Ahmed Chouki, 30 ans, conduit la liste Toulouse en marche. Enfant du quartier populaire de la Reynerie, il expose ici le sens de cette démarche politique, appuyée sur « une double préoccupation : tenter d’apporter une réponse sociale, populaire et égalitaire à la faillite des partis institutionnalisés et avancer avec la volonté d’un projet qui donne toute leur place aux priorités des plus pressurisés ».
Enfant de Toulouse, j'ai grandi dans le quartier populaire de la Reynerie.
Les richesses humaines et les énergies de ce quartier m'ont, très tôt, motivé à vouloir les valoriser aux yeux de tous. J'ai voulu suivre l'exemple de celles et ceux qui, avant moi, se sont battus pour accéder à une scolarité dans le supérieur, malgré des conditions de vie difficiles.
Diplôme en poche et statut professionnel ancré, je me suis attaché à faciliter les opportunités d'insertion et de valorisation pour tous ceux qui ont les qualités pour émerger dans la vie sociale et professionnelle, mais qui, trop souvent, sont ignorés. J'ai fait cette démarche à travers le sport, et je souhaite aujourd’hui, en tant que tête de liste en vue des prochaines municipales à Toulouse, accompagner les voix de toutes et tous les Toulousain-e-s ignoré-e-s du système au niveau local et national.
En effet, ma candidature et les enjeux de notre liste ont une résonance tant locale que nationale. Notre initiative reflète un sentiment grandissant marqué par une double préoccupation : tenter d’apporter une réponse sociale, populaire et égalitaire à la faillite des partis institutionnalisés et avancer avec la volonté d’un projet qui donne toute leur place aux priorités des plus pressurisés et des quartiers populaires.
Cette double priorité pour les citoyens mis en situation de grandes difficultés sociales émane d'un constat objectif : la mise au silence et la voix perdue pour une grande partie de la population, qui s'illustre notamment avec la mise à l’écart politique des acteurs et actrices dits de « banlieue ».
Longtemps cantonnés à l'animation culturelle, embauchés dans les secteurs du travail social, réduits à des faire-valoir de la politique municipale des partis en place, nous sommes des laissés pour compte dans et par les partis politiques institutionnels, en tant que citoyens, militants ou même professionnels. Ni place ni mot à dire, tel est le constat. Quel autre choix nous reste-t-il que de poser les jalons de notre propre force politique ? Quelle autre voie que d'affirmer notre propre représentativité ?
Au-delà de la représentation des habitants des quartiers populaires, l'urgence sociale est pour nous d'une ampleur sans précédent. La crise ne nous touche pas toutes et tous de la même manière. Derrière les déclarations auto-satisfaites des gouvernements sur la réduction du chômage, la crise signifie pour nous des emplois toujours plus difficiles à trouver, avec des contrats toujours plus précaires. Les femmes des quartiers populaires sont aussi trop souvent reléguées au travail domestique et aux services à la personne.
À cette précarité permanente s’ajoute un danger immuable et insidieux, le dénigrement symbolique et culturel par des responsables politiques qui n'hésitent pas à affirmer que « toutes les civilisations ne se valent pas ».
Au cours de cette campagne, on me désignera sûrement comme le « candidat des quartiers ». Cette appellation ne correspond pas à la réalité de mon engagement, qui porte le projet de notre liste et concerne les Toulousains dans leur ensemble et la société française plus largement : nous apportons des réponses à des questions que les tenants du pouvoir ne veulent plus poser, tout occupés qu’ils sont à choyer les plus riches et à attiser les divisions parmi les plus pauvres. C'est tout le sens des mesures que nous proposerons durant la campagne
Mais cette fonction de « candidat des quartiers populaires », je l’endosse aussi : nous avons trop longtemps accepté de déléguer le pouvoir à ceux pour qui nous n’étions que des réservoirs de voix.
On ne cesse de nous mettre au centre du débat lorsqu’il s’agit de stigmatiser notre jeunesse et de nous faire porter tous les maux de la société ; on nous accuse de mettre en danger la république parce que certain-e-s d’entre nous sont musulman-e-s ; on nous laisse à la marge des délibérations politiques et on nous disqualifie au prétexte que nos revendications et propositions seraient trop « spécifiques ».
