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Billet de blog 21 mars 2011

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Le dîner des petites mécaniques

A ma gauche, François Delarozière, plus connu du grand public sous le nom de : « le gars qui faisait les machines de Royal de Luxe », à ma droite Alexandre Gauthier, l’un des plus brillants cuisiniers de la nouvelle génération et au centre, un lieux emblématique d’une politique culturelle réussie, Le Chanel à Calais. Dîner de gala.

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Illustration 1

A ma gauche, François Delarozière, plus connu du grand public sous le nom de : « le gars qui faisait les machines de Royal de Luxe », à ma droite Alexandre Gauthier, l’un des plus brillants cuisiniers de la nouvelle génération et au centre, un lieux emblématique d’une politique culturelle réussie, Le Chanel à Calais. Dîner de gala.

Accueilli dans la nuit froide par une araignée de la taille d’un immeuble, le public pénètre dans une grande halle peu éclairée qui semble avoir servi toute la journée à une très grosse entreprise de chaudronniers ferrailleurs. Imaginer que l’on va déguster là, avec près de 200 autres convives, au milieu de l’huile de ricin et des machines outils, un repas gastronomique, semble un poil ambitieux. Mais l’arrivée au fond du bâtiment vous arrache vos dernières scories du monde réel,vous êtes dans un film et vous avez un rôle important. L’orchestre monte la sauce de l’étrange, le décor est magique, candélabres, immenses lustres de bougies hauts perchés, bancs en bois clair, rails au milieu des tables, les mécaniques se cachent mais vont vite participer au tournage. Attention, clap pour la mise en bouche, moteur.

Illustration 2

François Delarozière sait faire des araignées géantes mais ses délicats portes-verres avec balanciers se vendraient dans les boutiques de design les plus luxueuses. Les machines qu’il a inventées pour assurer le service allient le brut de l’acier à la précision horlogère de mécanismes d’une grande sophistication. Machines à boire le vin, à le servir, petit mécanisme pour faire pencher votre assiette pour saucer tout confort, supports de couverts, cloche à pain, rien n’est laissé au hasard d’un humain aux gestes trop maladroits.

Du sensible dans du brut ou l’inverse, c’est aussi le crédo d’Alexandre

Illustration 3

Gauthier, un chef sauvage, qui attaque d’entrée en plein hiver une soupe froide d’été à l’eau gouteuse de concombre, servie dans une boîte de conserve. Ca pose l’ambiance. Le reste est à l’avenant et les asperges croquantes au tourteau qui suivent sont en accord parfait avec les vis et boulons des machines.

Illustration 4

Le clou de la collaboration des deux artistes artisans vous tombe du ciel par l’arrivée de poivrières humaines qui vous demandent la tête en bas si elles peuvent tourner le moulin sur votre Mignon de porc fermier. On ose le dire : c’est renversant.

Enfin, alors que vous croyez en avoir fini avec ce déluge d’effets spéciaux, voilà que votre dessert descend lui aussi du toit avec son serveur en rappel, appelons le un dessert lustrueux puisque vous avez cru jusqu’au bout que votre crème à l’orange était lumineuse. En bouche, elle l’est, comme toute cette soirée d’une poésie merveilleuse où la gastronomie de très haut niveau tombe du ciel pour un dîner de gala à 15€ tout compris.

On voit bien la difficulté. Dans l’art sans doute plus qu’ailleurs, comment créer des rencontres productives sans que le choc des egos emporte l’œuvre commune ? Comment mobiliser des énergies complémentaires sans tirages de couverture centripètes ?

D’abord et avant tout, bien choisir l’écrin où les artistes vont travailler. Au Chanel de Calais, l’artisan de l’accueil, le prince de la mise en tension du social et du culturel, le roi de la douceur créative dans un environnement brut, qui peut prétendre sans fausse modestie offrir le meilleur au plus grand nombre s’appelle Francis Peduzzi. Aucun des projets Calaisiens n’aurait pu être imaginé sans son militantisme et sa force de conviction qui posent Le Chanel, son équipe et sa programmation comme un modèle du genre. Ainsi, le dîner des petites mécaniques se déroule dans le cadre d’un évènement dont le titre a lui seul vaut déclaration politique : « Liberté de séjour / manifestation artistique, humaine et inattendue », contrairement à ses administrés, la Maire UMP de Calais a boudé l’événement jusque là.

Jusqu’au 26 mars

www.lechannel.org

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