Billet de blog 28 décembre 2022

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Il y a 100 ans la Mosquée de Paris : discours sur l’islam et la France

Extraits des discours officiels portant sur l’islam, la France et les musulmans. Ils furent prononcés lors du début des travaux en 1922 et à l’inauguration en 1926 de la Mosquée de Paris qui est une superbe réalisation architecturale musulmane au cœur de la capitale. Leurs contenus sublimes transcendent les banalités des discours et écrits d’aujourd’hui surtout ceux islamophobes.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Avertissement : les discours et les écrits de diverses personnalités dans cet article sont tirés du livre de référence de Sadek SELLAM intitulé « L’islam et les Musulmans en France », préfacé par Jacques Berque et publié en 1987 par les éditions Tougui.

Après plusieurs siècles d’attente et après plusieurs projets, il commença à se préciser à la fin du 19ème siècle l’idée de la construction d’une mosquée à Paris. Mais c’est lors de la première guerre mondiale de 1914/1918 et l’hécatombe de centaines de milliers de soldats musulmans sur les 490000 hommes venus du Maghreb et d’Afrique, que l’absence d’un lieu de culte musulman pour les rites funéraires se fit cruellement ressentir.
Ainsi au lendemain de la « der des ders » se constituèrent plusieurs comités de parrainage en faveur de l’édification d’une mosquée à Paris. En 1921 plusieurs personnalités et hommes politiques ont soutenu ou participé à ces comités dans lesquels on trouve le Maréchal Lyautey, H. Herriot, A. Briand, H. Poincarré, P. Doumer, les Maréchaux Foch, Pétain, …etc.

Voici des extraits des discours officiels portant sur l’islam, la France et les musulmans. Ils furent prononcés lors du début des travaux en 1922 et à l’inauguration en 1926 de la Mosquée de Paris qui est une superbe réalisation architecturale musulmane au cœur de la capitale. Leurs contenus sublimes transcendent les banalités et la régression des discours et écrits d’aujourd’hui surtout ceux de la propagande mensongère islamophobe de la fachosphère médiatico-politique.

Appel rédigé en juin 1921 par le chef religieux Ben Ghabrit. Ce texte fût diffusé de Fez à Bombay en passant par Le Caire et Beyrouth afin de collecter des fonds :

« Le gouvernement français, s'inspirant à l'égard des Musulmans d'une politique d'amitié plusieurs fois seculaire, a voulu ajouter un témoignage matériel et durable de ses sentiments en consacrant officiellement à Paris le culte mahométan par l'édification d'une mosquée et en offrant aux fils de l'Islam les ressources de la science, de l'art et l'hospitalité de la France, par la fondation d'un Institut.
« Ce sera dans la capitale française, la maison de l'Islam, avec son édifice religieux, sa bibliothèque, son hammam et son hôtellerie. 
« … Les Musulmans seront assurés de l'assistance et du réconfort qui caractérisent l'hospitalité française...
« Ce projet étudié depuis plusieurs années, rencontrait les difficultés que suppose la création d'une œuvre qui, pour honorer la France et servir dignement l'Islam, exigeait des charges financières très lourdes, dépassant le bon vouloir et les moyens des initiatives privées. Il fallut que le gouvernement reprit au compte de la France le projet de la Mosquée et de l'Institut Musulman..»
« ... L'Islam tiendra à honneur, avec le Gouvernement Français et la ville de Paris qui s'imposèrent les premières contributions, de participer à l'œuvre qui leur est destinée et qui deviendra une fondation islamique par les seules armes de l'affection au coeur de la France libérale » (1)

Les travaux ont pu commencer en octobre 1922 après une cérémonie organisée pour déterminer l'orientation du Mihrab, qui indique la direction de la prière vers La Mecque. 

En présence du maréchal Lyautey des discours chaleureux et généreux furent prononcés par les uns et par les autres.

-Premier discours celui de l’imam Ben Ghabrit : 

« Paris qui a accueilli tous les cultes, qui a permis d'édifier des églises et des temples consacrés à toutes les religions a compris que l’islam ne devait pas être banni de la terre de France. Ainsi, nous aurons notre maison.. »

-Le Consul honoraire cite le gouverneur général d'Algérie, Steeg :

« la France, puissance musulmane, garde à la civilisation musulmane la déférence qui lui est due... Elle comprend les croyances qui ne sont pas les siennes et leur conserve toute leur liberté d'expression ».

