Voici ci-dessous des extraits du livre de l’historienne Françoise Jacquin intitulé « Louis Massignon hôte de l'Étranger » publié en 2016 avec une préface de Mgr Jean-Marc Aveline évêque de Marseille.
Ce sont les positions sur Israël et la Palestine exprimées en 1948 par Louis Massignon, un islamologue renommé et orientaliste anticolonial, devenu au contact de l’islam un mystique chrétien. Il a été professeur au Collège de France et donnait des cours à l'Ecole des hautes études ainsi que dans des académies de plusieurs pays.
Le témoignage de cette haute conscience a été fait à l’époque de la naissance dans la violence de l’Etat d’Israël. Il est aujourd’hui d’actualité. En effet, il résonne avec le drame que le monde connaît depuis le 7 octobre 2023 et la guerre de Gaza. Cette enclave où des centaines de milliers de civils vivent depuis plusieurs mois sous les bombes et la famine.
-Extraits :
Israël/Palestine
Si Massignon a tant de fois vitupéré contre Israël, ce n'est pas seulement à cause du sort fait aux palestiniens, c'est aussi et même d'abord parce qu'il considérait que le peuple juif manquait à « sa sainte vocation terrible, sublime et surnaturelle ».
[Ce peuple] ne comprend plus que la valeur héroïque dont Abraham a pratiqué la vertu d'hospitalité ne lui a pas seulement valu d'avoir la Terre Sainte en héritage, mais d'y faire entrer tous les hôtes étrangers que son hospitalité a bénis [...]. L'hospitalité d'Abraham est un signe annonciateur de la consommation finale du rassemblement de toutes les nations, bénies en Abraham; cette Terre Sainte ne doit être monopolisée par aucune. Et, tant dans son Ascension nocturne que dans sa première orientation de prière canonique vers Jérusalem, Mohammed, le prophète de l'islam, a revendiqué la part de bénédiction abrahamique, la part de possession de la Terre Sainte promise à tout fils d'Abraham, fils selon la naissance ou selon l'adoption de la foi.92
Déjà Massignon s'était enflammé lors de la prise de Nazareth par les sionistes, car outre leur action de force, il ne supportait pas que ce lieu saint des chrétiens devienne la proie des blasphémateurs de la virginité de Marie. Choqué par le manque de réaction de la chrétienté occidentale, il la qualifie de « trahison »93.
Plus largement, il considérait cette terre comme le bien de tous les croyants au Dieu d'Abraham. Le nouvel État doit s'en souvenir et ne pourra s'y maintenir que sous un contrôle international, acceptant d'y vivre avec les musulmans pour qui Jérusalem est la « première et la dernière qibla* et avec les chrétiens qui sont tous nés natifs de Nazareth de par le Fiat marial de l'Annonciation »94.
[Jérusalem doit] rester lieu d'asile de tous les pèlerins, tunique sans couture de la réconciliation mondiale, lieu d'intime mélange entre tous, et, pour commencer, entre ceux qui ont tout de même plus de raisons de s'unir que de se haïr, sémites, juifs et arabes, fils d'Abraham, et chrétiens spirituellement sémites qui devraient avoir tous renié le culte des idoles.95
Massignon se fera donc un devoir d'alerter le Souverain Pontife, et ira lui demander personnellement d'intervenir en médiateur avec Israël en faveur d'une internationalisation des lieux saints 96.
Néanmoins, quelques fidèles amis juifs rejoignent le vieux professeur dans son combat :
Je fus très ému d'entendre Magnes** m'affirmer à nouveau que le seul vrai péril qui menace Israël dans le Sionisme terroriste, c'est qu'il renie la vocation plus qu'internationale, supranationale, que Dieu, qui est sans repentir, lui a fixée ici-bas.97
Notes :
92 1952, « Le respect de la personne en islam et la priorité du droit d'asile sur le devoir de la juste guerre », EM*** I, p. 788.
93 Voir : 1948, « Nazareth et nous nazaréens, Nasara**** »,
EM I, p. 760-763.
94 1948, « Jérusalem ville de paix », EMI, p. 745.
95 1948, « La Palestine et la paix dans la justice », EM 1, p. 736.
96 Voir Agathe MAYERES-REBERNIK, Le Saint-Siège face à la "Question de la Palestine ». De la déclaration Balfour à la création de l'État d'Israël, Paris, Honoré Champion, 2015.
97 1948, « Jérusalem, ville de paix », EM I, p. 744.
Asterix :
* « qibla » mot arabe qui désigne l’orientation de la prière en direction de la Mecque
** « Magnès » Rabbin Judah Magnès (+ 1948)
*** EM : « Écrits Mémorables » publiés en 2009 dans la Collection « bouquins » édition Robert Lafont
**** « nasara » terme coranique qui désigne les chrétiens par l’appellation « Nazaréens » en référence à Nazareth la ville de Jésus

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