Billet de blog 26 octobre 2011

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Témoignage de Chakib Alkhayari, défenseur des droits humains, ancien prisonnier d’opinion

Chakib Alkhayari, injustement emprisonné en février 2009 pour avoir dénoncé la corruption de responsables publics au Maroc, a été soutenu dans le cadre du Marathon des signatures 2010. Il a été libéré en avril 2011. Voici son témoignage.

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Chakib Alkhayari, injustement emprisonné en février 2009 pour avoir dénoncé la corruption de responsables publics au Maroc, a été soutenu dans le cadre du Marathon des signatures 2010. Il a été libéré en avril 2011. Voici son témoignage.

Mon arrestation arbitraire, qui a duré deux ans et deux mois et m'a conduit dans cinq prisons différentes à travers le royaume marocain, a été pour moi une expérience riche en découvertes et en leçons. Cette période m'a permis de voir le monde qui m'entourait d'un autre œil, et m'a amené à vivre une réalité humaine inconnue et inimaginable pour la plupart des gens.

L'arrestation

J'ai été arrêté le 17 Février 2009 pour « atteinte à corps constitué ». Quelques mois plus tard, on me condamnait à trois ans de prison ferme et à verser aux douanes marocaines plus de 753 000 dirhams (68 000 euros) pour le double motif d'« atteinte à corps constitué » et « infraction au code des changes », une nouvelle charge qui est venue s'ajouter à mon dossier.

Tout au long de l'instruction de l'affaire et du déroulement du procès, j'ai subi un certain nombre de violations flagrantes de mes droits, à commencer par cette arrestation arbitraire, mais également l'accompagnement au domicile familial pour une fouille non autorisée, le dépassement de la durée légale de la garde à vue, la falsification des procès-verbaux de la police, ainsi que tous les abus qui ont marqué ces procès en première instance et en appel, et notamment le fait qu'on m'ait attribué des déclarations à la presse que je n'ai jamais données.

Malgré le fait que le juge en charge de mon dossier n'ait pas réussi à motiver l'accusation «d'atteinte à corps constitué », ni à clairement identifier le « corps » en question, j'ai été condamné pour un motif dénué de toute signification.

Il est évident que la justice marocaine a fabriqué ces fausses accusations pour restreindre la liberté d'expression et réprimer les journalistes et les défenseurs des droits humains.

En réalité, j'ai été arrêté pour mon activisme et mes déclarations aux médias marocains et internationaux. J'ai dénoncé l'implication de dignitaires marocains dans un trafic mondial de drogues et l'intrusion de certains trafiquants au sein du parlement marocain pour user de la politique comme d'un moyen de facilitation de leur commerce illégal. Suite à ces mêmes déclarations, des dizaines d'agents de sécurité marocains, dont certains appartenant à l'armée, ont été arrêtés, avant que je ne les rejoigne ensuite dans la même prison.

Malgré ces faits, la cour de justice m'a quand même demandé si j'avais des preuves sur l'implication d'agents de sécurité dans le trafic mondial de drogue. Je répondais alors en vain : « vous avez arrêté des dizaines d'entre eux un mois avant mon arrestation, puis vous m'avez conduit à la même prison ».

De plus, j'ai fourni à la cour pour ma défense des déclarations de responsables de partis politiques participant au gouvernement et qui confirment l'irruption sur la scène politique de barons de la drogue, dont un témoignage de l'un d'entre eux à la deuxième chaine marocaine où il affirme que près du tiers du parlement marocain était infiltré par des trafiquants. Seulement, la cour n'a pas pris en compte ces éléments, et m'a condamné.

La solidarité

Amnesty International a été la première organisation de défense des droits humains à entrer en contact avec mon frère, deux jours seulement après mon arrestation. Au quatrième jour, Amnesty International a publié un communiqué pour exposer mon cas et demander aux autorités marocaines de me libérer immédiatement et sans conditions. Dans le même temps, Human Rights Watch a également publié un communiqué (auquel je dois aussi beaucoup), trois jours après mon arrestation. L'engagement de ces deux organisations pour ma cause a été déterminant et à l'origine du mouvement de solidarité national et international qui a contribué à affaiblir la position de ceux qui voulaient me nuire.

Depuis cet instant, Amnesty International a suivi de très près l'évolution de ma situation. A chacune de ses visites hebdomadaires en prison, mon frère était contacté par téléphone, avant et après notre rencontre, par des responsables d'Amnesty International qui cherchaient à s'informer sur ma situation personnelle. Cette attention m'a beaucoup réconforté sur le plan moral.

J'affirme sans exagération que je me suis senti libre grâce à Amnesty International. Comment ne pas avoir ce sentiment de liberté, alors que je recevais chaque semaine par l'intermédiaire de l'administration pénitentiaire des dizaines de lettres de soutien provenant de partout dans le monde, grâce aux campagnes organisées par Amnesty International pour « écrire contre l'oubli ».

Ce soutien m'était d'un grand secours : il m'a permis de faire face aux conditions dans lesquelles j'étais détenu, loin de ma famille et de mes amis. Ces mots reçus, emplis d'émotions et de sentiments chaleureux, écrits par des enfants, des adultes, des jeunes, et des femmes que je ne connaissais pas m'ont permis de ressentir que nous n'étions pas seuls, ma famille et moi; que par mon incarcération, nous ne faisions que notre devoir pour combattre la corruption et l'injustice. Malgré le fait que nous n'étions qu'une famille modeste habitant une région inconnue dans le monde, nous avions toute la considération d'Amnesty International, au point qu'elle nous dédiait une équipe entière qui travaillait jour et nuit pour suivre et s'informer sur notre situation et nous apporter du soutien.

Tout ce qu'Amnesty International a fait pour moi n'est pas vain, puisque j'ai finalement été libéré quatre mois après le « Marathon des signatures », et après que l'État marocain a annoncé la clôture de 190 affaires juridiques entachées d'irrégularités. Certes, il y a eu d'autres tentatives pour ma libération, une année avant ma sortie de prison, sous l'effet de la pression internationale.

Mais je n'ai pas souhaité répondre par la positive à ces tentatives, car elles visaient avant tout à me discréditer et à dédouaner l'Etat marocain de toute responsabilité et de toute faute.

Depuis ma libération, je participe activement auprès d'Amnesty International aux campagnes visant à défendre les victimes de procès iniques et les personnes dont les droits sont bafoués à travers le monde. Et je continuerai à le faire toute ma vie. De simples actions comme remplir cinq cases sur une page de pétition sur Internet et cliquer gratuitement sur un bouton peuvent aider beaucoup de gens dans le monde.

Envoyer une carte postale peut aider à redonner le sourire à des prisonniers innocents qui croupissent au fond de leurs geôles. Grâce à un don modeste, on peut aussi aider Amnesty International à veiller jour et nuit, sans relâche, à améliorer la condition humaine dans beaucoup d'endroits dans le monde, même ceux dont on ignore l'existence.

Je salue Amnesty International et toutes celles et ceux qui la soutiennent.

Chakib Alkhayari

Traduit de l'arabe par Amnesty International.

La transcription de son nom de l'arabe au français connait deux versions : Chekib el Khiari et Chakib Alkhayari. Nous avons retenu la plus couramment utilisée.

Photo 2 : Geneviève Garrigos, présidente d'Amnesty International France, et Chakib Alkhayari le 28 mai 2011 à Paris.

Avec Amnesty International, le 3 décembre, agissez sur www.marathondessignatures.com !

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