-Paul Fleurot, conseiller municipal du Ve arrondissement:

« les soldats du Maroc, de l'Algérie, de la Tunisie ou des autres régions africaines, ont combattu côte à côte avec les soldats français. Ensemble ils sont tombés, ensemble ils ont été ensevelis. Amis musulmans, c'est peut-être un des vôtres qui dort là-bas, sous les voûtes de l'Arc triomphal...»
« Paris, capitale de la France, a voulu, en souvenir des sacrifices consentis, qu'une partie de son territoire devienne terre d'Islam, afin que vous y soyez entre vous et chez vous. Le monument qui, bientôt, va se dresser ici même, attestera, à la face de tous, l'amitié, plus encore que l'amitié : la fraternité franco-musulmane !... » 
« Le Conseil municipal de Paris a été heureux de pouvoir mettre ces terrains à la disposition de l'Institut musulman pour y élever un monument qui sera, j'en suis convaincu, digne de Paris et digne de l'Islam. Il est malheureusement deux choses que, malgré notre bonne volonté, nous ne pourrons pas vous offrir : c’est le climat et le soleil d'Afrique. Nous nous efforcerons de les remplacer par la chaleur de notre sympathie… les liens attectueux qui unissent les deus Frances : la France métropolitaine et la France musulmane ».

M. Paul Fleurot salua la présence du « Maréchal de l'Islam » Lyautey.
Le militaire, qui prit la suite, commença par citer M. Colrat, ancien sous-secrétaire d'Etat à la présidence du Conseil qui, lors d'une précédente cérémonie, avait déclaré : 
« Quand s'érigera le minaret que vous allez construire il ne montera vers le beau ciel de l'Ile de France qu'une prière de plus dont les tours catholiques de Notre-Dame ne seront point jalouses ».
Lyautey poursuit : « les raisons profondes de notre respect pour une religion qui n'est pas la nôtre, et de notre incontestable sympathie pour l'Islam. … Je voudrais que... les Musulmans... sentent... le sérieux et la gravité avec lesquels nous nous inclinons devant les manifestations de leur foi religieuse, sentent qu'il ne s'agit pas ici d'un de ces accès de dilettantisme qu'on a vu parfois pousser la curiosité du public parisien vers des cultes exotiques dans un engouement momentané. Non, il s'agit d'une chose profondément noble et haute... » 
« Et si notre sympathie se manifeste ici avec tant de sérieux et de sincérité, c'est qu'elle nous est dictée par un sentiment né de quinze siècles d'hérédité religieuse. Il en est de même pour les Musulmans... »
«… Ce dont il faut bien être pénétré, si l'on veut bien servir la France en Pays d'Islam, c'est qu'il n'y suffit pas de respecter leur religion, mais aussi les autres, à commencer par celle dans laquelle est né et a grandi notre pays, sans que ce respect exige d'ailleurs la moindre abdication de la liberté de pensée individuelle ». 
« La France, libérale, ordonnée et laborieuse, l’islam rénové et rajeuni, apparaisse comme deux grandes et nobles forces, dont l’union ne poursuivant ni la violence, ni la destruction, ni la domination, mais l’ordre, le respect de leurs revendications légitimes, l’intégrité de leurs territoires nationaux, la tolérance pour toutes les croyances et toutes les convictions, doit être un facteur prépondérant pour la paix du monde ».
Le Maréchal Lyautey prie « Son Excellence le grand vizir de l'Empire Cherifien et les représentants des nationalités musulmanes de donner le premier coup de pioche de la fondation de ce mihrab (direction) d'où monteront des coeurs de nos amis musulmans, comme des sanctuaires chrétiens voisins, d'ardentes prières vers le Dieu unique pour qu'il répande sur le Monde la concorde et la paix ».

En juillet 1926, l'inauguration de la mosquée terminée a eu lieu en présence du président de la République française et le roi du Maroc. 

