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Billet de blog 30 juin 2011

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Coups de feu à La Madelaine sous Montreuil

La petite BMW, modèle coupé décapotable garée à côté du restaurant, ramassée sur elle-même, nerveuse, aimant les reprises rapides dans les cotes, un peu cabossée, est à l’image de son propriétaire. Alexandre Gauthier n’aime pas freiner, pied au plancher, il met le feu à la cuisine contemporaine.

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La petite BMW, modèle coupé décapotable garée à côté du restaurant, ramassée sur elle-même, nerveuse, aimant les reprises rapides dans les cotes, un peu cabossée, est à l’image de son propriétaire. Alexandre Gauthier n’aime pas freiner, pied au plancher, il met le feu à la cuisine contemporaine.

Illustration 1

On ne sait pas très bien par où commencer les aventures d’Alexandre au pays du goût tant elles sont riches en rebondissements. Le plus surprenant à votre arrivée est le nouvel écrin qui abrite cette fabrique de sens, qui tient compte de chaque millimètre de création et qui est signé par l’architecte Patrick Bouchain. Celui-ci, comme à son habitude, se laisse habiter par l’espace et n’entend pas dominer la nature, mais simplement la montrer. On comprend donc dès l’abord, que le point d’accord fondamental avec son maître d’ouvrage n’a pas été très difficile à trouver. Encore fallait-il révéler l’histoire d’un lieu plus de deux fois centenaires sans fétichisme, assurer l’hébergement éventuel des convives sans défigurer prairies et jardins, instiller le contemporain sans passer par la case Marie-Claire Déco, faire des cuisines entièrement noires sans que le geste soit gratuit, bref, trouver les signes intérieurs de richesse qui puissent mettre Alexandre Gauthier aux commandes d’un vaisseau haute couture plutôt que Prêt-à-porter. Dire que la chose est seulement réussie apparaît presque un poil insultant au regard de l’exceptionnelle intelligence des espaces et des mouvements des humains qui doivent y évoluer.

Alexandre Gauthier a donc fermé presque six mois avec quelques vacances en perspective pour prendre du recul et imaginer les quinze prochaines années de sa vie de cuisinier. « J’ai réussi péniblement à trouver quatre jours entre deux réunions de chantier. Il y avait toujours des décisions importantes à prendre ! ». Et oui, la haute couture se doit de ne négliger aucun détail. Et en détails, Alexandre est le maître incontesté, s’il avait été chercheur scientifique, sûr qu’il aurait choisi les nanotechnologies, section expérimentation en vaisseau spatial. A vrai dire, on l’imagine assez mal en vacances, tant il paraît toujours habité par l’obsession de réussir le pari qu’il s’est fixé dans cet endroit loin de tout et à l’histoire prégnante.

Illustration 2

Son grand art est celui des contrastes, du petit avec du grand, du très subtile avec du brut, du brûlé avec du pas cuit, du neuf avec du cassé. Et ça commence par ce menu, chiffonné en boule, tout droit sorti de la corbeille à papier, jeté sur la table comme une copie à refaire et qui comprend 42 points de suspension, trois par plat. Tout Alexandre est là, la modestie du créateur qui laisse à son spectateur le soin de finir l’œuvre, d’y plonger son propre imaginaire pour se raconter son histoire. Ainsi, l’annonce « fraise verte, basilic… » balancée sur une assiette cassée oublie sciemment la présence du foie gras qui donne à ce produit classique qui a dû occuper quelques milliers d’assiettes dans l’histoire de La Grenouillère, une dimension de douceur et de complexité dans le mélange des goûts d’une immense subtilité.

Illustration 3

Alexandre a également ce talent souvent oublié de vous imposer un rythme dans l’attaque du plat. La surprise fait partie du jeu, comme dans toutes les bonnes séries. Ca peut passer par l’odeur, celle du genièvre brûlé qui a cuit votre homard ou par la vue avec ce plat de cordes de chanvres dans lequel on repère quelques comestibles poussiéreux ou bien cette boule de verre remplie de glace à l’oseille sauvagement cassée dans votre assiette. La cuisine d’Alexandre n’est pas tranquille, elle est faite pour bousculer, voire énerver certains qui n’y voient que le spectaculaire en oubliant que la forme, à La Grenouillère, n’est jamais gratuite. Manger chez Alexandre, c’est accepter d’être déstabilisé pour mieux retrouver ses bases, celle de la nature qu’il met en scène, sans en déformer le sens profond, juste en l’interprétant, en artiste qu’il est.

La Grenouillère

La Madelaine sous Montreuil

Montreuil sur mer (Pas-de-Calais)

Tél. +33 (0)321 O6 07 22

http://www.lagrenouillere.fr/

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