Le 9 avril, en fin d'après-midi, le site du Wall Street Journal publie un étrange petit article:
Titre: Katie Couric (présentatrice du journal du soir de CBS) et CBS vont probablement se séparer («CBS, Couric, Likely to split»)
Sous-titre: Sauf changement d'avis, le départ pourrait avoir lieu après les élections («Barring a Change, Departure Could Follow the Election»)
«Likely», «Barring a change», «could»... Que de précautions pour un journal de référence. Vu l'heure de mise en ligne et selon les codes habituels de la profession, cela ressemble à une indiscrétion non recoupée, mais dont la source est suffisamment fiable pour que le site Web publie l'info, histoire de délier les langues juste à temps pour valider l'article pour l'édition papier mais trop tard pour que la concurrence puisse réagir. Le fait que l'article soit accessible librement sur un site payant accrédite l'idée que la direction du journal veut que l'information se diffuse.
Immédiatement, le Druge Report relaie cette information (colonne de droite, en rouge). Puis au bout de quelques heures, l'article passe en zone payante. Le soir même, 1/10.000e des blogs commentent l'affaire; le lendemain, ce chiffre est multiplié par 10 pour atteindre près d'1/1.000e des billets.

Selon le New York Observer, plusieurs journalistes spécialisés ont alors reçu un mail les prévenant que leur rédacteur en chef serait intéressé par cet article publié par le Wall Street Journal.
Une rapide recherche montre que la rumeur — à l'état de rumeur — circulait déjà sur le Net. C'est d'ailleurs probablement la raison pour laquelle Matt Drudge a réagi immédiatement: il avait eu vent de l'affaire; une source sérieuse venait lui donner son onction. Et puis, son départ de NBC pour CBS, deux ans plus tôt, avait déjà fait une bonne «story». Dès lors, tout faisait sens: son déjeuner en janvier avec Jonathan Klein, le patron de CNN ne pouvait, par exemple, que prouver qu'elle cherchait un point de chute. Peu importe qu'ils furent collègue à NBC, chacun pouvait s'adonner au délire interprétatif.
L'article est repris le lendemain dans la version papier avec un titre à peine changé («CBS News, Katie Couric Are Likely to Part Ways») en ajoutant la mention «A Successor To Larry King?» (74 ans et présentateur du Larry King Live sur CNN). Il sera suivi par le New York Post, Reuters ou le Washington Post.
Le 11 avril, le New York Times précise même quand et où le sort de Katie Couric a été discuté.
Puis par le démenti de CBS, parlant de rumeurs et de spéculations: «Nous n'envisageons pas de changer — aujourd'hui, demain ou dans l'avenir».
Pour l'Observer, cette histoire rend compte d'«un changement dans la dynamique de l'information, où de plus en plus d'articles ne comportant pas grand chose de neuf sont survendus en étant bien placés.»
Et d'expliquer que les rédacteurs en chef, mis chaque jour au défi par les internautes, sautent sur le premier buzz venu, même si l'histoire est ancienne ou si l'enquête n'est pas achevée. «C'est une version moderne du garçon qui criait au loup», tranche Mike Allen, de Politico. «On sort de plus en plus de choses pas assez cuites» (undercooked), assure Adam Nagourney du New York Times.
Autrement dit, presse, télévision, radio et autres médias, qui travaillaient dans la logique de plusieurs éditions, fonctionnent désormais comme les agences de presse: ils essaient de donner le plus tôt possible l'information et la fournissent dans le meilleur état possible au moment de l'envoi, quitte à corriger ensuite. «Ca ne veut pas dire que c'est faux, conclut Nagourney, mais que ça pourrait être mieux si on attendait un peu.»