« Le premier des bons ménages est celui qu’on fait avec sa conscience » (V. Hugo)
Le Jeudi 9 décembre 2021, date anniversaire de la loi sur la laïcité de 1905, on a entendu sur France 2 dans l’émission « Élysées 2022 » Zemmour, ancien polémiste de Cnews la télé du riche Bolloré, s’en prendre sans gêne aux citoyens musulmans et à l’islam comme lors de l’annonce de sa candidature sur TF1.
Le jeudi d’après le 16/12/2021 sur C8, une autre télé privée du riche Bolloré, Zemmour a renouvelé les mêmes accusations contre l’islam et les musulmans. Sur les deux chaînes France 2 et C8, Zemmour a cité une phrase sortie de son contexte du grand érudit Ernest Renan bien que ce dernier n’a pas caché sin admiration de l’islam, de Mahomet et de la brillante civilisation arabo-musulmane comme nous le verrons plus loin.
Face à des contradicteurs le candidat à l’élection présidentielle a récité sa même rengaine apprise par cœur. En effet, il a tenu des propos outranciers devenus habituels chez lui contre toujours la même religion de l’islam qu’il ne connaît absolument pas et dont il déforme lés préceptes. Il s’attaque aussi à ses adeptes musulmans sans distinction en violation des principes républicains, de la constitution, de la Déclaration des Droits de l’homme, de la loi de 1905, des conventions européennes et internationales qui garantissent tous la liberté de culte, de croyance et de conscience.
De manière aberrante, il reproche à la dernière religion monothéiste révélée d’être pêle-mêle « totalitaire, un code, des lois islamiques … etc », et, qu’en conséquence il demande aux musulmans de « choisir entre les lois Islamiques et les lois de la république ».
Pourquoi n'adresse-t-il pas la même demande aux juifs et aux chrétiens ? Le judaïsme aussi bien que le christianisme professent le même dogme que l’islam et ces cultes possèdent leurs règles et leurs lois. Les différents corpus juridiques bibliques et évangéliques sont utilisés en France par les tribunaux ecclésiastiques et les tribunaux rabbiniques alors qu’aucun tribunal religieux musulman n’exerce dans l’hexagone.
Il répète à chaque fois la phrase de ce révolutionnaire Clermont-Tonnère : « Rien aux juifs en tant que nation et tous aux juifs en tant qu’individus ». Or, la vrai phrase est la suivante : « Il faut tout refuser aux Juifs comme nation et tout accorder aux Juifs comme individus ».C’est exactement ce que demandent les musulmans à savoir être traités à égalité et ne pas subir des accusations mensongères et les rejets islamophobes.
Zemmour a aussi l’outrecuidance de demander aux citoyens musulmans de « s’assimiler » comme on le demandait aux juifs dans les années antisémites d’avant guerre. Voici la réponse de Léopold Sedar Senghor : « Assimiler sans être assimilé. ».
Voilà à peine 116 ans qu’on a en France séparé l’Eglise de l’Etat, cest à dire le spirituel du temporel, ce qui n’empêche pas Zemmour de dénoncer ce lien au seul islam comme si tous les pays musulmans ne faisaient pas cette séparation. Son accusation qui n’est que théorique et n’existe pas dans la pratique, lui sert pour se permettre de demander aux citoyens français musulmans ou supposés tels de « choisir entre l’islam et la France ».
Pour conforter sa position extrémiste il cite un extrait d’un passage d’Ernest Renan véhiculé abusivement sur les réseaux sociaux par des identitaires connus comme racistes, antisémites et islamophobes. Ainsi Zemmour lit cette phrase de Renan écrite au milieu du 19ème siècle : « L’islam, c'est l'union indiscernable du spirituel et du temporel, c'est le règne d'un dogme, c'est la chaîne la plus lourde que l'humanité ait jamais portée. ».
Et dans la foulée il conclut : « Donc, il faut arracher ces chaînes des pieds des musulmans et de la France. ». On est en pleine folie ni les musulmans ni la France n’ont ces chaînes !
Il est tout de même extraordinaire que Zemmour qui fréquente assidûment les synagogues en appel à Renan qui n’a pas été tendre avec le judaïsme dont il demandait de séparer du christianisme. Renan a énormément critiqué ces deux religions dont il a mis en cause scientifiquement leur authenticité. Au sujet de Hésus il va beaucoup plus loin puisqu’il ne lui attribut pas la qualité divine mais le considère comme un humain rejoignant la position de l’islam.
QUE DIT RENAN SUR L’ISLAM ?
-Sur le Coran ;
E. Renan affirme l’authenticité du Coran alors qu’il avait anéanti les Evangiles comme non authentiques ce qui lui a valu son excommunication par l’Eglise.
