Romain Lacuisse (avatar)

Romain Lacuisse

Abonné·e de Mediapart

Billet publié dans

Édition

Nihao la Chine

Suivi par 36 abonnés

Billet de blog 25 avril 2008

Romain Lacuisse (avatar)

Romain Lacuisse

Concertation et participation publique

Abonné·e de Mediapart

La flamme olympique, reflet des orgueils et des préjugés franco-chinois

(article co-écrit avec Shen Faye, doctorante à Sciences-Po Paris sur le thème des "Noyaux d'autonomie de la société civile Chinoise")Les opinions publiques française et chinoise sont-elles condamnées à un dialogue de sourds ? Des émeutes de Lhassa à la manifestation pro-JO du 19 avril en passant par le parcours tumultueux de la torche olympique à Paris, les représentations et valeurs de chacun contribuent à un profond malentendu.

Romain Lacuisse (avatar)

Romain Lacuisse

Concertation et participation publique

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

(article co-écrit avec Shen Faye, doctorante à Sciences-Po Paris sur le thème des "Noyaux d'autonomie de la société civile Chinoise")

Les opinions publiques française et chinoise sont-elles condamnées à un dialogue de sourds ? Des émeutes de Lhassa à la manifestation pro-JO du 19 avril en passant par le parcours tumultueux de la torche olympique à Paris, les représentations et valeurs de chacun contribuent à un profond malentendu. Bien qu’Occidentaux et Chinois d’outre-mer partagent désormais les mêmes sources d’information, cela ne semble pas pouvoir suffire à un rapprochement, en l’absence d’efforts supplémentaires de compréhension mutuelle.La flamme olympique est un enjeu symbolique particulièrement fort : les troubles liés à son passage à Paris ont déclenché un fort ressentiment des Chinois contre la France, alors que ni les médias ni les autorités hexagonaux ne se sont montrés plus anti-chinois que d’autres pays occidentaux. L’incompréhension naît du sens différent que les peuples attachent à la torche. Ainsi, les militants français, qui se réclament de valeurs humanistes, n’ont probablement pas voulu offenser le peuple chinois. La flamme a été plus certainement perçue comme un symbole d’un « grand méchant » idéal, vis-à-vis d’une culture accordant une grande valeur au verbe « résister », c’est-à-dire à manifester son opposition aux pouvoirs politiques et économiques. En revanche, pour les Chinois, les Jeux olympiques constituent un moment quasi-sacré ; la Chine est fière de montrer enfin au monde les progrès accomplis dans de multiples domaines. La flamme olympique représente bien plus que le symbole d’un événement sportif et économique ; elle symbolise un rêve national vieux d’un siècle, celui d’un pays accédant à la puissance et la prospérité. Y attenter a donc été ressenti comme une profonde humiliation ; les Chinois, et notamment ceux de l’étranger, ont été sincèrement meurtris de ce qu’ils pensent être une démonstration de haine de l’Occident à leur égard. En effet, si le langage contestataire est très répandu dans le monde occidental, les Chinois n’en connaissent pas les codes : ils conçoivent difficilement le fait qu’une opinion publique soit diversifiée, et qu’un groupe de citoyens puisse descendre dans la rue indépendamment du pouvoir. Bien que les militants occidentaux aient déclaré s’opposer au régime et non à la société, cette nuance est peu perceptible par la population chinoise, à qui le concept de société civile est étranger. Afin de soutenir les JO et de dénoncer le comportement des médias occidentaux, plusieurs milliers de jeunes chinois se sont rassemblés à Paris le 19 avril. A cette occasion, des étudiants totalement novices en la matière ont pour la première fois appris à organiser une action collective de manière autonome. Cependant malgré l’ambiance bon enfant et un caractère plutôt ouvert et positif des slogans, l’incompréhension risque de perdurer. Bien que très respectueuse, la manifestation parisienne a eu lieu au même moment que des démonstrations d’hostilité anti-française en Chine. De plus, l’hypothèse d’une manipulation par le pouvoir a été immédiatement évoquée de manière plus ou moins explicite par la presse.Les Français risquent de ne pas accorder de crédit au mouvement des étudiants Chinois, peut-être parce qu’il ne correspond pas à l’image qu’ils ont de la jeunesse. Les militants des droits de l’Homme imaginaient sans doute que les jeunes Chinois arrivant à l’étranger s’ouvriraient spontanément à leurs valeurs et se mettraient ensuite à les défendre face à leur propre gouvernement. Or, la manifestation du 19 avril a vu les étudiants dénoncer la contestation et se ranger du côté du pouvoir et du patriotisme. Certes, leur position peut ne pas refléter l’ensemble de l’opinion chinoise, en grande partie du fait de leur éloignement, qui contribue notamment à exacerber le sentiment national. L’appartenance d’une part significative des étudiants aux élites, principales bénéficiaires de l’essor chinois, peut aussi jouer un rôle. Or, en Europe de l’Ouest où le nationalisme est plutôt connoté négativement, il a été surprenant de voir des jeunes préférer la Patrie aux droits de l’Homme ; il est ainsi plus confortable de penser à une manipulation par le pouvoir qu’à une action réfléchie des Chinois. Sur la notion même de droits de l’Homme, le dialogue est difficile car il ne repose pas sur les mêmes bases. Les Français ont appris à les placer au sommet de leurs valeurs nationales, et leur confèrent en outre un caractère universel : dans cet esprit, dénoncer les atteintes à la justice et aux libertés partout dans le monde est un devoir moral. L’expression « droits de l’Homme » a acquis une valeur sacrée, qui ne nécessite pas de justification : ils sont forcément une bonne chose. Or, les Chinois ne disposent pas de cette référence : ils se sentent critiqués à propos d’une notion extrêmement abstraite, et tout à fait secondaire vis-à-vis de la marche en avant de leur pays. Ainsi, si les Chinois de l’étranger disposent d’une information tout à fait complète à propos des atteintes aux libertés publiques en Chine, peu comprennent pourquoi ces sujets constituent les titres principaux des médias.Il est difficile d’envisager avec optimisme l’avenir de nos relations, dans la mesure où les opinions française et chinoise semblent fondées sur des valeurs différentes auxquelles nul n’entendra renoncer. Face à des attaques ressenties comme des atteintes à la fierté nationale, c’est-à-dire quasiment à la « famille » chinoise, la tentation sera grande de se replier sur des valeurs nationales, incarnées en premier lieu par le régime post-totalitaire. A l’inverse, on imagine mal les opinions occidentales, notamment dans leurs composantes les plus militantes, accepter l’idée selon laquelle l’accès aux libertés publiques n’est pas prioritaire.Un cercle vicieux de préjugés semble s’être enclenché, nourri par les orgueils nationaux d’une Chine fière de ses progrès et d’un Occident exprimant toujours avec force des valeurs morales qu’il veut universelles. Entre l’attribution des Jeux en 2001 et leur déroulement en 2008, la Chine est devenue un acteur majeur des relations internationales. Du fait de cette ascension fulgurante, ni le monde occidental, ni le gouvernement, ni le peuple chinois ne se trouvent préparés aux mutations intellectuelles, diplomatiques et politiques que cela demande. Pour l’instant, la Chine reste peu familière de l’expression de la rue et du dialogue entre pouvoir et acteurs sociaux, tandis que l’Occident ignore la volonté réelle d’ouverture au monde de l’Empire du Milieu. Chacun, et notamment les partisans des droits de l’Homme, semble avoir tout à perdre à ce que ce malentendu perdure.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.