15 minutes… c’est déjà pas mal pour une vie qui ne dura que 31 ans (1952-1983), mais 15 minutes, la nuit, au rythme de la respiration, c’est immense, à la fois pour la vie d’Alix Cléo Roubaud, asthmatique, et pour son travail de création photographique. Cette image, car il n’y en a qu’une, qui traduit non pas un instant, mais bien une durée, a été réalisée par Alix Cléo, nue, couchée sur le sol, l’appareil photo sur la poitrine, avec un temps d’obturation réglé à 15 minutes. Cette image, floue, presque abstraite, il faut aller la voir à la BNF, site François Mitterrand, jusqu’au 1er février 2015.
L’exposition présente des images étonnantes, singulières, qui témoignent d’une vraie réflexion sur ce qu’est, peut être la photographie, et d’une expérience toujours à renouveler. La photographie d’Alix Cléo Roubaud est une écriture de soi. La jeune femme écrit d’ailleurs aussi (on a d’elle son journal, ou plutôt une partie de son journal, publié au Seuil, en 1984, sous l’instigation de son époux, Jacques Roubaud).
J’ai pensé, au fil de l’exposition, à certains photographes de l’intime : Hervé Guibert (les objets, l’intérieur, les –auto-portraits, les miroirs) ou Nan Goldin (le couple, les corps au lit). J’ai pensé à la force de vie de certaines artistes, Frida Kahlo notamment, pour la violence du désespoir suscité notamment par la douleur, et le cran à se mettre en scène, se mettre en jeu…
Car, même si c’est sérieux, s’il est toujours question de la mort en filigrane, il s’agit quand même d’un jeu. Avec le réel (« encore moins que le réel et beaucoup plus loin que le réel », dit Alix Cléo Roubaud), le temps et les négatifs que l’artiste truque, trafique, met à l’épreuve… Pour la photographe, l’essentiel du travail se fait au tirage. C’est là que l’œuvre est créée. Ensuite, les négatifs sont d’ailleurs détruits : ce ne sont que des matériaux.
Dans le noir du laboratoire, l’artiste multiplie, invente les sous-expositions, sur-expositions, surimpressions, effacements, apparitions… Tout est bon pour essayer, s’essayer, y revenir… A travers des séries (la plus aboutie étant Si quelque chose noir, exposée aux Rencontres d’Arles juste après sa mort), Alix Cléo Roubaud fabrique une mémoire artificielle. Elle interroge aussi l’espace, propose de « faire de la limite d’une image son sujet ».
Pour apprécier à la fois la démarche conceptuelle de la jeune femme comme son humour, il ne faut pas manquer de voir dans l’exposition le film de Jean Eustache (avec qui elle fut très liée) Les photos d’Alix, tourné le 5 juillet 1980, dans lequel le décalage entre le commentaire et l’image montrée suscite la réflexion, le sourire et une certaine admiration pour la présence et l’aisance de l’artiste, fille de diplomate… ça ne s’oublie pas !
Pour ceux que l’exposition auraient conquis, je conseillerais enfin la lecture de l’ouvrage d’Hélène Giannecchini, Une image peut être vraie. Alix Cléo Roubaud. Editions du Seuil 2014. Avec une postface de Jacques Roubaud. L’auteur, commissaire (entre autres) de l’exposition, y raconte l’immense travail d’archivage qu’elle a fait des tirages d’Alix Cléo Roubaud parallèlement à sa découverte de la vie de l’artiste.
Les cyprès, l’asthme… On peut partir de là. Puis se lancer sur les pistes proposées par cette audacieuse jeune femme, sonder les images, explorer en miroir, nos propres chemins intérieurs, les questions de nos désirs.