Billet de blog 13 octobre 2012

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P17 (histoire vraie)

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Une belle matinée de printemps dans le sud ouest de la France. Amandine roule vers la ville au volant de sa vieille voiture sur une route de campagne bordée de platanes. Il fait beau, le vent souffle de l’autan et pousse de gros cumulus blancs sur un fond de ciel bleu. Amandine conduit lentement, elle hume les senteurs du printemps par la vitre ouverte, les pollens lui chatouillent les narines, elle éternue. Elle pense à son spectacle.

Un théâtre alternatif qui squatte une ancienne église, la scène occupe l’ancien choeur et la nef est aménagée en salle de spectacle. Elle répète son spectacle qu'elle a monté seule, Gelsomina d'après Fellini. Elle esquisse quelques pas de danse, le plateau est encombré de projecteurs, de câbles électriques, des techniciens s’affairent.. Elle tousse, se racle la gorge... Le régisseur s’est approché d’elle, profitant de son dérapage :

-Dis Amandine pour le fond de scène, on fait quoi ? Elle le regarde, d'un geste de dépit, sort son mouchoir de sa manche, se détourne, se mouche.Le mouchoir sur le nez :

-Alors pour le fond de scène... je ne sais pas, elle achève de s’essuyer une narine...

 Elle roule depuis une demi heure, elle renifle, grimace devant le rétroviseur, relève la vitre de la voiture. Soudain, au détour d’un virage, par-dessus la courbe sensuelle d’une colline plantée de colza, le ciel se teinte soudainement d’un blanc laiteux. Amandine a rapproché son visage du pare-brise :

-Mais qu’est ce que c’est que ça ?

Stupéfaite, elle ralentit et arrête la voiture sur le bas-côté, la route est déserte, est-ce une hallucination ? Un immense voile blanc se déploie dans l’air par la grâce des caprices du vent. En un long vol plané, il déroule voluptueusement ses plis et ses replis, jouant avec Eole comme un immense parachute sans ficelles qui aurait abandonné son passager sur un nuage. Après son ballet magique, l’immense toile disparaît derrière les ifs d’un village en contre bas de la route. Amandine tout éberluée :

-Je rêve ou quoi ?

Elle reprend la route.

Le lendemain, Amandine revient sur les lieux de l’apparition avec son ami Ben. Ils explorent les champs entre la grande route et le village en contre bas, elle parle et regarde en l’air en faisant de grands gestes. Ben écoute incrédule, ne dit rien et regarde son amie, un peu dubitatif. Amandine essaye de le persuader :

-Tu vois, je l’ai vu disparaître derrière les ifs du cimetière là-bas, il ne peut être que par ici.

Ils arrivent dans la rue principale, une vieille femme assise sur le pas de sa porte les regarde, intriguée par leur manège :

-Vous cherchez quelque chose ?

-Eh bien, c’est-à-dire que…

Amandine très embêtée ne sait que répondre, Ben vient à son secours :

-Une maison... oui une maison à louer, vous n’en connaissez pas une par hasard ?

La vieille dame fait un signe de dénégation :

-Oh pas par ici, plus personne veut louer ma fois.

Le couple s’éloigne en remerciant, la vieille dame en aparté pour elle-même :

-Ah les jeunes maintenant, y cherchent des maisons en regardant au ciel, elle poursuit légèrement outrée,

-Mais dans quel monde vit-on ?

Ben et Amandine parcourent le village de long en large, visitent le cimetière, regardent par-dessus les murs des jardins, en vain. De guerre lasse, ils sont sur le point d’abandonner lorsqu’ils découvrent entre deux granges un passage qui leur avait échappé. Au bout d’un chemin de terre, un pré clôturé, au fond du pré, un amas de tissus blanc entassé, énorme et en désordre, abandonné.

-Ah ! le voilà, crie Amandine, je n’ai pas rêvé quand même !

Ils s’approchent de la clôture, un agriculteur bricole un tracteur sous un hangar en lisière du champ. Amandine hèle l’homme :

-Monsieur, Monsieur s’il vous plaît.

L’homme s’essuie les mains sur un chiffon graisseux s’approche de la clôture.

Amandine montrant le tas de tissus.

-Bonjour, dites Monsieur, le gros tas de chiffons là, il est là depuis longtemps.

-Il est arrivé hier ma p’tite dame, par la voie des airs, c'est-y pas croyable hein ?

-Mais qu’est ce que c’est ?

-C’est du P17, un géotextile qu'on se sert à couvrir les semis au printemps, il a sans doute été mal arrimé et avec ce vent d’autan...

-Qu’est ce que vous en faites maintenant ?

L’agriculteur hésitant :

-Ben j’en sais trop rien, et comment retrouver le propriétaire, de toute façon y doit être foutu.

-On peut regarder ?

L’homme acquiesce d’un signe de tête, s’apprêtant à regagner son hangar il marque un temps d’arrêt, réfléchit, et ajoute.

-Oh et puis emmenez le si ça vous chante, ça débarrassera.

 Le soir de la première est arrivé, la scène du théâtre est plongée dans l’obscurité. Dans la salle, les spectateurs finissent de s'installer, bruits de fauteuil, babillages d’avant spectacle. Le rideau se lève sur une immense pièce de tissu blanc, dans la pénombre du fond de scène elle semble translucide. La lumière augmente graduellement, le fond de scène se teinte peu à peu de bleu pâle, on entend un piano égrener quelques notes de musique. Amandine entre en scène.

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