
Kim Lan Nguyen Thi est une plasticienne- scénographe , une femme métisse, franco-vietnamienne. Je me souviens d’un homme qui lui avait dit, sans vergogne : « ah pour le corps, vous avez pris du côté français», presqu’un peu déçu et tout à fait à l’aise . Dans son, travail, elle met à l’œuvre tous les mécanismes d’attribution de l’identité et des projections qu’ils convoquent. Les fantasmes que suscitent cette appartenance aux « minorités » , elle les décortique, et les renverse en provoquant chez le spectateur une prise de position. Présentées à Anis gras le lieu de l’autre à Arcueil (1), un lieu de création artistique qui la soutient depuis ses premiers travaux, ses installations, visuelles et sonores prennent le temps et l’espace nécessaire au déploiement de son engagement. En s’exposant à travers son métissage dans Regards croisés, la mort de son père dans Disparition , en explorant les rapports de domination dans Wanted , elle plonge au cœur de l’intime pour en révéler l’universel. Son travail profondément engagé, active le spectateur , l’invite, sans dogmatisme, à se déplacer, au propre comme au figuré. Constructions sociales, violences subies ou dispensées, ce à quoi Kim Lan nous convie c’est à la pleine conscience.
Active sur tous les fronts Kim Lan Nguyen Thi est également la co-fondatrice avec Isabelle Gressier, Noémie Aubry et Maud Veith du magazine Femmes PHOTOgraphes. Le numéro 6 , qui vient de paraître est consacré aux enjeux politiques et humains que sont les notions de pouvoir et résistance dans le monde.
Wanted, c’est le bandeau que l’on voyait collée dans le bureau du shérif dans les westerns, avec parfois une récompense et que l’on voit encore dans les postes de police aux USA. Wanted se traduit par l’adjectif « recherché », ou le participe passé « voulu » , « désiré ». C’est de cette ambiguïté que joue Kim Lan Nguyen Thi. On entre dans l’installation par un couloir où sont accrochés des petits boitiers rouges de sécurité comme on en trouve dans l’espace public. « En cas de danger briser la glace ». Dans les boitiers, on voit et entend des hommes et des femmes , face caméra, crier jusqu’au bout de leur souffle. A quel moment considère t’on le danger ? A partir de quel moment brise t’on la glace ? Le dispositif résonne singulièrement avec l’actualité où la parole des victimes d’agressions sexuelles est portée sur la place publique.

Dans la première salle des photos suspendues, sous formes d’affiche, portent toutes le bandeau « Wanted », elles répondent au même statut , même code graphique En mêlant images d’archives personnelles, photos d’enfance, des documents ethnographiques, cartes postales coloniales ,et les associant au vocabulaire policier elle nous fait basculer dans la scène de crime : « Dead or alive ?» , le Wanted au-dessus de chaque cliché, les visages floutés nous ramènent à la disparition , l’enlèvement, le rapt. Sommes-nous tous recherchés , tous coupables par nature ? On passe par un couloir et l’oreille collée aux petits haut-parleurs, nous écoutons l’histoire de la grenouille et du scorpion ; Dite par différentes personnes qui se présentent, la chute est implacable : le scorpion pique la grenouille une fois le fleuve traversée car, dit-il « c’est ma nature » . Et suivant la voix, féminine, masculine, douce, moqueuse, cette petite histoire de nature se transforme en autant d’histoires que de conteurs et d’auditeurs. Certains semblent se réjouir du sort fait à la grenouille, d’autres compatissent, chacun y voit un message différent. Tout comme l’image, le son passe par le prisme de nos constructions mentales . Nous entrons dans la dernière salle « Memento Quia (Rappelle-toi parce que) » . Kim Lan Nguyen Thi prend à bras le corps la question politique du mémorial. Les listes de noms , de disparus, d’une guerre, d’un événement tragique sont censées nous réunir collectivement autour d’un monument pérenne.Pour son mémorial , elle choisit d’inscrire en bas-relief, dans le (faux) marbre une suite de verbes d’état et de verbes d’action pour légender des clichés dont la mise en scène est répétée plusieurs fois avec des protagonistes différents. Le visage est toujours caché, ajoutant à la confusion de nos sentiments. C’est à partir des couleurs de peaux, du genre , de l’âge des protagonistes que nous nous inventons la scène. A nous de nous faire « l’histoire » , et nous ne manquons pas d’y coller ce que nous sommes : No one is innocent !
Wanted jusqu’au 23 Novembre à Anis Gras le lieu de l'autre. Du mardi au vendredi 12h – 18h / Samedi 14h– 20h
Fermé les dimanche et lundi
Sur RDV entre 10h et 18h. Merci d’appeler le 06 63 44 58 06
http://www.kimlannguyenthi.com
1Anis Gras le lieu de l’autre est très facile d’accès ! RER B. 55 av Laplace, 5 mn de la station Laplace . , arrêt Laplace 15 mn depuis Châtelet . http://lelieudelautre.com/
Femmes PHOTOgraphes , http://www.femmesphotographes.eu/