Propos d’une midinette : Dites le avec des fleurs !
La pluie battante sur les carreaux ! Encore une bonne journée en perspective ! Une journée de travail, ce n’est déjà pas drôle mais quand en plus, le temps y met du sien, ça peut devenir franchement galère. Juliette, comme presque tous les matins, était en retard. Un coup d’œil par la fenêtre lui avait suffit pour la persuader que cela allait être très dur : il allait falloir se munir d’un parapluie qui allait l’encombrer toute la journée, prendre le tram avec, où il allait lui dégouliner sur les pieds, se faire éclabousser par les voitures…Elle était déjà fatiguée. Le temps lui donnait envie de pleurer. Elle n’avait plus la force de continuer, de se battre : les journées qui défilent à cent à l’heure, les courses du samedi au pas de charge, les voisins du dessus, les problèmes de parking, les résultats ou plutôt l’absence de résultats de son fils au lycée, tout lui pesait. La radio, ce matin, ne l’aidait pas non plus. Le journaliste un brin autiste, un brin décalé depuis le début de la matinée ne parlait que dela Saint Valentin.C’est vrai que c’était le 14 Février mais oublier à ce point la réalité des choses, la difficulté de la vie des gens lui était insupportable. D’abord qui c’était ce Valentin ? Qu’est ce qu’il avait bien pu faire pour être le patron des amoureux ? Elle, ça faisait longtemps qu’elle n’avait plus eu d’amoureux. Pas le temps ! Ou peut-être plus l’envie, elle ne savait pas. La pendule au dessus de la table lui signala qu’elle n’aurait bientôt plus de temps du tout. Il fallait encore qu’elle réveille son fils avant de partir si elle voulait être sûre qu’il aille au lycée. Hier il lui avait demandé ce qu’il pourrait offrir à sa copine ; il n’avait pas d’idée disait-il. Elle avait pensé : ça commence bien ! Mais qu’est ce qu’ils avaient tous avec ça ? Cela faisait plusieurs jours déjà que les radios, les panneaux publicitaires vous harcelaient avec ça. Il fallait monter son amour, ne pas oublier la date. Après, tout le reste de l’année, de la vie, il était permis d’ être odieux. Elle avait beau se dire que c’était une fête commerciale, d’où l’amour était absent, cela la renvoyait à sa solitude, la marginalisait encore plus. Pourtant elle se disait qu’avec un prénom prédestiné comme le sien, elle aurait du être au cœur de l’amour même. Tous ces amoureux : Roméo et Juliette, Héloïse et Abélard, elle ne les enviait pas. S’il fallait mourir à l’adolescence ou perdre des attributs importants pour faire partie de la caste des amoureux, cela ne l’intéressait pas. Seul le sort de Philémon et Baucis l’émouvait. Dans une deuxième vie, elle se serait bien vue en tilleul avec ses branches éternellement enlacées autour de son amoureux mais fallait-il encore être sûr de celui là. Vous imaginez- vous attaché pour l’éternité avec un quidam insupportable ? Il ne fallait pas se tromper ! L’amour autrefois avait tout de même une autre allure : Maintenant, la société de consommation était passée par là. Sa collègue de bureau, radieuse, lui avait montré l’offre de séance de thalasso associée à des soins de beauté que son mari lui avait offerte. Mais elle, s’il y avait eu encore quelque Jules auprès d’elle, elle la lui aurait jetée à la figure. Quoi ? Je ne suis pas assez belle pour toi ?
Il fallait vraiment maintenant qu’elle se dépêche. Elle tambourina sur la porte de la chambre de son fils et sans attendre de réponse, elle saisit dans le même élan, son manteau, son parapluie, ses clés ; Elle ouvrit sa porte et, là, elle s’arrêta pile. Sur le paillasson, un bouquet de fleurs était couché, non pas nonchalamment comme sur une tombe ou en vrac au milieu de dizaines d’autres bouquets commémoratifs mais élégamment, artistiquement. Elle se baissa lentement, le cueillit. C’était des violettes. Leur parfum délicat lui chatouilla les narines. Il n’y avait aucun papier pour les envelopper. C’était un morceau de nature, un bouquet champêtre, simple et délicieux. Le violet est la première couleur du printemps. Les iris, les muscaris, le lilas, la glycine et les violettes sont sur les starting-blocks du printemps. Elle appréciait cet ordre savant, inamovible.
Elle regarda à droite et à gauche dans le couloir, personne ! Elle porta les fleurs jusqu’à ses lèvres. Il n’y avait pas de carte, pourtant elles lui étaient destinées. C’était devant sa porte qu’elles avaient été déposées. Cela la réconforta, elle n’aurait pas aimé qu’une signature débile vienne ternir son bouquet aléatoire : Ton Gégé ou ton Loulou adoré. Elle préférait l’anonymat total, le mystère plutôt que les mots d’amour ronflants. Elle avait appris à se méfier des mots. Les écrits restent, ils enferment les sentiments dans leur calligraphie noire, étriquée, trompeuse. Elle referma sa porte, entra chez elle. Elle choisit un joli vase, y plaça les fleurs et mit le tout sur sa cheminée.
Ca y était, elle était définitivement en retard. Elle s’élança dans l’escalier. La pluie avait cessé, un rayon de soleil transperçait le gris du ciel comme une épée. Quand elle monta dans la rame du tram, un parfum de violette se répandit.
Monique Arcaix