Philippe LEGER (avatar)

Philippe LEGER

Abonné·e de Mediapart

Billet publié dans

Édition

Notre Europe

Suivi par 36 abonnés

Billet de blog 18 novembre 2011

Philippe LEGER (avatar)

Philippe LEGER

Ancien journaliste. Secrétaire général du Comité Européen Marseille.

Abonné·e de Mediapart

Myriam Benraad : "l'Europe manque de vision face au chamboulement du monde arabe"

"Repli souverainiste des partenaires du Sud et ancrage islamiste ; valse-hésitation des États Européens". Myriam Benraad, coordinatrice des Politiques de la BEI (Banque Européenne d'Investissement) a fait part de ses réflexions sur les évolutions du monde arabe et les changements intervenus dans la relation euro-méditerranéenne lors d'un colloque organisé par le Comité Européen Marseille*.

Philippe LEGER (avatar)

Philippe LEGER

Ancien journaliste. Secrétaire général du Comité Européen Marseille.

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.


 Myriam Benraad, Coordinatrice des Politiques de la BEI © Philippe Léger
(Comité Européen Marseille)

Au cours du colloque, Myriam Benraad a évoqué deux périodes : "celle de  2008-2009, durant laquelle, partie des États-Unis, la crise financière s'étend à l'Europe. On y fait l'éloge des pays du Sud pour leur niveau de croissance (plus de 4% d'augmentation du Pib pour l'Egypte). Celle de décembre 2010 - janvier 2011: le peuple tunisien fait sa révolution. De manière non violente. D'autres révolutions arabes vont suivre..."
Il y a un "avant" et un "après" 2010, année charnière pendant laquelle "les Européens changent de paradigme" 
"Le « printemps de jasmin » et les autres révolutions arabes ont pris de court tous les dirigeants. L'ampleur et la rapidité des événements ont chamboulé l'image de pays et de peuples qu'on croyait condamnés à l'immobilisme politique, l'autoritarisme, la sclérose...  La politique européenne va s'adapter, se moraliser... Les Européens, optimistes, changent de paradigme."
Avec le G20 de novembre 2011, patatras !  Les Européens, minés par la crise financière et le doute, désorientés par les lendemains révolutionnaires de leurs partenaires du Sud, se livrent à une valse-hésitation", relève Myriam Benraad.

Absence de vision de l'Europe
En mars 2011, la Commission européenne donne le cap en définissant "le partenariat pour la démocratie et la prospérité partagée avec le Sud de la Méditerranée" (voir lien). Elle conditionne le soutien économique au respect de la démocratie.
En mai 2011, sous l'impulsion de la France, le G8 de Dauville (ndr : G7+Russie - voir note 1) soutient la transition et redonne de l'optimisme aux États européens qui peuvent "se projeter dans un cadre nouveau, avec la présence des Américains et des Russes. La transition renforce leurs convictions : la résolution de la crise européenne passe par la Méditerranée ; elle offre de nouvelles opportunités économiques."
En septembre 2011, se tient à Marseille un G7 "Finances"(2). Les ministres des finances et gouverneurs des banques centrales des pays les plus industrialisés côtoient les représentants des grandes institutions internationales et des banques régionales arabes, ainsi que les grands fonds Maghreb et Moyen-Orient. En soutien aux transitions, on s'accorde sur le versement de 38 milliards de dollars à l'Egypte, la Tunisie, au Maroc et à la Jordanie d'ici 2013...
"Une véritable valse-hésitation des Européens, troublés par l'ancrage islamiste et désorientés par la dimension souverainiste..."
"Début novembre 2011, Le G20 (3) de Cannes met en lumière la crise financière en Europe, l'aggravation des divergences entre les pays du G8 et les pays émergents. Ces derniers brandissent le principe de non-ingérence dans les événements du Proche-Orient. Le G20 n'a pas approfondi les engagements de Dauville, formalisés à Marseille par le G7 Finances. Il a affiché l'image d'une Europe en crise, livrée aux doutes et à l'introspection, qui va jusqu'à remettre en cause son jugement sur les révolutions arabes. Une véritable valse-hésitation. Les Européens sont troublés par l'ancrage islamiste...  Ils sont aussi désorientés par la dimension souverainiste, voire le repli de leurs partenaires qui veulent rester maîtres chez eux et privilégient les aides financières des pays du Golfe persique...Myriam Benraad conclut par une interrogation en constatant l'absence de vision de l'Europe (4) : que fait-on au-delà du principe de développement économique ? Au-delà du désir de créer plus d'emplois ?"
  L'exercice auquel s'est livré Myriam Benraad était des plus difficiles. En re-situant avec adresse et précision les événements dans leur contexte, elle a éclairé et rendu compréhensible les enjeux de cette zone...
  Elle a consacré la dernière partie de son intervention à présenter plus spécifiquement la BEI, créée en 1958 par le traité de Rome. "C'est la banque de l'Europe. Sa mission ? L'assistance technique et les opérations de prêt pour financer les grands projets d'infrastructures, transports, énergies renouvelables, développement urbain, éducation... La BEI est aussi mandatée par l'UE afin d'appuyer ses politiques de développement et de coopération dans les pays partenaires..."

