
C'est quoi être folle ? À quel moment franchit- on la limite qui fait que l'on se réveille à Sainte Anne? Dans une actualité où de nouvelles lois davantage sécuritaires que sécurisantes se profilent en rapport avec la psychiatrie « L’homme Jasmin » arrive à point nommé. Son auteur Unica Zürn écrit le récit d’une vie, les aller et venuesentre le pays des fous et la société dite normale. Elle dit magnifiquement les débordements, rit elle-même des actes de folie qu’elle commet, la frayeur qu’elle inspire, la compassion aussi. On entre dans son labyrinthe, chacun reconnaissant sa frontière intime et trouvant son propre chemin. En 1952 elle a divorcé, la garde des enfants lui a été retirée, elle part à Paris et rencontre Hans Bellmer. Elle dessine, des motifs dans lesquels on retrouve obsessionnellement des pattes d’oiseaux, dessins proches de l’art brut, ce qui explique que les quelques expositions que l’on puisse voir sont dans les musées ou chez les collectionneurs d’art brut. Hans Bellmer l’initie aux anagrammes, elle trouve le jeu passionnant et elle développe tout une écriture en jouant avec ce principe. Des phrases d’une grande beauté. Elle est proche de Michaux qui la visitera souvent pendant ses périodes d’internement. «L’homme Jasmin » est à la fois une aventure littéraire et humaine. Magali Montoya actrice et metteur en scène est littéralement tombée amoureuse du texte offert par une amie, Elle réunit cinq actrices, cinq femmes de 30 à 80 ans pour lui donner corps et surtout voix. La plus âgée, Ulla Baugué est assise au milieu du plateau d’un blanc immaculé. Elle est pôle magnétique autour duquel gravite les trajectoires des quatre autres. Le plateau blanc , un cadre rempli de sel , comme la page d’écriture, de dessin,blanc comme les espaces laissés entre les mots, la mémoire qui s’envole. Il se couvre peu à peu des traces des pas, des écritures faites au bâton par les actrices. Traces vaines et éphémères comme le sont les miettes de pain du Petit Poucet, elles s’effacent se brouillent au fur et à mesure de leur apparition.
Le texte est distribué comme une partition musicale. La parole circule entre les actrices, elles se relaient, s’unissent dans une même phrase, donnent une forme chorale à cet Homme Jasmin. Mention spéciale à Anne Alvaro qui restitue la complexité, l’humour, l’angoisse, la perte, les doutes de l’écrivain par une inflexion, un mouvement toujours juste, une présence lumineuse qui n’éclipse pas les autres, elle est tout simplement sublime.
Unica Zürn entendait des voix, elle se sentait guidée par une hypnose à distance. Elle met fin à ses jours en 1970 en se défenestrant. Celle qui disait avoir "un cerveau de la taille de celui d’un poulet" savait qu’elle ne s’envolerait pas, en se jetant par la fenêtre. Unica Zürn a toujours revendiqué d’être une femme libre ; Pas si folle.
Au théâtre de l’Echangeur à Bagnolet jusqu’au 28 mars
01 43 62 71 20
photo/ Bellamy