Billet de blog 20 juillet 2022

Karen DM

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Pédaler sous 40°C

Mon rythme cardiaque augmente très rapidement. Je suis au ralenti, comme alourdie. La chaleur du macadam est étouffante, notamment lorsque je m'arrête au feu rouge et que l'effort physique qui m'a déjà réchauffé·e monte et me prend à la gorge. Je suis une femme de 27 ans, et je suis livreuse à vélo. 

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Lundi 18 juillet, il a fait un plateau à 34-35°C à l'ombre Toulouse. Environ 65°C sur le bitume. Sources : Météociel, EOSDIS Worldview, T° à 14h.

Je suis une femme de 27 ans, je suis livreuse à vélo depuis plus d'1 an. 

Ce que ces chaleurs font ressentir physiquement : mon rythme cardiaque augmente très rapidement, je suis au ralenti car comme alourdie par cette chaleur. Ma bouche se sèche très vite et j'ai rapidement soif. Je transpire rapidement, de partout. Le soleil m'endort. Aussi, la chaleur du macadam est étouffante, notamment lorsque l'on s'arrête au feu rouge et que l'effort physique qui nous a déjà réchauffé·e monte et nous prend à la gorge. Les scooters, motos, voitures, bus, camions qui passent près de moi renvoient une chaleur monstrueuse. C'est dur de partager la route avec eux. J'aime quand mes livraisons sont excentrées, dirigées dans des quartiers résidentiels dont les chemins me couvrent à l'ombre des arbres.

Les semaines de règles, c'est la même peine, mais avec deux fois plus de fatigue, physique aussi bien que mentale, donc encore plus de difficulté à continuer de pédaler et à "se dépasser". Heureusement, j'ai conscience d'avoir un droit de retrait quand je sens ma santé vraiment être en danger.

Du point de vue social, les commandes continuent, même dans des logements situés en fort dénivelé positif, et lorsque j'appelle les client·es pour leur expliquer que je suis incapable de grimper avec ces chaleurs, sous peine de m'évanouir ou d'avoir un problème de cœur, il y a plusieurs types de réponses. Par exemple, l'un a été compréhensif, m'a dit "c'est pas grave, c'est normal, je ferai autrement. Faites attention à vous". Une autre m'a dit "ah bah oui mais je fais comment moi, du coup ?" Avec moins d'empathie. Le personnel de restauration est lui très compréhensif et me propose un verre d'eau fraîche à chaque fois. Mon entourage félicite mon courage et m'envoie ses pensées. Cette solidarité fait du bien. On est un peu tous et toutes dans la même merde, on partage la même planète (et peut-être que ces dangers climatiques sont une façon, malheureuse, de se le rappeler).

Quant à chez moi, ce n'est pas l'endroit idéal pour se rafraîchir : 21 m² en plein centre-ville et en plein soleil en fin de journée. Simple vitrage. Un ventilateur, timide, en guise de rafraîchissement. Ça brasse de l'air chaud plus que ça ne rafraîchit réellement. Les toulousain·es sont certes habitué·es aux fortes chaleurs, mais pas telles. Les infrastructures ne sont pas particulièrement adaptées car cette canicule est nouvelle, et malgré quelques parcs, il n'y a pas suffisamment de verdure. Il y a encore trop de béton et de véhicules qui brassent de l'air chaud. Il y a aussi les magasins dans les grandes rues commerçantes, qui rejettent beaucoup de chaleur avec les mini-clims. Les oiseaux semblent assoiffés. Je mets un bol d'eau sur mon balcon pour les aider. Les chiens doivent aussi avoir les coussinets qui brûlent, il faut faire attention à eux. Enfin, mes plantes d'intérieur sont complètement ramollies, elles aussi. Tous et toutes dans la même merde, je disais.

D'un autre côté, ce job de livreuse à vélo aura entraîné mon corps à la vie en extérieur, aux différentes conditions climatiques (qui, à Toulouse, passent par tous les états : froid, pluie, rafales de vent, pollen qui pique les yeux et la gorge, soleil carbonisant... Parfois les conditions sont parfaites : températures douces, pas de vent, pas de pluie. Mais c'est si rare). Donc même si j'en pète clairement, comme tout le monde, et que j'ai besoin de 2 douches froides par jour pour ne pas m'endormir sous cette chaleur étouffante, j'ai le sentiment que mon corps (ma peau aussi bien que mes organes internes) s'adapte, comme si mes sens et l'environnement se connectaient. 

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