Pas facile d’être touriste. On a beau être « intelligent » on en aime pas moins les beaux paysages et le folklore local surtout quand ils correspondent à notre imaginaire . le touriste n’aime pas être déçu. Elios, jeune homme installé dans la Beauce. Il est allé au Mexique. en a ramené un poncho coloré et un sombrero,quelques idées sur les mexicains "qui ne veulent pas décevoir leurs interlocuteurs,c’est pour cela qu’ils donnent une mauvaise indication plutôt que pas d’indication du tout quand on leur demande notre chemin ». C’est sûrement écrit dans la préface du guide du routard chapitre « ce qu’il faut savoir ». Elios est un voyageur qui aime découvrir d’autres cultures, les voyages l’enrichissent, dit-il. Il veut être au plus près des traditions locales et n'hésite pas à risquer l'aventure et le temps d'une nuit essayer de se mettre dans la peau d'un migrant mexicain . Le jeu existe il s'appelle « caminata nocturna». Il a été mis en place par les habitants du village d’Alberto dont 95% d’entre eux ont tenté leur chance de l’autre côté de la frontière. Les règles du jeu sont simples : on met le touriste en condition de migrant clandestin passant la frontière. Coups de feu , annonce de la police ‘ « il fait très chaud dans le désert et l’on peut mourir, ne suivez pas les passeurs » arrestation et menottes , tout y est. Les rôles sont distribués parmi les villageois, certains jouent les policiers, d’autres les passeurs, et les touristes les migrants. La migration clandestine vécue comme une sorte de rituel, devient d’un saut de Rio Bravo allègrement franchi, partie de la tradition . De retour en France Elios montre à ses amies Marta,l’espagnole et Monica, la mexicaine le film qu’il a tourné lors de ce « caminata nocturna » et raconte ses impressions de voyage.
Les metteurs en scène Patricia Allio et Eléonore Weber construisent alors un objet scénique entre la démonstration et le spectacle. Le jeu de rôle mexicain va se prolonger sur scène et la situation représentée va se révéler être plus troublante que l’expérience in situ. Marta et Monica vont ramener Elios à la dure réalité de sa condition d’homme du monde « premier » c’est-à dire du monde riche, celui que les plus pauvres du « tiers-monde » tente d’atteindre non pas pour découvrir une autre culture mais pour survivre.
Monica est indienne et ça se voit sur elle. Dans la rue en France ou en Espagne, elle est immédiatement perçue comme une immigrée venue grossir les rangs des femmes de ménage sans papiers. Et Monica va nous décevoir, elle ne connaît rien de l’immigration clandestine, elle a toujours eu des papiers, elle est actrice. Excellente actrice, elle peut pleurer chaque soir en racontant l’histoire de sa famille, son village. Pour répondre aux indications des metteurs en scène ? Si elle racontait en riant, ce que dit-elle, font les gens de son village, serait elle crédible ? Sommes nous prêts à supporter l’horreur dans un éclat de rire ? « Premier monde/Primer mundo » nous renvoie en pleine face un néo-colonialisme sournois, celui qui se cache derrière une bonne conscience de gens cultivés, anti-racistes, fervents militants des causes des opprimés de la terre entière, sûrement écologistes dans l’âme. Les metteurs en scène démontent parfois naïvement le système, mais la naïveté prend ici des vertus pédagogiques. En tous les cas, notre désir d’exotisme en prend un sérieux coup, notre position de spectateur aussi. Cet été les vacances en Bretagne, ce sera très bien.
Jusqu’au 18 juin au Parc de la Villette, salle Boris Vian
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