Il y a 140 ans disparaissait en 1883 l’Emir Abdelkader qui fut un ami de la France après l’avoir combattue durant 15 ans en Algérie.
Choisi comme chef des tribus arabo-berbères il s’opposât à l’armée coloniale française qui avait débarqué en Algérie en 1830. De 1832 jusqu’à sa libre reddition en décembre 1847 il était insaisissable. Il allait de victoires en défaites sans jamais être vraiment vaincu. Il signera plusieurs traités qui ne seront pas respectés par le gouvernement français comme l'a écrit en 1849 Mgr Dupuch, premier archevêque d'Alger, dans sa lettre intitulée "Abdelkader au château d'Amboise" dédiée à Napoléon III.
L'Emir avait cessé le combat après moult trahisons. En remettant son épée au fils du roi Louis Philippe, il avait émis une seule condition celle d’aller vivre en Orient, ne demandant ni pension, ni indemnités, ni honneur. Malheureusement, les autorités françaises ne tiendront pas leur engagement malgré la parole donnée. Abdelkader et ses proches seront emprisonnés à Toulon en 1848 puis à Pau et à Amboise.
C’est dans ce dernier château que Napoléon III ira en personne en 1852 s’excuser au nom de la France et rendre sa liberté à l’Emir. Après un séjour parisien où il rencontrera plusieurs personnalités et visitera des lieux comme l’église de La Madeleine, Abdelkader part pour Marseille en passant par Lyon, Avignon, Arles.
Arrivé à Marseille Abdelkader réside à l’hôtel des Empereurs près de la Canebière avant de se diriger avec les siens au milieux des « hourra » que lui adressent les marseillais tout le long du cortège jusqu’à son embarcation sur le paquebot le « Labrador » pour prendre la direction de la Turquie. Mais c’est à Damas qu’il finira par s’installer définitivement sur les pas de son maître spirituel l’andalou Ibn Arabi auprès de qui il demandera à être enterré. Durant son séjour en Syrie, lors d’une émeute en 1860, il s’opposera avec ses hommes et protègera plus de 13000 chrétiens pourchassés par des druzes déchaînés ce qui lui vaudra une aura mondiale, la reconnaissance de plusieurs pays et celle du Vatican. Le futur cardinal Lavigerie et futur chef des pères blancs en Algérie, se déplacera de France à Damas pour aller embrasser la main de l’Emir en signe de remerciement.
Durant cet exil Abdelkader donne un enseignement religieux quotidien à la grande mosquée très fréquentée des Omeyyades. Dans ses méditations coraniques et ses lectures des philosophes musulmans et des grecs, Platon et Aristote, il exprimera le désir de concilier les différentes religions, les cultures et les civilisations. Dans sa très belle « Lettre aux Français », publiée à Paris en 1858, il écrit avec humanisme :
« Si les musulmans et les chrétiens avaient voulu me prêter attention, j’aurais fait cesser leurs querelles et ils seraient devenus, intérieurement et extérieurement, des frères. ».
C’est cet esprit de sagesse et de magnanimité qui nous manquent aujourd’hui notamment en Orient où deux peuples sémites se font la guerre avec d’énormes et monstrueuses atrocités à Gaza. Le monde gagnerait à méditer l’enseignement que nous donne la vie de cet homme hors du commun.
Enfin, il est bon de rappeler que durant la guerre de la colonisation de l’Algérie, la littérature française a failli à deux reprises ne pas voir naître Arthur Rimbaud.
En effet, son futur père, le militaire Frédéric Rimbaud, avait été envoyé combattre les troupes de l’Emir en Algérie. Ce sous-lieutenant qui finira capitaine a échappé de peu à la mort après avoir été retiré de son régiment. Car peu de temps après, le 8ème Chasseurs fut décimé à la bataille de Sidi Brahim en septembre 1845. Frédéric Rimbaud venait tout juste d’être affecté à la direction des affaires arabes.
Par la suite, on confia à ce militaire, sérieux et rigoureux, la charge du bureau arabe de Sebdou où il s’illustra par ses qualités d’arabisant qui lui permettaient d’avoir des renseignements sur les mouvements des armées de l’Emir. Dans le même temps, il se perfectionna en littérature arabe. Il écrira une grammaire arabe et une traduction du Coran que connaîtra, enfant, le futur poète de Charleville. Arthur aussi maîtrisera la langue arabe et le Coran quand il s'installera au Harare et à Aden au Yémen.
