Billet de blog 10 juin 2008

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Vincent Truffy

Journaliste à Mediapart

Petit Matin (Jivaro III)

Peter Rothenbühler dirige le journal Le Matin en Suisse. Il racontait, voici quelques années, le passage de son quotidien au format demi-berlinois.

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Peter Rothenbühler dirige le journal Le Matin en Suisse. Il racontait, voici quelques années, le passage de son quotidien au format demi-berlinois.
En Suisse, le groupe Edipresse avait déjà tenté une première fois de réduire le format de ses journaux dans les années 1970. Ce fut un échec, qui figea longtemps la situation, jusqu'à ce que l'irruption des journaux gratuits — plus petits, plus souples — ne précipitent l’évolution.
Pour son édition dominicale, Le Matin reste en grand format (en 5 cahiers) parce qu'il n'est pas lu dans les transports comme en semaine où il se résume au petit format en un seul cahier. En 2001, avant le lancement du petit format (le 11 septembre!), il tirait à 56.000 exemplaires. Trois ans plus tard, il était passé à 70.000.

Il a néanmoins du combattre un certain nombre de préjugés:

1. Presse tabloïd = presse poubelle.
C'est l'équation installée par les journaux anglais qui distinguent traditionnellement la presse «populaire» (type Sun) de la presse «de qualité» (type Times) par le format. La nuance n'est plus d'actualité. De plus, à en croire Rothenbühler, le fait que les petits formats soient agrafé a vraiment fait la différence pour les lecteurs, quelque soit le contenu, pour une question pratique de lecture dans les transports.

2. Petit format = presse gratuite = journal au rabais.
Le phénomène des abonnements «grands comptes» (les entreprises, les hôtels, les avions, les facultés, etc. achètent en nombre des journaux payants à bas prix qu'ils distribuent gratuitement. Les éditeurs y trouvent leur compte en chiffre de diffusion, qui leur permettent de demander des prix plus élevés pour la publicité) a réduit à peu de choses cet argument, puisque la grande presse est de fait gratuite pour ceux à qui elle s'adresse en priorité; ceux qui auraient les moyens de l'acheter.

3. Changer de format, c'est changer d'identité.
Pas faux: le Times ou The Independent ont tenté de continuer à proposer peu ou prou le même contenu dans un format réduit. En vain. Pour retrouver le titre, l’identité du journal, il faut l’adapter dans sa maquette, sa ligne iconographique, son déroulé. Les études de lectorat ont ainsi montré que les doubles pages doivent être monothématiques (même séquence, même tonalité; rejet total de la coexistence du tragique et du badin).

4. Les annonceurs ne veulent pas du petit format.
C'est vrai, dans un premier temps: la demande vient surtout des lecteurs. Puis faux, lorsqu'ils réalisent que ces nouvelles pages provoquent un nouvel intérêt, notamment chez des lecteurs plus jeunes, donc chez de nouveaux consommateurs. Le Matin a quand même du faire quelques concessions, notamment accepter des formats publicitaires biscornus que les autres journaux refusaient. La régie a du accepter une réduction de 25% des tarifs de publicité au milimètre pour maintenir un volume suffisant.

5. Le lecteur ne supporte pas le changement.
Le Matin a fait le pari contraire. Les habitués cherchent à être étonnés. Du coup, le quotidien a ériger en politique éditoriale le fait de lancer une innovation majeure tous les trois mois, faire naître et mourir des rubriques, passer les rubriques hebdomadaires (mode, conso, santé…) au rythme quotidien. «On n’embauche presque plus que des femmes de 30 ans, pour saisir cette sensibilité, assure Peter Rothenbühler. On a même installé une crèche pour les faire venir.»

6. On doit faire un énorme travail de pédagogie pour habituer lecteurs et annonceurs.
En fait, explique Peter Rothenbühler, les journalistes sont les plus difficile à convaincre. C'est à eux de tenir chaque jour cette nouvelle formule: «les journaux agréables à lire sont désagréables à faire : il faut travailler plus – plus d’articles, plus de photos –, plus vite – les horaires de bouclages sont plus stricts –, se parler plus – le besoin de coordination est proportionnel au nombre de pages – , décider plus franchement – parce que la place est comptée et qu'en petit format, tout se voit. Surtout les erreurs.»

7. Le demi-berlinois, c’est trop petit.
C'est une question de perspective, s'amuse Peter Rothenbühler: le broadsheet est lu à bout de bras; le demi-berlinois de près. Pour l'œil, c'est la même chose...