Björn Dahlem, « très discret, presque refermé sur lui-même comme un grand adolescent » (Gertrud Peters, conservatrice et coordonatrice du KIT de Düsseldorf)
Le sculpteur bavarois Björn Dahlem, invité à Düsseldorf à l'occasion de sa Quadriennale 2010, expose ses œuvres au « KIT » (acronyme de Kunst Im Tunnel) jusqu'au 16 janvier 2011... L'artiste a étudié dans cette grande ville d'Allemagne, capitale de la Rhénanie-du-Nord - Westphalie dans les années 90. Il y révèle, à l'occasion de la deuxième édition de sa Quadriennale, toute la force de son talent et de ses intuitions.
Un Musée d'Art contemporain dans un tunnel
La « galerie » Kunst im Tunnel expose les sculptures de Björ Dalhem dans une galerie, un local technique en sous-sol utilisé lors du percement d'un tunnel routier le long du Rhin. Devenue inutile après son achèvement, les pouvoirs publics ont eu la bonne idée de ne pas la combler mais de la dédier à l'Art. Reconverti en galerie artistique, l'ancien local technique est aujourd'hui un véritable Musée d'Art contemporain de 850 m2 de surface au sol... ou plutôt en sous-sol. On accède au « KIT » par un escalier attenant au Café Curtiz qui appartient au Musée.
Gertrud Peters, conservatrice et coordonatrice du KIT de Düsseldorf
C'est là que Gertrud Peters, conservatrice et coordonatrice du KIT nous accueille. C'est une femme dans la maturité, un vrai soleil, une ambassadrice pleine de tact et d'attention pour ses hôtes. Elle évoque la personnalité de Björn avec une tendresse presque maternelle. Elle se souvient d'un artiste « très discret, presque refermé sur lui-même comme un grand adolescent.. Quelqu'un d'extrêmement consciencieux, de minutieux, contrarié par l'arrivée tardive d'un colis qui a retardé la mise en place de l'exposition. » Elle nous confie qu'il a refusé de répondre au seul journaliste présent ce jour-là, pour se consacrer entièrement à la touche finale ! Aujourd'hui, l'exposition rencontre un grand succès auprès de la presse et du public. La chaîne franco-allemande Arte lui a consacré un reportage.*
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Un Pierrot lunaire au regard étrange
L'affiche de l'exposition le représente sous les traits d'un Pierrot lunaire au regard étrange, à l'air un peu renfrogné, comme figé dans ses certitudes poétiques et romantiques.
Son exposition « Die Theorie des Himmels - Die Milchstrasse » (« La Théorie du Ciel – La Voie lactée ») présente ses montages, à base de baguettes, de plaques de polystyrène et d'objets anciens. Tout un bric à brac de tendresse et d'humanité, plein d'étoiles et de clins d'œil, assemblé avec la minutie de l'expert et l'innocence d'un enfant.
Ses montages représentent une vision de l'univers, un big bang d'amour qui intègre notre humanité. Le regard qu'il porte sur notre Galaxie est à des années-lumière de celui d'un grand observatoire d'astronomie qu'il a visité durant l'été 2009 lors d'un séjour aux États-Unis. « Les représentations de l'univers et les explications ont mis mal à l'aise l'artiste », explique Gertrud Peters.
La plus incroyable, la plus poétique, la plus limpide et romantique vision de l'univers
Halte forcée au seuil de la salle d'exposition.
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Les visiteurs enfilent des couvre chaussures, « à la demande expresse de l'artiste ». Une manière de leur signifier qu'ils s'apprêtent à pénétrer dans un lieu unique. Rien du monde extérieur ne doit le souiller. Non, il ne faut pas que ce monde du dehors reste accroché à leurs basques... Il faut qu'ils l'oublient. Pour rentrer, sans a priori, dans son univers singulier. Et découvrir et emporter avec eux, nous en portons témoignage, la plus incroyable, la plus poétique, la plus limpide et romantique vision de l'univers.
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Nous avons mis nos pas dans ceux de Björn, nous avons embarqué pour un voyage intersidéral, nous nous sommes envolés et, portés par le vent de la poésie aussi léger qu'un vent solaire, nous avons vogué d'étoile en étoile, avant de plonger au centre de notre galaxie, dans son trou noir qui abolit l'espace et le temps... et rejaillir à l'ère du Verseau, personnifié par une femme.
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La vérité « scientifique » n'existe pas !