Le capitaine Rimbaud se plaît dans ses fonctions au milieu des Arabes mais il devra y renoncer car après la reddition de l’Emir son unité sera envoyée en France. C’est ainsi que le 47 ème d’infanterie fut affecté dans la région des Ardennes ce qui permettra à Frédéric Rimbaud de rencontrer Vitalie Cuif. De leur mariage naîtra le 20 octobre 1854 l’enfant Arthur qui « fut un miracle, un phénomène d’ordre surnaturel par sa précocité effrayante et le mystère de sa destinée, qui reste impénétrable, comme son génie même.»(1)
Le « poète de sept ans », qui parcourt dans le grenier familial les documents militaires français et arabes de son père, s'intéressera à l’épopée de l’Emir Abdelkader. Il marquera son admiration au "chef arabe" à l’occasion d’un concours académique des Ardennes dont il remporte le premier prix. C’était une composition en latin dans laquelle Arthur compare Abdelkader à « Jugurtha » qui s’était opposé en son temps à Rome. On est en 1869 Rimbaud n’a pas encore 15 ans. Cette même année Abdelkader est un invité d’honneur aux côtés de l’impératrice Eugénie lors de l’inauguration du canal de Suez. C'est à la demande de Ferdinand de Lesseps que l’Emir, qui était moderniste, avait réussi à convaincre le sultan d’Egypte d’accepter cette réalisation.
Dans le poème en latin « Jugurtha », le jeune collégien Arthur montre qu’il connaissait la vie de l’Emir certes par curiosité suscitée par la vie militaire de son père en Algérie mais aussi par ses lectures, dont celle de Victor Hugo, à la bibliothèque de Charleville qu’il ne cessait de fréquenter.
Voici un extrait significatif écrit à la fin de son « Jugurtha » (2) qui marque l’admiration portée par Arthur Rimbaud, jeune adolescent, au personnage d’Abdelkader. Quel plus beau hommage ?
« Il est né dans les montagnes d’Algérie un enfant, qui est grand ; et la brise légère a dit : « Celui-là est le petit fils de Jugurtha !… » …
Mais voici un nouveau vainqueur du chef des Arabes, la France !… Toi, mon fils, si tu fléchis les destins rigoureux, tu sera le vengeur de la Patrie ! Peuplades soumises, aux armes !
Qu’en vos cœurs domptés revive l’antique courage ! Brandissez de nouveau vos épées ! Et, vous souvenant de Jugurtha, repoussez les vainqueurs ! Versez votre sang pour la patrie !
Oh ! que les bons arabes se lèvent pour la guerre et déchirent de leurs dents vengeresses les bataillons ennemis ! Et toi, grandis, enfants ! Que la Fortune favorise tes efforts ! Et que le Francais ne déshonore plus nos rivages arabes !… »
Et l’enfant en riant jouait avec un sabre recourbé…
II
Napoléon !… Oh Napoléon !… Ce nouveau Jugurtha est vaincu !… Il croupit, enchaîné, dans une indigne prison ! Voici que Jugurtha se dresse à nouveau dans l’ombre devant le guerrier et d’une bouche apaisée lui murmure ces paroles : « Rends-toi, mon fils, au Dieu nouveau ! Abandonne tes griefs !
Voici surgit un meilleur âge… La France va briser tes chaînes… Et tu verras l’Algérie, sous la domination française, prospère !… Tu accepteras le traité d’une nation généreuse, grand aussitôt par un vaste pays, prêtre de la Justice et de la Foi jurée… Aime ton Aïeul Jugurtha de tout ton cœur… Et souviens-toi toujours de son sort !
III
Car c’est le Génie des rivages arabes qui t’apparaît!…

Agrandissement : Illustration 1

(1) Henri Matarasso et Pierre Cherfils « Vie d’Arthur Rimbaud » Hachette 1962
(2) Arthur Rimbaud Œuvres Complètes Bibliothèque de la Pléiade Texte établi et annoté par Rolland de Renéville et Jules Mouquet 1954