Billet de blog 26 septembre 2014

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Ancien journaliste, militant écologiste, éthicien, pasteur de la Mission populaire à Montreuil (93), habite à L'Ile-Saint-Denis

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Penser les religions depuis la gauche, une des questions pour refonder la gauche

Pasteur et militant de la gauche radicale, Stéphane Lavignotte formule pour Mediapart certaines questions dérangeantes de son dernier livre, Les religions sont-elles réactionnaires ? Il vient de paraître dans la « Petite Encyclopédie Critique » des éditions Textuel.

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Pasteur et militant de la gauche radicale, Stéphane Lavignotte formule pour Mediapart certaines questions dérangeantes de son dernier livre, Les religions sont-elles réactionnaires ? Il vient de paraître dans la « Petite Encyclopédie Critique » des éditions Textuel.

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Dans les années 60, une génération se politise en se mobilisant contre les guerres d'Algérie puis du Vietnam. Parmi eux, des jeunes chrétiens qui rejoindront les forces de gauche. Cinquante ans après, des jeunes musulmans manifestent dans la rue pour la Palestine. Á côté d'une minorité ultra-réactionnaire, une majorité, notamment des jeunes femmes, s'opposent aux premiers et connaît ses premières mobilisations. Mais la gauche ne sait pas leur parler et reste tétanisée par le voile qu'elles portent. La gauche va-t-elle passer à côté de la politisation de cette génération ? Comment a-t-elle à ce point perdue le contact avec les croyants progressistes, et notamment ces jeunes générations musulmanes, alors qu'elle s'est construite tout au long de son histoire avec eux : des courants du socialisme utopique du XIXe siècle aux « chrétiens de gauche » des années 70, en passant par « la main tendue » de Thorez en 36 et à la fraternité de « celui qui croyait au ciel et celui qui n'y croyait pas » pendant la Résistance ?

Illustration 1
© 

Non seulement, la gauche ne sait plus leur parler, mais elle les oblige à cacher leur foi quand ils sont – bien plus nombreux qu'on ne croit et qu'ils ne le croient eux-mêmes – membres de ses organisations. Elle ne sait plus leur parler, les oblige à se cacher car elle ne sait plus penser par elle-même la question religieuse. Elle se laisse imposer le vocabulaire et les raisonnements de la droite et de l'extrême droite, qui n'hésitent pas à dire en même temps et en toute illogique qu'il faut défendre la laïcité et l'identité chrétienne de la France contre l'Islam, et fait appel aux musulmans quand il s'agit de combattre les abécédaires de l'égalité, le mariage pour tous ou faire tomber les mairies communistes de Seine-Saint-Denis.

Qu'est-il arrivé à la gauche ? Ne s'est-elle pas laisser piégée par une vision religieuse de la religion ? Beaucoup d'intervenants dans le débat donnent l'impression qu'il existe « la-religion », vue comme une réalité monolithique, une essence hors du social. Une lecture laïque, non religieuse, signifierait au contraire appliquer à ce thème les outils intellectuels – l'histoire, la sociologie, la philosophie, l'anthropologie - qui depuis les Lumières permettent de faire sortir les réalités collectives de la « nature » pour les penser comme des faits culturels et sociaux, donc changeant suivant les lieux, les époques, les évolutions sociales, le travail des croyants dans les religions, les interactions avec le reste de la société. Parmi ces outils intellectuels, il y a les réflexions de Marx, Engels, Gramsci, Bloch qui ont décrit les religions comme des faits dialectiques – qui ne sont pas condamnés à être réactionnaires, peuvent devenir révolutionnaires – traversés par la réalité de la lutte des classes et porteurs d'imaginaires potentiellement subversifs quand les opprimés s'en emparent. La gauche doit « dé-essentialiser » sa vision de la religion : ne plus la penser comme une essence, mais un fait social.

Dans le contexte français, cela signifie aussi « dé-catholiciser » notre façon de voir les religions. S'apercevoir que bien souvent, sans s'en apercevoir, c'est en catholiques que nous pensons les faits religieux. Par exemple : s'énerver et prendre pour un signe d'arriération le fait de donner de l'importance aux rites quotidiens (habillement, nourriture...) par ce que le christianisme l'a lui-même relativisé. Autre exemple : croire que la religion est « une » comment dans l'utopie catholique, alors qu'elle est diverse à l'extrême – un catholicisme des ouvriers, un autre des patrons, celui des « pratiquants » qui manifestent contre le mariage pour tous, celui des non-pratiquants qui y sont favorables à 58%.... D'autant plus diverses que les trente dernières années ont vu les croyants se détacher massivement des grandes institutions et bricolent désormais leur foi avec les moyens qu'ils se donnent...