Avec ses sculptures constituées de baguettes, des plaques de polystyrène soigneusement découpées, d'objets prélevés dans les brocantes et vide greniers, sélectionnés pour leur connotation symboliques et leurs charges émotionnelles fortes... vieux réveils, postes de radio de nos grands pères, jouets, poupées, petit canard de bain... Björn Dahlem ne donne pas seulement une représentation de notre Galaxie, à l'instar des cabinets de curiosité des siècles précédents pour le système solaire, ou des grands observatoires astronomiques contemporains.
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Notre Galaxie, selon Bjorn Dahlem
Björn Dahlem dénonce une imposture : les représentations scientifiques à la perfection clinique, aseptisée, incompréhensible pour le commun des mortels. Elles s'imposent au grand public comme la seule manière exacte de percevoir notre univers... alors qu'elles n'expriment que des connaissances scientifiques mouvantes, changeantes. Rien d'absolu dans la « vérité scientifique »!
La représentation du monde par le chercheur évolue avec la sensibilité de ses instruments d'exploration, son attention et son intuition ... Il traduit ses découvertes dans un langage mathématique, par des formes abstraites, des formules incompréhensibles pour le grand public.
Il ne faut pas faire pour autant de Björn Dalhem un simple vulgarisateur. Un artiste qui illustrerait une théorie scientifique de l'univers sous une forme plus attrayante.
Il remet en cause la représentation de l'univers par une science, sacralisée, qui s'est arrogée auprès du public un statut de vérité... alors qu'elle n'est porteuse d'aucun absolu ! Il fait descendre l'idole scientifique de son piédestal.
La manière de percevoir et d'illustrer l'univers de Björn Dahlem n'est pas moins fondée que celle des scientifiques. Elle permet d'accéder à une connaissance qui n'est pas moins rationnelle que celle de la science. Elle la transcende même si, pour paraphraser le Sage Lao Tseu, « la vérité qu'elle veut exprimer n'est pas la vérité absolue. Le nom qu'elle lui donne n'est pas le nom immuable.»
« Dans l'équivalence des formes sensibles et spirituelles, une même fonction s'exerce, initialement, pour l'entreprise du savant et pour celle du poète. De la pensée discursive ou de l'ellipse poétique, qui va plus loin, et de plus loin ? Et de cette nuit originelle où tâtonnent deux aveugles-nés, l'un équipé de l'outillage scientifique, l'autre assisté des seules fulgurations de l'intuition, qui donc plus tôt remonte, et plus chargé de brève phosphorescence. La réponse n'importe. Le mystère est commun. » (Saint-John Perse).
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Un trou noir plein de vie, de lumière, de couleurs...
Björn Dahlem humanise la représentation de Voie Lactée, notre galaxie, et son évolution.
Une étoile bleue en fin de vie a donné naissance à notre système solaire, qui lui-même finira en géante rouge pour faire jaillir une vie nouvelle à travers le cosmos. Et la Voie lactée fusionnera sans doute par, et avec amour, avec d'autres galaxies et leurs trous noirs... qui fusionneront et réemettront d'incroyables énergies pour faire renaître les mondes.
Comme le poète Saint John Perse, Björn Dahlem sait qu'« il n'est rien de vivant qui de néant procède ni de néant s'éprenne ».
Évolution... Involution. Aphorismes bien connus : « le chemin qui monte est le chemin qui descend » (Héraclite d'Éphèse)... « Rien de nouveau sous le soleil ! » (l'Ecclésiaste).
Voilà la grande leçon que nous retirons de notre voyage dans l'univers de Björn Dahlem. Et, curieusement, la connaissance scientifique qui appréhende l'univers avec les hypothèses formulées grâce à son toucher d'aveugle accrédite le bien fondé de son intuition !
En fait l'intuition du scientifique et celle de l'artiste se rejoignent. Seules les représentations diffèrent. Pourquoi continuer à ériger la vision scientifique de l'univers comme la seule digne d'être retenue ? La seule « vraie » ?
Des visiteurs ressortent transformés par la vision de l'univers de Björn Dahlem
Avec l''exposition « Die Theorie des Himmels - Die Milchstrasse », Björn Dahlem restitue sous une forme poétique, magique et merveilleuse, pas seulement une déduction de la science, mais les intuitions des Sages. C'est le propre des grands artistes de ranimer les esprits et la foi vacillante avec le feu sacré des porteurs de flambeaux de l'antique cortège.
On ne pouvait rêver meilleur endroit que le Kunst Im Tunnel pour cette exposition. Par analogie, c'est le trou noir, plein de vie, de couleurs et de lumière, dans lequel les visiteurs entrent et par lequel ils ressortent, transformés par la vision de Björn Dahlem ! L'exposition ses tient jusqu'au 16 janvier 2011 dans le cadre de la Quadriennale 2010 de Düsseldorf. Philippe LEGER
*VIDEO ARTE-TV