Toni Morrison et le jazz : Etre considéré uniquement comme témoin d’une certaine situation, ou comme quelqu’un qui n’a rien d’autre à dire que : « Aïe ! J’ai mal ! » ou « Je proteste ! », est profondément humiliant, même s’il est très important que les écrivains soient considérés dans leur contexte. J’ai essayé de faire de Beloved un roman historique, mais qui échappait aux limites de la discipline historique. Lorsque je l’ai fini, j’ai décidé de faire un livre consacré à la période historique suivante, qu’on appelle le Jazz Age (l’ère du Jazz). Mais ce que je voulais surtout, c’est que les lecteurs soient avant tout conscients de la construction, de l’élaboration apparente, dans laquelle je voulais utiliser, autant que possible, les structures du jazz. La comparaison avec cette musique est fondamentale car, s’il est vrai qu’on associe toujours à l’heure actuelle la culture du jazz à la sensualité, à l’illégalité, aux tam-tams et à l’exotisme, il est devenu difficile de s’en tenir là. À partir du moment où l’on fait la moindre analyse critique de cette musique, on ne peut en ignorer la sophistication.
Fable of Faubus
Charles Mingus, l'éternel révolté s'attaque dans cet hymne au gouverneur raciste OrvalFaubus dont il dénonce avec une vigueur rassérénante les mensonges, les haines recuite et sa défense de la ségrégation scolaires dans les écoles de Little Rock, Arkansas. Il est à noter que ce gouverneur élu sous l'étiquette "Parti Démocrate" fut dans un premier temps "socialiste" et défenseur des droits civiques des noirs avant de tourner casaque et de devenir un "populiste" de la pire espèce, en particulier sur le plan du racisme. Ce qui ne l’empêcha pas d'ailleurs d'avoir d'excellentes relations avec John F Kennedy et son successeur démocrate, Lyndon Johnson.
Toni Morrison : Mais je crois qu’écrire est l’acte politique par excellence. J’en veux pour preuve que la première mesure des gouvernements oppresseurs, c’est de censurer ou de détruire les livres, ou encore de bâillonner les gens. Et ils font cela justement parce qu’ils ne sont pas stupides, parce qu’ils savent très bien que l’acte même d’écrire est séditieux, potentiellement séditieux en tout cas, et toujours porteur d’interrogations. Mes livres ne répondent pas uniquement à des préoccupations esthétiques, pas plus qu’ils ne ré-pondent exclusivement à des préoccupations politiques. Je pense que, pour pouvoir être pris au sérieux, l’art doit faire les deux à la fois.
God bless the child
Billie Holliday est la souffrance faite femme. La force aussi. On cite souvent "Strange Fruit" ce blue déchirant sur les lynchages racistes qui ensenglantaient le sud des états unis, mais peut etre est ce ce "God bless the child", cet hymne à la résistance, au combat sans faiblir qu'il faut trouver le lien évident unissant ces deux grandes artistes. C'est que cette souffrance et de cette force, Toni Morrison en a fait la trame de tous ses romans.
Them that's got shall get
Ceux qui ont, auront
Them that's not shall lose
Ceux qui n'ont rien, perdront
So the Bible said and it still is news
Ainsi dit la Bible et c'est toujours vrai.
Mama may have, Papa may have
Maman peut avoir, Papa peut avoir
But God bless the child that's got his own
Mais que Dieu bénisse l'enfant qui se débrouille
That's got his own
Qui se débrouille
(Cette traduction est tirée de "La Coccinelle", un site bien utile pour la traduction de nombreux chants)
Freedom now suit : we insist
Max Roach et son épouse la cantatrice Abbey Lincoln livrent avec ce morceau une véritable déclaration de guerre à tout le racisme qui affecte non seulement les états unis mais également l'afrique du sud, Cuba etc. On ne peut que citer la phrase qui débute le "préambule" qui présente ce disque : "«Une révolution se déploie: la révolution inachevée de l’Amérique. Elle se déploie dans les comptoirs de déjeuner, les autobus, les bibliothèques et les écoles, partout où la dignité et le potentiel des hommes sont refusés. La jeunesse et l’idéalisme se déploient. Les messes des nègres marchent sur la scène de l’histoire et exigent leur liberté, maintenant » Il faut noter que le FBI ira jusqu'a perquisitionner le domicile des deux artistes pour connaitre l'auteur de cette déclaration.
Mississipi goddam
Si Billie Holliday est la force et la souffrance, Nina Simone est la révolte et la colére. Victime du racisme dans son enfance, puis de violences conjugales, elle eu un destin difficile, fut obligée de s'exiler (à la Barbade puis en Europe) et connu comme Billie Holiday un destin tragique. Reste ses chants de révolte et de mobilisation, indiscociablement liées au mouvement des droits civiques dont elle fut l'égérie.
Hound dogs on my trail
La meute de chiens est a mes trousse,
School children sitting in jail
Les petits écolier sont en prison.
Black cat cross my path
Un chat noir traversse ma route
I think every day's gonna be my last
Chaque jour me semble devoir étre mon dérnier.
Lord have mercy on this land of mine
Que dieu est pitié de mon pays.
We all gonna get it in due time
Nous aurons tous ce que nous méritons quand le moment seras venu
(Probablement est-ce à dire que dieu puniras les agissement des ségrégationnistes. )
I don't belong here
Ma place n'est pas ici.
I don't belong there
Ma place n'est pas là bas.
I've even stopped believing in prayer
Je ne crois même plus aux priéres.
(Cette traduction est tirée de "La Coccinelle", un site bien utile pour la traduction de nombreux chants)
Impression
Et pour finir l'astre qui éclaire le jazz d'une lueur crépusculaire, John Coltrane.Celui qui est l'essence même du jazz, au dela des iddées reçues sur le jazz "musique négre" faite pour la danse, la sensualité, la joie un peu enfantine Coltrane lui tutoyait les dieux... Pas de "revendications politiques" dans l'oeuvre de Trane sinon une certaine revendication des origines. Mais les racines ne sont pas les fleurs...
Le livre sur lequel je travaille en ce moment est très ancré dans la réalité d’un lieu que j’ai délibérément choisi comme étant exclusivement noir : une ville noire au début du XIXe siècle. Pourtant, j’y parle de quatre femmes dont je dis : « L’une d’entre elles était blanche, les autres ne l’étaient pas. » Ensuite, j’espère décrire si bien chacune de ces femmes que le lecteur pourra toutes les connaître de façon intime, comme s’il était dans leur peau ; qu’il saura tout d’elles, sauf leur race. Je pense que le lecteur se demandera vraiment qui est blanc et qui est noir ; mais, si je réussis, et je n’en suis pas sûre encore car je n’ai pas terminé, cette question finira par ne plus avoir aucune importance. Mais la difficulté est énorme, car il n’existe pas de langue pour ça. Comment décrire l’âme d’un personnage sans aucune référence aux codes raciaux, sans utiliser ce langage secret, explicite ou implicite, que tout le monde utilise pour marquer la race ? Et, en même temps, il faut donner au lecteur ce à quoi on n’a jamais droit : un regard immédiat, qui lui permette de voir comme il ne voit jamais. Tout cela nécessite un nouveau discours, un nouveau langage. C’est difficile, mais je crois que c’est gratifiant.
Les textes de Toni Morrison en italique sont tiré d'un entretien avec Pierre Bourdieu réalisé le 22 octobre 1994 publié dans l'excellente revue "Vacarme" : Voir comme on ne voit jamais