
Le bruit court que nous ne sommes plus en direct est un titre qui nous induit en erreur. En direct, nous y sommes bel et bien avec la bande de zygotos du collectif L’avantage du doute. Ils sont là en chair et en os avec nous, public du théâtre de la Bastille. A part le fait qu’ils ont l’air d’avoir froid, ce qui n’est pas du tout notre cas, on est bien dans le même espace -temps, en « live ». Alors pourquoi ont-ils froid ? Nos zozos se sont mis dans la tête de créer une chaîne de télévision éthique. Un prompteur signale l’audimat :57 « voyants » au moment où commence le spectacle. On assiste donc en direct à la conférence de rédaction, pour le JT qui aura lieu dans 8 minutes. On comprend vite qu’il n’y a pas le moindre kopeck pour financer cette entreprise utopique, donc pas de matériel, des souris qui bouffent tout et… pas de chauffage ! Comment faire ensemble, construire ensemble , il s’agit d’une télé , mais on peut y entendre que c’est aussi du spectacle qu’ils sont en train de fabriquer. Comment agir en collectif et jusqu’où peut-on tenir une position « sans ». Sans argent, sans compromission, donc sans salaire et sans chauffage et sans vendre son âme au diable Empêtrés dans leurs principes dont ils sentent bien les limites et les contradictions, la petite bande patine dans le yaourt. On ne veut plus de ces nouvelles, ces images en flux continu,mais par quoi les remplacer ? Qu’est ce que veut dire une télé éthique ? Une télé regardée par personne ? Une télé où l’on s’autorise le vide, le silence, la pause ?
Ils ont beau convoquer Marie-Josée Mondzain, philosophe spécialiste de l’image, Walter Benjamin, Guy Debord et tutti cuenti, le débat reste creux. Et ce n’est pas Simon, le sexagénaire de la bande qui va les aider ,lui qui essaie de se trouver d’autres exaltations que la 8/6 qu’il consomme en quantité, auprès de ces jeunes utopistes qui ne sont pas sans lui rappeler son bon vieux temps.
L’arrivée de Gloria, jeune et jolie fille d’un riche mécène, Bob, un ami de Simon qui a « vendu très cher un canard » (Actuel ?) , avant de s’exiler à Copacabana et a reconverti son utopie libertaire dans le cocktail exotique et les bimbos en string, va renverser la donne. Gloria, master de marketing business, communication et j’en passe, en poche, va mettre la théorie de ses études en pratique et les pieds dans le plat d’Ethique Télé avec force conviction. Très vite elle en améliore le confort (chauffage) et propose… un salaire à chacun. Fin ou début de la liberté ? Le débat reste entier. Tout en relookant façon petite bombe sexuelle Mélanie à coup de jupe en cuir et rouge baiser, parlant fire wire ,blue tooth et développement de produit, elle règle son Œdipe entraînant notre Simon dans un vertige amoureux dont Hélène compagne de 30 ans, comprend vite la teneur le jour il où achète une paire jeans slims.Les petits arrangements avec la morale et un esprit « éthique » plus proche de Xavier Niel que de la CNT, l'audimat grimpe sans discontinuer.
L’exercice de ses enfants de la société du spectacle est périlleux et ils frôlent parfois la chute dans les pièges de ce qu’ils dénoncent. C’est sur le fil qu’ils se rattrapent, en osant quelques vrais moments de failles et de suspension : la mort du père de Mélanie , l’évocation d’une légende indienne dans un nuage de poussière rouge par exemple. Mais il faut aussi bien admettre que nous nous réjouissons pleinement du spectacle et force est de reconnaître que le point d'orgue méthode Gloria est atteint au moment du tournage hilarant de l’explication du cercle de l’industrie version farce grotesque sur fond vert .Cette scène signe l’explosion des rires dans la salle tout autant que celle de la fin d’Ethique Télé et de son groupe. On n’échappe pas au divertissement !
Le bruit court que nous ne sommes plus en direct
Théâtre de la Bastille à Paris jusqu’au 29 janvier 2016
www.theatre-bastille.com
En tournée au bateau-feu à Dunkerque, le Théâtre de Nîmes, La coupe d’or-Rochefort, le lIeu Unique à Nantes, La scène conventionnée du Val d’Orge Brétigny