Il n'est pas question de lâcher l'agenda des « quartiers » pour nous « adapter » au programme d'une force politique d'un bord ou d'un autre. C'est pourquoi notre liste se prononce indéfectiblement contre toutes les discriminations. Oui toutes les discriminations et en particulier, dans ces quartiers, contre l'islamophobie. Oui car c’est bien sous cet axe qu’aujourd’hui ont lieu les attaques les plus discriminantes vers les habitants des quartiers populaires. Nous ne sommes plus des étrangers, nous ne sommes plus des émigrés, nous ne sommes plus des beurs, nous ne sommes plus des enfants de première, deuxième ou de troisième génération. Nous sommes citoyens mais trop souvent, il reste aujourd’hui cette phobie dans les discours.
Notre liste et la dynamique dont elle est partie prenante mettent un point d'honneur à combattre toutes formes de discriminations et d'injustices sociales jusque dans les institutions et le marché du travail : nous entendons fixer réellement des priorités d'embauches vers les habitants des quartiers populaires aux entreprises installées en zones franches et nous insisterons pour que les administrations et institutions locales ressemblent un peu plus à tous les concitoyens.
C'est avec cet objectif en tête que nous entendons infléchir le budget de la culture pour l'orienter vers les besoins et les préoccupations des quartiers populaires à Toulouse ; c'est enfin dans la perspective de l'égalité hommes-femmes enfin que nous entendons adapter la politique municipale aux besoins territoriaux en matière de crèches publiques, d'écoles, d’accès au logement pour les familles mono-parentales. Ces préoccupations sont locales mais nous savons combien c’est à l’échelle nationale que nous y aspirons toutes et tous.
« Toulouse en marche », c’est le nom de notre liste, parce que nous ne resterons pas sans bouger. Nous ne laisserons pas le jeu politique traditionnel nous mettre de côté. Notre histoire ne s'arrêtera pas le 30 mars 2014. Nous le savons, les luttes sont des combats à long terme. Trente ans après la « Marche pour l'égalité et contre le racisme », peu de choses ont changé. La pauvreté, le chômage et le racisme se sont aggravés.
Mais nous gardons des enseignements des combats passés, nous tirons des leçons et accumulons des forces et des connaissances.
En 1998, la mort de notre frère Habib Ould Mohamed, dit « Pipo », sous une balle de la police, n'a pas manqué de déclencher des révoltes sans précédent au quartier du Mirail. Cette histoire, c’est l’histoire des quartiers populaires de France. C’est l’histoire de la ville de Clichy-sous-Bois frappée par la mort de Zyed et Bouna en 2005. C’est l’histoire de Villiers-le-Bel, d’Amiens-Nord, de toutes les familles endeuillées, de tous les quartiers révoltés, de la France que certains aimeraient passer au Kärcher, la France « des bouffons, des crétins, des larbins du capitalisme », la France pour laquelle Valls prescrit des « Zones de sécurité prioritaires ». Mais de quelle sécurité nous parle-t-on ? Celle de l’emploi ? D’un logement ? L’insécurité dont nous souffrons tous, travailleurs pauvres, familles en situation d'exclusion, habitants des quartiers populaires, ne concerne pas les biens des plus riches.
Qui peut bien apporter des réponses, si ce n'est nous-mêmes ? Notre initiative est locale mais nous savons que partout en France, d’autres s’activent et se préparent pour ces élections ou les prochaines, sur le terrain des luttes, loin des lumières des médias et à l’ombre des priorités politicardes entendues et réchauffées. Notre voix ne comptera plus seulement dans l’urne, mais aussi à la tribune. Notre réponse est celle d'une campagne des damnés de la terre, inscrite dans la dynamique autonome de « l’Issue Des Sans Voix », ouverte à des partenaires qui partagent nos valeurs, pour refuser le chantage du clientélisme et inscrire une force politique sur la durée.
Nous ne comptons pas sur eux, et ils ne pourront plus faire sans nous.