L'autre guerre de Tardi
- 28 nov. 2012
- Par Dominique Bry
- Édition : Papiers à bulles

Dans les années 80, Jacques Tardi a demandé à son père de lui raconter sa guerre. Son engagement dans l’armée dès 1937, ses motivations et son état d’esprit alors que la France s’engage dans un conflit qui va durer plus de cinq ans et coûter la vie à des millions de personnes et au cours duquel plus d’un million huit cent mille soldats français seront fait prisonniers. Quelques semaines à peine après le début du conflit, durant ce qui n’est encore que la « drôle de guerre », René Tardi est fait prisonnier. Il est envoyé au Stalag IIB aux confins de la Poméranie, il va y rester quatre ans. Dans le camp des vaincus.
« Car c’étaient des vaincus » précise Jacques Tardi. Des soldats qui en captivité ont dû vivre la rancœur, la peur et le doute au quotidien. Les baraquements, la faim, le froid, la débrouille, les portraits des compagnons de captivité, les gardes, les arrivées incessantes de nouveaux prisonniers, la brutalité des surveillants, les humiliations, les coups de « Gummi », les chefs. La description du quotidien des prisonniers est saisissante de réalisme. Et pour cause. Les souvenirs du père s’égrainent au fil du texte, au fil du temps captif. La faim — leitmotiv, obsession des prisonniers, moyen de contrôle des corps et des esprits par les gardiens — revient toujours. Les hivers passent, les années défilent. A la fin de l’album, alors que la fin de la guerre approche, René Tardi se prépare à une longue marche, son retour en France prendra du temps.


Mais Moi René Tardi n’est pas qu’un album sur la guerre et les prisonniers de guerre, c’est aussi et surtout un livre qui fait œuvre de mémoire personnelle, familiale. C'est un album presque intime (sans être un journal), dans lequel l’auteur se met en scène pour la première fois. Comme il le dit en entretien, il était nécessaire, indispensable, pour l’auteur de se représenter ainsi, à la fois témoin bavard et premier lecteur du témoignage paternel. Car le texte, les textes ont été écrits par le père (ce dernier a même dessiné certaines situations qui sont reprises dans l'album), remis en forme et organisés pour en tirer ce qui tient à la fois de l’historiographie rigoureuse et du récit de captivité.

La construction narrative, avec ce dialogue permanent entre le jeune fils (pas encore né) et le père, qui déroule (en bougonnant, souvent) ses souvenirs, tandis que le fils les illustre, opère à merveille. L’auteur a trouvé un juste équilibre graphique, quand l’enfant guette les réponses tandis que l’adulte, parfois laconiquement, au fil d’une mémoire qui se fixe sur des détails, élude les questions : sur les projets d’évasion, sur les escroqueries à la comptabilité du camp… Des questions en suspens.



- Moi René Tardi, Prisonnier de guerre au Stalag IIB, de Jacques Tardi, 200 pages couleur & noir et blanc, Casterman, 25 €
Les premières planches :
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