Grisélidis Réal a fait l'amour sans embrasser pendant 30 ans. Elle a également écrit sept livres dont un recueil de poèmes, une oeuvre littéraire poétique, à la langue dure, crue, une poésie violente. Elle a demandé qu'à la case profession soit notée : Ecrivain et péripatéticienne et toujours souligné que la prostitution ce n'est pas de la littérature. Comme tout métier il y a un savoir faire, « une bonne pute est une bonne technicienne ». Il ne faut pas tout confondre, la prostitution ne laisse aucune place à la romance et celles et ceux qui le croiraient feraient de très mauvaises putes. Dans les années 1970 elle est meneuse de « la révolution des prostituées » à Paris. 500 filles occupent la chapelle St Bernard à Paris et réclament la reconnaissance de leurs droits. Les travailleuses du sexe sont aussi des travailleuses sociales. C'est dans leurs bouches, leurs sexes que viennent défaillir des centaines d'hommes, ceux qui sont éloignés de leurs femmes, les travailleurs migrants, ceux qui ont peur des femmes, les moches, les gros, les beaux, ceux qui sentent mauvais, les élégants, les divorcés, les nouveaux mariés... C'est chez les prostituées que bon nombre d'entre eux vont se rassurer quant à leur virilité « Un homme paye pour bander et éjaculer...Et parfois, il dit merci madame ». Pour mettre en scène « le respect s'étendra devant nous comme un tapis de velours sur lequel nous marcherons pieds nus sans nous blesser' , Nicolas Kerszenbaum a réalisé une adaptation qui puise dans l'ensemble de l'oeuvre. La correspondance de Grisélidis avec son ami Jean- Luc Henning tire le fil, elle répond aux questions de l'ami, explique, divague. Elle ouvre son « Carnet bal « où elle note scrupuleusement le nom de ses clients, le service rendu et la somme perçue l'énumération devient hymne à la joie. Elle défend l'honneur de son travail, refuse d'être considérée comme une victime et clame que ce métier, elle l'aime, les hommes, elle les aime vraiment. Aucun romantisme béat, elle dit aussi, la dureté, le danger, la peur au ventre. « Les hommes n'ont jamais peur mais les prostituées toujours ». Elle dénonce un pouvoir politique hypocrite qui en condamnant ne fait que servir les proxénètes et favoriser la maltraitance et la maladie, Grisélidis revendique la prostitution comme acte politique. Elle dit aussi la peur de l'amour, à plus de soixante-dix ans elle tombe dedans comme une bleue, tremble dans l'attente du coup de fil d'un homme au regard de braise. Pour toute nuit d'amour, il la traîne de bar en bar et finit par lui demander une pipe. Grisélidis meurt en 2005 à Genève d'un cancer. Elle avait encore la force sur son lit d'hôpital de sourire à la vue d'un homme de ménage bien bâti. La mise en scène mise s'est placée loin d'un réalisme trash. Le spectacle pourrait être le dernier rêve de Grisélidis, ce fameux défilé d'une vie que l'on verrait passer avant la mort. Le spectateur s'installe dans l'intimité de la salle comme dans celle d'une chambre, accueilli par un homme à la tête de tigre. Le texte projeté s'imprime sur son torse. On a le sentiment d'assister à une cérémonie, un rituel. Le fantôme de Grisélidis vêtu d'une veste kimono et d'une perruque brune s'avance doucement. L'actrice Magali Montoya un large sourire aux lèvres tient le pathos à bonne distance et trouve l'empathie qu'il faut. Son complice Raphaël Mathon glisse en écho dans le rêve tantôt Grisélidis, tantôt l'ami Jean-Luc tantôt l'homme et tous les autres. Respect
Les 2,3,4,9,10 et 11 novembre à 21h
À la loge à Paris 77 rue de Charonne
Tél. : 01 40 09 70 40
Textes de Grisélidis Réal
* Le Noir est une couleur, Paris, Éditions Balland, 1974 ; Lausanne, Éditions d'en bas, 1989; Paris, Éditions Verticales, 2005.
* La Passe imaginaire, Vevey, Éditions de l'Aire/Manya, 1992; Paris, Verticales, 2006.
* À feu et à sang, recueil de poèmes écrits entre mai 2002 et août 2003, Genève, Éditions Le Chariot 2003
* Carnet de bal d'une courtisane, in "Le Fou parle" 11 (décembre1979); Paris, Verticales, 2005.
* Les Sphinx, Paris, Verticales, 2006.
* Le carnet de Grisélidis, paroles de Grisélidis Réal et Pierre Philippe, musique de Thierry Matioszek et Alain Bashung, chanson interprétée par Jean Guidoni sur l'album "Putains", 1985.
* Suis-je encore vivante? Journal de prison, Paris, Verticales/phase deux, octobre 2008.