la peur de la fuite. Tranquille sur l'étendue proprette, arborant avec une fierté discrète leur pavillon d'ailleurs, ils prétendent promettre, et ne délivrent que quiète aventure. Vestiges aseptisés d'une belle époque désuète, leurs promenades sont toujours dominicales. Leurs voiles ne connaîtront pas la morsure violente des embruns salés, leurs coques ne sont que douceur, ils avancent calmes, ignorant sous eux les trois cents mètres encaissés.

Et cheminent ainsi, indifférents, à jamais, à l'eau et aux siècles.

© J.Szpirglas, 12 septembre 2010

(Merci à arnaud maïsetti pour la citation de Michaux)

Photo : Carte de vœux 2010 du conseiller fédéral UDC Ueli Maurer


[1] De fortes disparités dans les décisions politiques apparaissent toutefois entre, notamment, les grandes villes et les zones rurales ou les cantons romands et alémaniques. Notre analyse a une portée nationale.

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