-Voici des extraits tirés d’« Études d'histoire religieuse », éd. Michel Lévy frères, 1858, :
« Le véritable monument de l’histoire primitive de l’islamisme, le Coran, reste d’ailleurs absolument inattaquable, et ce monument suffirait à lui seul, indépendamment des récits des historiens, pour nous révéler Mahomet. … Toutefois, le Coran se présente à nous avec si peu d’arrangements, dans un désordre si complet, avec des contradictions flagrantes, chacun des morceaux qui le composent porte une physionomie si tranchée, que rien ne saurait, dans un sens général, en attaquer l’authenticité. ».
-Sur Mahomet :
« Mahomet nous apparaît comme un homme doux, sensible, fidèle, exempt de haine. Ses affections étaient sincères; son caractère, en général, porté à la bienveillance. Lorsqu'on lui serrait la main en l'abordant, il répondait cordialement à cette étreinte, et jamais il ne retirait la main le premier. Il saluait les petits enfants et montrait une grande tendresse de cœur pour les femmes et les faibles. « Le paradis, disait-il, est au pied des mères. ». Ni les pensées d'ambition, ni l'exaltation religieuse n'avaient desséché en lui le germe des sentiments individuels. »
-Voici encore de quoi instruire le funeste Zemmour:
-« L'islamisme a de belles parties comme religion ; je ne suis jamais entré dans une mosquée sans une vive émotion, et, le dirai je ? un certain regret de n'être pas musulman. ».
Conférence prononcée à la Sorbonne en 1883 : « L'Islamisme et la Science »,
QUE DIT RENAN SUR L’APPORT DE L’ISLAM DANS LE DOMAINE DE LA PENSÉE EN EUROPE ?
ZEMMOUR insiste pour dire que « notre civilisation serait chrétienne et gréco-romaine ». Il oublie sciemment ou il ignore l’apport considérable de la brillante civilisation arabo-musulmane dans le domaine de la pensée, de la raison et de l’intellect à l’Europe durant plusieurs siècles comme l’a écrit Voltaire et bien sûr Renan. Dans une conférence prononcée à la Sorbonne en 1883 « L'Islamisme et la Science » Renan souligne :
-« Ce fut par ces traductions arabes des ouvrages de science et de philosophie grecque que l'Europe reçut le ferment de tradition antique nécessaire à l'éclosion de son génie. »
Dans « Averroès et l’averroïsme » (1852) au Chapitre 1 : « l’averroïsme chez les juifs », pour Renan l’influence de la philosophie arabe sur la pensée juive est essentielle.
Extraits :
« La philosophie arabe n’a réellement été prise bien au sérieux que par les juifs. …
Toute la culture littéraire des juifs au Moyen Âge n’est qu’un reflet de la culture musulmane, bien plus analogue à leur génie que la civilisation chrétienne. … La domination musulmane en Espagne produisit les mêmes résultats. Jamais conquérants ne poussèrent plus loin que les Arabes d’Espagne la tolérance et la modération envers les vaincus. Dès le Xè siècle, l’arabe est la langue commune des musulmans, des juifs et des chrétiens. »
Dans le chapitre II : « L’Averroïsme dans la philosophie scolastique », Renan affirme que sans les philosophes musulmans Averroès et Avicenne il n’y aurait ni St Thomas d’Aquin ni Albert le Grand qui sont les pères de la scolastique chrétienne.
Extraits :
« Saint Thomas est à la fois le plus sérieux adversaire que la doctrine averroïste ait rencontré et, on peut le dire sans paradoxe, le premier disciple du grand Commentateur. Albert doit tout à Avicenne ; saint Thomas comme philosophe, doit presque tout à Averroès. Le plus important des emprunts qu’il lui a faits est sans contredits la forme même de ses écrits philosophiques. ».
EXEMPLES D’AUTEURS QUI ONT ECRIT SUR L’INFLUENCE DE LA CIVILISATION DE L’ISLAM EN L’EUROPE ?
On retrouve les mêmes affirmations que Renan chez Louis Gillet de l’Academie française dans son livre intitulé « Dante » publié chez Flammarion en 1941, dans lequel l’auteur, reprenant la thèse jamais réfutée de Don Miguel Asin Palacios*, soutient que le grand écrivain italien s’était inspiré d’un récit de Mahomet appelé le « voyage nocturne » pour écrire son œuvre monumental « La Divine Comédie ».
Voici ce que l’académicien Gillet écrit à ce sujet :
« Tout part d’une ligne du Coran, qui fait allusion à un mystérieux voyage nocturne de Mahomet. Il semble que ce voyage soit plutôt un ravissement, une extase sous forme cataleptique. … C’est au cours de cette transe, et dans l’espace d’une seule nuit, qu’il aurait fait le voyage de La Lecque à Jérusalem, puis le tour de l’autre monde, pour se retrouver le matin dans sa maison de La Mecque, comme si rien ne s’était passé. … De cette nuit du Prophète, elle allait faire les Milles et Une Nuits. ».
