La commission des lois de l'Assemblée nationale a adopté mercredi 11 mars un amendement au projet de loi Hadopi qui n'a que fort peu de rapports avec le téléchargement illégal de musique ou de films sur Internet. C'est un «cavalier» introduit dans la loi par deux députés du Nouveau Centre, Jean Dionis du Séjour et François Sauvadet portant création d'un statut d'éditeur de presse en ligne, assorti d'un régime de responsabilité atténué pour les contributions d'internautes. L'Assemblée nationale ne devrait pas l'examiner avant la fin du mois de mars ou le début avril, lorsque le débat sur le projet de loi reprendra après deux semaines d'interruption.
Cette disposition avait été préconisée lors des états généraux de la presse officiels par le groupe de travail présidé par Bruno Patino, généralisant à la presse numérique les avantages consentis par l'Etat à la presse papier (aides directes et indirectes, TVA à 2,1%, droit de la presse....). La commissionvavait retenu trois critères pour attribuer ce statut, sans qu'il soit précisé qui en jugerait: «exercice d'une mission d'information à titre professionnel à l'égard du public», «la production et la mise à disposition du public de contenu original, composé d'informations ayant fait l'objet d'un traitement journalistique» et «l'emploi régulier de journalistes professionnels».
L'article additionnel proposé par les deux députés de la majorité y ajoute:
- la «maîtrise éditoriale par la personne éditrice», formulation vague qui devrait exclure les services d'hébergement de contenus;
- le fait de «renouveler régulièrement le contenu» et son «lien avec l'actualité», écartant ainsi la production par trop magazine;
- «l'exclusion des outils de promotion ou des accessoires d'une activité industrielle ou commerciale», garantissant que le journalisme est bien l'activité principale voire unique de l'entreprise.
Surtout, dans l'exposé des motifs, ils précisent expressément que «cette définition ne comprend que des services fournis à titre professionnel dans le cadre d'activités journalistiques, afin d'exclure les sites Internet personnels et les blogs, édités à titre non professionnel.»
Ils renvoient les modalités d'attribution à un décret ministériel (donc non visé par la représentation nationale) et prévoit que la labellisation sera dévolue à la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP), composée pour moitié par des représentants des ministères (communication, postes, économie et justice), qui décide déjà de l'agrément de publications papier.
Les sites Web d'information reconnus y gagneraient de se voir appliquer notamment «le régime de provisions pour investissements et l'exonération de taxe professionnelle» en vigueur dans la presse, ce qui, dans un contexte où le modèle dit «gratuit», financé exclusivement par la publicité, ne trouve pas l'équilibre, pourrait décider de la vie ou de la mort de certains sites. Le texte prévoit également une adaptation notable du droit de la presse appliqué au Web: le directeur de la publication ne serait plus responsable principal des injures, diffamations, etc. commis dans les espaces participatifs (commentaires et blogs), sauf «s'il est établi qu'il avait effectivement connaissance du message avant sa mise en ligne ou que, dès le moment où il en a eu connaissance, il n'a pas agi promptement pour le retirer.» L'auteur des propos délictueux serait alors condamné à titre principal, tant que le responsable du site n'a pas donné signe qu'il a été prévenu de l'existence du délit de presse.
Les articles en question seraient formulés ainsi:
I. - L'article 1er de la loi n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« On entend par service de presse en ligne tout service de communication au public en ligne édité à titre professionnel par une personne physique ou morale qui a la maîtrise éditoriale de son contenu, consistant en la production et la mise à disposition du public d'un contenu original, d'intérêt général, renouvelé régulièrement, composé d'informations présentant un lien avec l'actualité et ayant fait l'objet d'un traitement à caractère journalistique, qui ne constitue pas un outil de promotion ou un accessoire d'une activité industrielle ou commerciale.
« Un décret précise les conditions dans lesquelles un service de presse en ligne peut être reconnu, en vue notamment de bénéficier des avantages qui s'y attachent. Pour les services de presse en ligne présentant un caractère d'information politique et générale, cette reconnaissance implique l'emploi, à titre régulier, d'au moins un journaliste professionnel au sens de l'article L. 7111-3 du code du travail. »
II. - L'article 93-3 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque les délits prévus par les articles 30, 31, 32 en leur premier alinéa, 33 en ses premier et deuxième alinéas et 34 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse résultent du contenu d'un message adressé par un internaute à un service de communication au public en ligne et mis par ce service à la disposition du public dans un espace de contributions personnelles identifié comme tel, le directeur ou le co-directeur de publication ne peut voir sa responsabilité pénale engagée comme auteur principal que s'il est établi qu'il avait effectivement connaissance du message avant sa mise en ligne ou que, dès le moment où il en a eu connaissance, il n'a pas agi promptement pour le retirer. »