Naissance d'une vaste zone économique ... du Maghreb au Golfe persique ? Qui aura le leadership ? 
À l'issue du colloque, autour du verre de l'amitié, on se posait la question de savoir ce qui restait de la volonté française de refonder le processus de Barcelone ? Que reste-t-il "du rêve qui hante"  le conseiller du président de la République Française, Henri Guaino ? Rêve-t-il toujours de "reconstituer grâce à l'Union pour la Méditerranée... l'unité de l'Empire romain afin de résorber la division entre l'Orient et l'Occident " ? Rêve-t-il de refaire le "Mare Nostrum" comme il l'a affirmé aux Med Business Days 2008 à Marseille (5) ? Un rêve qu'il n'est pas le seul à partager, semble-t-il, à entendre certaines déclarations... Toutes témoignent d'un rêve et d'une vision anachronique, car l'Union européenne n'est pas l'Empire romain et ne partage certainement pas sa méthode pour s'élargir ou conclure des alliances ! Elle ne dit pas "malheur au vaincu !" mais parle "d'échanges gagnant-gagnant."
Dans la salle, comme le révèleront les question aux intervenants et les échanges en toute liberté autour du verre de l'amitié, des participants se sont demandé si le monde "arabo-musulman" n'était pas en train d'accoucher aux «forceps» un nouvel ensemble économique et surtout politique, de la Mauritanie et des pays du Sud de la Méditerranée aux pays du Golfe persique... pour le moins !
L'Union pour la Méditerranée, conclue hier avec certains États autoritaires, voire des dictatures, correspond-elle à une aspiration profonde de nos partenaires maghrébins ? Ne sert-elle pas en priorité les intérêts d'une Europe alléchée par la croissance démographique, d'une Europe qui cherche désespérément, en prenant des risques, à renouer avec la croissance dans le cadre d'un partenariat euro-méditerranéen proclamé "gagnant-gagnant" ? Les dirigeants européens ne prennent-ils pas leurs désirs pour des réalités ?
De part et d'autre de la Méditerranée, on rencontre des problèmes similaires, comme celui du chômage des jeunes diplômés, ainsi qu'une convergence d'intérêts et des complémentarités dans beaucoup de domaines, pas seulement celui de la démographie, ou de secteurs, notamment celui des énergies renouvelables... Mais cela suffit-il à donner corps à un partenariat renforcé et partagé ? À faire émerger un ensemble économique et politique euro-méditerranéen sur la scène internationale ? S'il existe un monde "euro-méditerranéen", peut-on parler pour autant d'une identité euro-méditerranéenne autour de valeurs communes ? Ces valeurs sont-elles en harmonie avec celles du monde arabo-musulman, un monde qui est en droit, lui aussi de revendiquer son émergence sur le plan économique et politique... avec des partenaires américains, voire chinois, russes... ou "autres" ! Son regard n'est quand même pas confiné à la seule rive nord, où Marseille lui fait les yeux doux, en l'aguichant avec son quartier d'affaires Euroméditerranée ! La métropole phocéenne se définissant, comme chacun sait, comme "le pôle sud, haut-tertiaire, de promotion et valorisation des échanges entre l'Union européenne et ce monde, de l'Océan Atlantique à la Mer d'Oman, en passant par la canal de Suez..." Un "Mare Nostrum" très marseillais ! Philippe LEGER
* "Le G20, l'Europe et la crise" : colloque du 15 novembre 2011 - Auditorium de la Région Paca ; organisé par le Comité Européen Marseille (association 1901 - présidente : Monique Betrame).
Ce colloque a été animé par le Professeur Bernard Plagnet, de l'Université de Toulouse : "Le 20, l'Europe et la crise - La marche difficile vers une gouvernance mondiale" ;
Mme Myriam Benraad, Coordinatrice des politiques à la Banque Européenne d'Investissement  : "Quelle place pour la Méditerranée dans le nouvel ordre mondial ? Du partenariat de Deauville au sommet du G20".

(1) Le Partenariat de Deauville a été créé par le G8 en 2011 en réponse à la transformation en cours en Afrique du Nord et au Moyen-Orient (région MENA - "Middle East and North Africa" ). Le Partenariat vise à fournir un soutien politique et financier aux pays arabes en transition (ACT) et à mieux coordonner ce soutien international.

Illustration 2
MENA © Domaine public

(2) Les ministres des finances et les gouverneurs des banques centrales du G7 (Allemagne, Canada, Etats-Unis, France, Italie, Japon et Royaume-Uni).

(3) Créé en 1999, après la succession de crises financières dans les années 1990, le G20 est un groupe composé de dix-neuf pays et de l'Union européenne dont les ministres, les chefs des banques centrales et les chefs d'État. 

(4)  Ndr : Une absence de vision qui contraste avec l'étymologie du nom "Europe",  du latin Europa, issu du grec ancien Εὐρώπη, Eurốpê.  "Eurys" se traduisant par "large" et "ops" par "yeux" . Le nom désigne une demi déesse «aux larges yeux » ; certains lui attribuent comme qualité... de "voir loin" !

(5) Ambitions Sud International n° 67 - Septembre 2008, page 30.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.