Hébétée par ce qu’elle profère, l’actrice répète « toute ma vie j’ai été une femme ». Révélation? Elle répète la phrase comme un code à la recherche d’une vérité fondamentale ramenée sur le plancher des vaches par sa copine qui lui assène que « Moulinex libère la femme».
Dans une déco où le coin cuisine est accroché aux murs façon plan 3D, deux femmes, deux copines, ménagères de moins de cinquante ans, énoncent des séries de phrases, slogans publicitaires pour dire la perte de sens d’une société qui prône un bonheur obligatoire par accumulation. Elles se prêtent joyeusement à tous les clichés, stéréotypes et diktats de l’être femme. Elles expérimentent tout aussi gaiement le potentiel offert par une boîte de céréales, pack de jus d’orange et autres boîtes à farine, reconnaissent l’épluche légume comme le vrai libérateur de la condition féminine. Leurs larmes sont celles du robinet du lavabo suspendu, leurs doutes passent par Monoprix. Ce duetto d’actrices est aussi un duetto d’auteurs.
Leslie Kaplan a utilisé des extraits de textes de Rodrigo Garcia pour écrire « toute ma vie j’ai été une femme ». L’argentin n’a de cesse de dénoncer la société de consommation tout en utilisant les moyens chocs de la publicité. Un monde qu’il connait bien pour y avoir travaillé. Leslie Kaplan sculpte une écriture profondément ancrée dans le monde, porte un regard acéré sur la société. Le cocktail est agréable mais court en bouche il laisse le goût du divertissement dénoncé.
Les deux actrices courent derrière une identité, ne sachant à quel bazar se vouer, « la vie Auchan »ou « Habiter son corps en 25 leçons » ? Elles s’agitent, brassent de l’air en virtuoses, drôles assurément, assumant totalement le vide sidéral de leur condition, jouent l’instant du plateau, donnent les « trucs « dramaturgiques pour nous rappeler que l’on est au théâtre. Tout au long du spectacle un homme filme. A la fin, il livre ses images sur l’écran du plan cuisine. On y voit le mouvement, la goutte de sueur, le tourbillon, image macroscopique. Des images belles sans conteste, impeccables, comme le sont les actrices, comme l’est le texte. Et c’est peut-être là le manque que l’on ressent. On aurait voulu un contrat assurance défaillant, plus de ratages, de fragilité, d’hésitations. De ces creux qui nous empêcheraient d’être confortablement en retrait. On aurait voulu plonger dans le trouble et rire jaune.
Duetto « toute ma vie j’ai été une femme » de Leslie Kaplan. Extraits de textes de Rodrigo Garcia
Conception et jeu ; Frédérique Loliée et Elise Vigier
Jusqu’au 29 mars à la Maison de la poésie à Paris
Tél : 01 44 54 53 00