Une habitude qui fait grand bruit …
Une société qui n'a plus de mémoire risque fort de compromettre son avenir. Une mémoire qui ne s'alimente essentiellement que de commémorations et d'hommages est défaillante et ne construit pas de projet collectif.
La Minute de Silence qui envahit nos terrains pour un oui, au nom d'un défunt, rentre dans cette pratique qui confond la mémoire et le souvenir de façade face au stade...
Les joueurs sont rangés ou en cercle, le speaker se prend les pieds dans l'annonce, la tribune ne comprend rien à ce qui se trame sur la pelouse, l'arbitre a oublié d'avertir l'autre équipe, le bruit de beaucoup domine le silence de quelques uns. C'est insupportable, c'est fréquent !
Souvent on nous parachute un défunt des hautes sphères fédérales, un de ces grands personnages qui, s'il a contribué à œuvrer pour l'Ovalie, est sorti depuis longtemps d'une actualité hélas, toujours amnésique. L'hommage sans histoire n'a pas plus de sens qu'une histoire sans les hommes.
Parfois, il faut s'incliner devant un ancien du club, un de ces glorieux ainés qui a déserté la rambarde depuis trop longtemps déjà : la maladie, la vieillesse ou l'éloignement ont creusé un vide qu'il est délicat de combler l'espace d'une petite minute sans bruit.
Un drame national peut provoquer une réaction lacrymale. On impose alors aux sportifs une obligation d'émotion qui n'a aucun rapport avec la pratique sportive. Il y a une confusion fâcheuse entre une actualité qui se veut Universelle et une réalité locale si éloignée. Le respect, l'émotion, la solidarité ne passent jamais par l'injonction.
Un malheur a frappé directement le groupe ou l'un de ses membres. L'émotion est prégnante, pesante, tangible pour un seul camp. L'autre équipe ignore tout de ce qui se trame et ne peut partager ce qui lui est totalement étranger. Ce décalage est quelquefois très désagréable et impliquer des inconnus dans une démarche sincère, n'a pas plus de sens que les cas précédents.
Le drame est connu de tous, il est brûlant, spectaculaire, injuste, cruel. Un jeune victime d'un accident sur le terrain ou sur la route, un départ impossible à accepter, impossible à cicatriser par ce rituel si galvaudé les autres fois. La minute de silence peut alors prendre sa véritable dimension émotionnelle mais, dans un cas pareil, on peut se poser la question de la légitimité du maintien de la rencontre.
Au-delà de la réalité de chaque départ, de la trace laissée parmi les gens de l'Ovalie, il me paraît nécessaire de réfléchir à la nature de l'hommage, à la forme qui s'impose pour honorer celui qui est parti dans le souvenir de ce qu'il fut lorsque ce ballon pas rond était un élément de sa vie.
Une minute de silence pour ce grand braillard qui enchantait les après-matches, cela a-t-il un sens ? Pour ce joueur magnifique de courage et d'engagement, est-ce raisonnable ? Pour ce dirigeant jovial et si chaleureux, est-ce justifié ? Pour cet arbitre intransigeant mais toujours régulier, est-ce pertinent ? Pour cet ancien président, parti dans un contexte houleux, est-ce sincère ? …
La mémoire devrait se construire dans le respect de ce que fut celui qui est parti. Pour honorer un jour que j'espère lointain, ce chroniqueur qui vous écrit, je détesterais que l'on inflige à ceux qui ne l'ont pas apprécié (ils sont nombreux) cette minute sans solennité et goûterait fort quelques applaudissements avec un verre de blanc à la main de ceux qui souhaitent boire à mon ancienne santé. Chacun devrait pouvoir choisir sa façon de tirer sa révérence !
Immémorialement vôtre.