Concernant l’interpénétration des civilisations et les innombrables empreints notamment sur les plans philosophique et religieux Louis Gillet écrit :
« L’école dominicaine doit tout aux arabes, sans Lesquels elle n’aurait jamais connue Aristote. Le grand mouvement de pensée qui se produisit au XIIé siècle et se traduit par la fondation des Universités, résulte du flot de connaissances apporté brusquement par les maîtres de Cordoue qui, avec les livres de Stagyrite, ouvraient au moyen âge le trésor de l’expérience hellénique. … De la Perse, ce trésor avait passé aux écoles de Bagdad et du Caire, puis, vers le XIè siècle, aux brillants foyers d’études des Arabes d’Andalousie, alors sans rivaux dans le monde. Rien n’égalait dans l’univers la gloire des Avicenne et des Averroès. Dans son duel avec l’islam, l’Eglise n’eut d’autres ressources que de lui dérober ses armes. De là, l’élan extraordinaire qui s’empare des intelligences, le renouveau d’activité que nous admirons dans ce grand siècle, cette résurrection éclatante dont témoignent les noms d’un Alexandre de Halès, d’un saint Bonaventure, d’un Albert-le-Grand, d’un saint Thomas. Mais il faut convenir qu’entre eux et le Maitte des maîtres, la science arabe a construit le pont, et qu’aucun de ses grands hommes ne serait rien sans le génie d’Averroès. ».
Concernant la transmission des sciences Arabes qui était la passerelle qui reliait la chrétienté à l’islam, Louis Gillet insiste sur l’éclat de Tolède et des enchantements de Cordoue : « Là vivaient les savants, les sages, dont le prestige rayonnait sur le monde. Dès le début du XIIè siècle, l’archevêque Raymond, chancelier de Castille, avait un atelier de traductions où il faisait mette en latin, « mathématiques, médecine, physique, philosophie, histoire naturelle, tous les ouvrages lés plus célèbres de l’Islam », introduisait dans l’Occident ces deux inventions merveilleuses, clefs de tous les calculs, l’algèbre et les chiffres arabes. Tout cela se répandait avec une rapidité étonnante. « Tél un ouvrage, composé au Maroc ou au Caire, écrit Renan, était connu à Paris où à Cologne en moins de temps qu’il n’en faut de nos jours à un livre capital de l’Allemagne pour passer le Rhin. L’histoire littéraire du moyen âge ne sera complète, ajoute-t-il,que lorsque l’on aura fait la statistique des ouvrages Arabes que lisaient les docteurs du XIIIè et du XIVè siècles. ». ».
Rejoignant Renan, Dénis Saurât, un historien professeur à l’Université de Londres, écrit dans son livre plusieurs fois édité en 1933 « Histoire des Religions » :
« Au XIIè siècle, il était plus facile de penser à l’intérieur de l’islam qu’à l’intérieur du christianisme. Mais les générations des penseurs arabes s’atrophièrent et s’éteignirent, les penseurs chrétiens, au milieu de leurs difficultés plus grandes, furent plus nombreux et plus vigoureux, et se développèrent. Ils y furent aidés surtout par Averroès, dont l’œuvre resta en marge de l’évolution chrétienne jusqu’à la Renaissance, comme un guide le long du chemin : un guide plus libre et un peu dangereux vers une sorte de matérialisme panthéiste, qui, de Siger de Brabant, grandit jusqu’à Pomponazzi et qui doubla le christianisme officiel pendant deux ou trois siècles. »
Pour terminer sur ce chapitre rappelons Paul Valérie dans la « Crise de l’Esprit » texte publié au lendemain de la première guerre dans la Revue Française : « Nous autres , civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles…». Il y a ainsi des générations qui ont vécu en France et en Europe un destin catastrophique. On ne va pas le faire revivre à notre génération en laissant se propager dans son esprit une propagande mensongère qui risque de l’entraîner dans un tourment inévitable.
Enfin, Zemmour qui appartient à une famille issue d’une tribu judéo-berbère d’Algerie qui parlait arabe cite Camus parmi d’autres noms dans son livre « La France n’a pas dit son dernier mot ». Il devrait plutôt méditer cette phrase du prix Nobel de littérature en 1957, algérien comme lui, :
« Il y a dans les hommes plus de choses à admirer que de choses à mépriser » ( Albert Camus. La Peste)
En cette période de fin d’année, les fêtes chrétiennes de Noël et du Nouvel An correspondent à la naissance miraculeuse de Jésus. C’est là un des grands points communs entre le christianisme et l’islam que Zemmour dans sa haine cherche à opposer. Les deux religions reconnaissent la naissance miraculeuse de celui qu’ils considèrent comme le Messie né d’une Vierge Marie, seule femme dont le Coran consacre un chapitre entier qui porte son nom.
*Miguel Asin Palacios, La Escatologia en la Divina Comedia, Madrid, In-4o 1919.