La gauche doit se réapproprier ses propres outils de pensée y compris pour analyser les ressorts qui poussent les religions dans un sens réactionnaire : les lectures conservatrices des textes sacrés, la croyance dans un ordre naturel du monde, la charité qui laisse entière les causes structurelles des injustices, l’institutionnalisation et la bureaucratisation des religions... L'outil historique lui permettra de découvrir comment depuis des siècles, dans le monde entier des courants croyants ont participé aux luttes pour un monde plus juste : de la guerre des paysans de Thomas Münzer au moment de la Réforme protestante aux courants de la théologie de la libération toujours aussi vivants en Amérique du Sud en passant par les courants chrétiens de gauche en France. Aujourd'hui, il y a des anarchistes chrétiens, des croyants engagés pour la planète, des théologiens et des militants féministes et LGBT musulmans, juifs, catholiques...

L'enjeu est multiple pour la gauche. Comprendre que le clivage ne passe pas entre croyants et non-croyants mais entre progressistes et réactionnaires, y compris dans les religions. Reprendre contact avec sa base sociale populaire, dans laquelle la composante croyante reste forte et se trouve renouvelée par les vagues d'immigration et ceux des enfants d'immigrés qui se sont réappropriés la foi de leurs parents. Permettre à ses militants de ne plus laisser « au placard » une part importante de leurs convictions. Outre l'enjeu d'une gauche plus inclusive, plus ouverte à la diversité des références convictionnelles qui comptent réellement pour les personnes, il s'agit aussi d'accueillir des questions qu'elle a trop tardé à se poser.

Les impasses du siècle passé à gauche ne tiennent-elles pas aussi à une vision trop uniquement matérialiste et calculante qui a fait l'impasse sur le non-utilitaire, comme la beauté, l'amour, l'imaginaire ? Á une volonté de tout contrôler, de tout transformer en instrument – y compris les personnes – qui aurait gagné à entendre les alertes de ceux qui pensent que tout ne se maîtrise pas car tout ne dépend pas de nous ? La révolution ne sera-t-elle qu'une affaire de statut de la propriété et de modèle constitutionnel, n'est-elle pas aussi révolution des imaginaires, des valeurs, des convictions profondes ?

La montée de l'islamophobie comme des courants réactionnaires dans le catholicisme et dans l'Islam rendent urgentes pour la gauche de penser différemment la question religieuse et de penser une nouvelle politique de la main tendue. Le sujet est compliqué, explosif, il prendra du temps à avancer. Raison de plus pour s'y mettre dès maintenant...

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Sommaire de Les religions sont-elles réactionnaires ? par Stéphane Lavignotte

(Textuel, collection « Petite Encyclopédie Critique », 10 septembre 2014, 144 p., 13,90 euros)

Introduction : Penser politiquement les faits religieux

Chapitre I : Pour une approche laïque du fait religieux

1. Dé-essentialiser : histoire et sociologie pour penser les religions

2. Dé-catholiciser

3. Traversé par les luttes de classe…

4. …sans s’y réduire

Chapitre II : Les religions, ça peut être réac…

1. L’impossible littéralisme

2. La recherche d’un ordre naturel

3. Charité mal ordonnée

4. Les dangers de l’institutionnalisation

Chapitre III : Les religions, ça a pu être subversif : préhistoire et histoire de la gauche ?

1. Turbulent Moyen-Âge

2. Radicalismes théo-politiques dans les réformes anglaises et allemandes au XVIIe siècle

3. Les croyants dans la genèse du socialisme

4. Dieu bénisse les Amériques

5. Quand la gauche ouvrait ses bras aux croyants…

Chapitre IV : Subversions religieuses actuelles : Une gauche croyante ?

1. Les anarchismes croyants contre les nouvelles religions du monde séculier

2. L’écologie des croyants contre le réductionnisme du capitalisme et de la rationalité occidentale dominante

3. Troubles religieux dans le genre

Conclusion : la fin du placard, vers une gauche inclusive ?

© Anne Arnaud

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Stéphane Lavignotte est pasteur et théologien, engagé dans la gauche radicale et écologiste. Il vient donc de publier Les religions sont-elles réactionnaires ? (Textuel, collection « Petite Encyclopédie Critique », 10 septembre 2014, 144 p., 13,90 euros). Il a aussi publié : Vivres égaux et différents (L’Atelier, 2008), Au-delà du lesbien et du mâle. La subversion des identités dans la théologie « queer » d’Elizabeth Stuart (Van Dierien, 2008), La décroissance est-elle souhaitable ? (Textuel, collection « Petite Encyclopédie Critique », 2010) et Jacques Ellul : l’espérance d’abord (Olivétan, 2012). Il tient un blog sur Mediapart : http://blogs.mediapart.fr/blog/stephanelavignotteorg .

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