
« Alors on verrait un homme de quarante ans, moi, perdant toutes ses certitude, toutes ses relations et tous ses contacts, arrivé à un état d'épuisement et d’agitation permanente , dans un corps qui n’a plus droit qu’à de rares excès et seulement si on le bourre de piqûres vitamines et de programme de bien être, dont le père est dans le coma accroché à des tuyaux » « My secret garden » est mis en scène par Stanislas Nordey suite à une commande passée au metteur en scène et auteur allemand Falk Richter. Stanislas Nordeyen est aussi l'acteur . Il entre sur scène , tout en fragilité et en tension Les mots qu’il dit sont celui du journal intime de Falk Richter, qui pourrait, par moments, être le sien. Les deux quarantenaires sont tous deux célèbres metteurs en scène de théâtre et d’opéra, leur vie personnelle se confond entièrement avec leur vie professionnelle, ils se trouvent souvent isolés au 27 ème étage d’un hôtel international cinq étoiles quelque part dans le monde.
La boîte à souvenirs s’ouvre sur l’adolescence, une banlieue d’une ville allemande, une famille Volkswagen, la mère est au foyer et tyrannise de son envahissante présence son fils de 17 ans, le père travaille trop. Après un monologue qui tient de la course de fond , Nordey est rejoint pas Anne Tismer actrice extraordinaire et Laurent Sauvage compagnon de longue date du théâtre de Nordey. Laurent Sauvage s’empare du micro comme un chanteur de rock , on pense à Alain Pacadis, night clubber philosophe des années 80 qui cachait son regard défoncé derrière d’épaisses lunette noires. Le texte de Falk Richter est un texte générationnel en prise avec l’actualité. Un texte d’urgence, un texte d’ici et maintenant . Il y est question de crise, de perte de désir, de prix donné aux choses. La liste désabusée des services et suppléments d’un call-boy , l’appel désespéré sur Skype , les 150 SMS, le psy, les questionnements sur les possibles titres de la pièce emmènent dans le gouffre sans fond d'une société au passé aussi délétère que l'avenir. Le travail du son rend compte d’un monde aseptisé envahit du bourdonnement de ces machines qui nous permettent d’être connecté 24hsur 24. Admirateur de Fassbinder, Falk Richter connaît aussi la nouvelle vague et fait un clin d’oeil au Mépris de Godard quant sur fond de la célèbre musique qui craquette sur un pick-up Laurent demande « et ma peau molle ridée, tu l’aimes ?… Et mon sexe tu l’aimes mon sexe que je n’utilise plus aussi souvent qu’avant du moins quand tu es à proximité parce que nous n'arrivons que si rarement à nous enthousiasmer l'un pour l'autre... » tandis que la fille remplit un verre de vin sans fin. On est loin de Capri ! Anne Tismer joue l’actrice de seconde zone qui se prépare méthode actor studio pour une phrase dans un téléfilm sur l’Allemagne Nazie, elle est ensuite la décérébrée prise entre un tournage de pub, une pose de mode, et un essai pour un film Elle est extraordinaire de vie, de drôlerie de sagacité, d’énergie. Elle fait figure de bombe à fragmentation face aux deux hommes qui n’ont plus que l’énergie du désespoir. Le côté nihiliste du spectacle aurait tout pour agacer, il nous bouleverse littéralement. On éclate de rire quand Anne Tismer propose une offensive « porn revolution » diffusé sur You tube pour en finir avec les banquiers. A la fin du spectacle, sur un bout de faux gazon des saucisses grillent sur un barbecue. Des caisses en aluminium qui forment un mur en fond de scène, les acteurs sortent des cassettes VHS, des magazine, un mixer, un robot magique, un toaster…Ils sont laissés sur le sol vestiges d’une époque. Le 21 ème siècle a déjà 10 ans et il n’est pas gai !
"My secret Garden"
Studio des Quartiers d’Ivry jusqu’au 18 décembre
01 43 90 11 11
Texte édité aux éditions L’Arche