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Vincent Truffy

Journaliste à Mediapart

Lorsqu'il a lancé 20 minutes en France, Frédéric Filloux — venu de Libération et surtout de liberation.fr — avait un mandat clair: créer le premier journal (en nombre de lecteur) pour les moins de 35 ans sur son «bassin». Au moment où il en est parti, il revendiquait plus de 2 millions de lecteurs (difficile à mesurer pour la presse gratuite: on prend le tirage comme base de calcul), 33 ans en moyenne, à moitié composé de femmes (contre le tiers pour la presse nationale). 60% de ces lecteurs assurent qu'ils ne lisaient pas de quotidien avant 20 minutes, avec une pointe à 78% pour les femmes.

Son analyse était la suivante. La presse nationales vue par les moins de 35 ans est:

— déconnectée du lecteur, de ses attentes comme de ses besoins,

— élitiste (écrite pour les initiés),

— elle propose un contenu sinistre (des sujets déprimants),

— elle est difficile d’accès (nombre de points de vente, horaires, format et longueur des articles),

— elle est chère par rapport au service rendu,

— elle est d’une utilité discutable pour le lecteur (quelle est l'utilité concrète et immédiate pour le lecteur).

Donc elle ne réussi pas à toucher ce lectorat qui lui assurerait pourtant un avenir.


Le principe qu'il a voulu imposer est celui du double appel : donner au lecteur ce qu’il besoin de savoir en fonction de son contexte de vie (donc anticiper l’actualité qu'il entendra le lendemain matin à la radio) et introduire la notion de plaisir dans la hiérarchie de l’info (ce qui veut dire, pour la rédaction, gérer sa curiosité, donner au lecteur ce qu’il aura plaisir à apprendre, pas ce que le journaliste juge qu'il devrait connaître.)

C'est certainement la partie la plus discutable, en ce qu'elle abandonne la hiérarchie de l'information à une idée préconçue de ce que le lecteur aimerait. Il n'est pas certains qu'en l'emmenant ailleurs, il n'en tire pas autant de plaisir — voir Dominique Conil: «le quotidien, c'est précisément l'intrusion du monde, y compris ce que l'on n'a pas envie de savoir.»


Il a aussi tenté d'installer la confiance du lecteur, construire la crédibilité du journal, et donc ne jamais laisser s'insinuer le moindre doute sur les pratiques journalistiques. Il a rédiger (ou a fait écrire, je ne sais) une charte de pratiques vis-à-vis de la communication et de la promotion.

Il a aussi mené une politique de «coups»: d'abord en décrochant une interview de Dominique de Villepin. L'entretien était mauvais et n'aurait, objectivement, pas du passer, mais l'idée qu'un homme politique de premier plan pouvait s'exprimer dans 20 minutes plutôt que dans Le Monde ou Le Figaro était installée. La qualité viendrait ensuite.

Il a, enfin, essayé de faire en sorte que le lecteur se sente concerné et gratifié en lisant 20 minutes plutôt que Metro. D'abord en ayant soin d'armer son lecteur pour la journée (lui donner des sujets de conversation, des arguments, des anecdotes, des petites phrases à ressortir...). Ensuite en déclinant une vieille ficelle de la publicité: on ne parle pas, dans les sujets sinon dans la forme, à la cible réelle — les lecteurs — mais à la cible marketing — les lecteurs qu'ils voudraient être, la catégorie de personnes à laquelle ils aimeraient appartenir.

Ce qui donna la «formule 20 minutes»: les informations essentielles (monde, France, économie); les «news you can use» (guides, sites web, téléphones, …); les actualités locales; les actualités insolites et amusantes.

Le tout dans une maquette pratique: un demi-berlinois, couleur, séché, collé, préformaté (160 gabarits) comportant un séquençage rythmé et une politique de photo forte et en gros plan (pas de photo d'illustration, symbolique: des gens, si possible des lecteurs, ou alors une photo insolite qui fera parler d'elle).

Les sujets sont saucissonnés en plusieurs articles (un exposé, un témoignage, des données brutes, une interview de cadrage, un éclairage étranger ou régional, une infographie, une photographie, des encadrés), en se demandant, comme une antienne, quel est le profit pour le lecteur (qu’est-ce que l’information signifie pour lui?, quelles sont les conséquences pratiques sur sa vie?)

Ca vous fait pensez à quelque chose? Les newsmagazines peut-être? Il semble que toute la presse quotidienne cherche à réinventer les hebdomadaires en ce moment...