-discours de G. Doumergue :

« La république française admet et protège toutes les croyances. Quelle que soit la voie que l'être humain se fraie vers son idéal, cette voie nous est sacrée; nous la respectons et nous entourons ceux qui la suivent d'une égale sollicitude. Cette égalité devant nos lois, des consciences humaines et de leurs élans sincères est la marque de notre démocratie; les penseurs musulmans ont, nous le savons, exalté le respect de la dignité individuelle et de la liberté humaine : ils ont appelé de leurs souhaits le règne d’une large Fraternité et d’une justice égale. La démocratie n'a pas d'autres fondement que ceux-là ». 
Le président mentionne les "profondes amitiés" et les « souterraines sympathies » existant entre la France et l'Islam. Il cite une parole du Prophète selon lequel : « le meilleur musulman, c'est celui dont les croyants n'ont à redouter ni la main, ni la langue ».
« De ce point de vue, cet Islam-là est aussi le nôtre, car nos actions et nos paroles s'inspireront toujours d'une commune amitié et d'un même désir du progrès".
Et il conclut : « l’Institut musulman est la marque imprescriptible de cette bonne entente et le gage solide de notre amour de l'humanité ». (2)

-le sultan Moulay Youssef déclara : 

« Au cœur de Paris, ¡'ai vu de mes yeux, confondus dans un même ciel, les tours de Notre-Dame et le minaret de la mosquée. Notre religion enseigne la tolérance. La France aussi... Dites aux Français ma reconnaissance, dites leur ma joie.. » (2)

-Pour Robert Raynaud, secrétaire général de l'Institut : 

«… les fidèles musulmans puissent dans le silence et la paix des hommes et des choses élever leur âme vers Dieu. Au sein de la ville turbulente, ce sera leur pieuse retraite. Elle manquait jusqu'ici, et l'Islam, dont la collectivité représente une part importante de l'humanité, remarquait que toutes les religions avaient à Paris leurs temples, toutes excepté la sienne, et c'est à ce besoin qu'a répondu l'initiative du gouvernement français qui marquait là aux Musulmans, ses amis, l'esprit de haut libéralisme qui est dans sa tradition … Deux cents millions d'âmes priant le même Dieu, cultivant le même idéal et peuplant deux grands continents, cela n'offre pas seulement une valeur digne de considération pour les poètes que nous pouvons être à l'école de Loti… » 
« Ce qui devra donner à l'Institut Musulman son vrai caractère, ce sera justement l'étude et la conjonction de deux civilisations qui gagneront l'une et l'autre à se connaître et à se pénétrer. Ni tendances nationales, ni querelles de philosophie, ni préjugés d'un autre âge, opposant des systèmes, mais poursuite sincère, inlassable, malgré peut-être quelques contradictions de forme, d'un idéal commun, car si Dieu seul est Dieu (et Chrétiens et Musulmans peuvent sans s'offenser y prétendre), plus évidemment encore la science est une. Et quant aux arts, si l'Islam peut y gagner à notre contact, nous avons remarqué que sans attendre nous avions nous-mêmes largement puisé chez lui. 
Dans cet échange, avec les esprits, ce sont les cœurs qui seront gagnés… C'est à ce doux foyer que nous convions l'Islam à venir s'asseoir, à goûter le charme de la vie française, sa douceur, et à retremper à notre jouvence sa civilisation qui emplit de gloire les siècles passés » (2).

-intervention de G. Leygues, ministre de la marine, représentant du gouvernement à la cérémonie :

« Vous avez créé une architecture, privilège rare et signe certain des races fortes qui inscrivent dans la pierre leur philosophie de la vie et leur conception de l’univers. Votre période classique qui va de la prédication du Prophète au XIlle siècle est un miracle d’activité dans tous les ordres de l'esprit. A coté de nos établissements scientifiques qui se consacrent à l'étude des civilisations et en collaboration avec eux, l'Institut a pour but d'approfondir et de faire connaître la vie spirituelle de l'Islam ».

-pour le Premier Ministre du Bey de Tunis, Si M. Dinguizli, pas d’« Institut Musulman sans l'enseignement de toutes les sciences qui élèvent l'homme, soit par l'esprit, soit par le cœur… ».

Sadek SELLAM écrit dans son livre pour résumer la naissance de la mosquée de Paris : « Ainsi, la fraternité d'armes née de la première guerre mondiale s'est incarnée en mosquée prestigieuse, dont la valeur symbolique et même politique dépassait la réponse qu'elle pouvait apporter au besoin en lieux de culte des Musulmans de Paris de la fin des années 20 ».

(1) Si Ben Ghabrit : « Institut Musulman de Paris », Afrique Française - juin 1921 

(2) « Renseignements coloniaux » - juillet 1926

Illustration 1
Mémorial Maréchal Lyautey aux Invalides Paris

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