
Le pouvoir de l'art est immense, c'est ce que découvrira Théodore Decker, le héros du roman de Donna Tartt: "Le Chardonneret", car l'art parle directement au coeur, ce "coeur périlleux" blotti sous la chair et les os, il suffit d'ouvrir un espace entre lui et nous dans lequel il s'infiltrera jusqu'au coeur.
Pendant 14 années, du New York des quartiers chics de la 5 ème avenue, au Végas des paumés, jusqu'à Amsterdam, nous suivrons les pérégrinations de Théo, tantôt tragiques, tantôt comiques, depuis son enfance jusqu'à l'âge d'homme. Jeune-homme à l'orée de la trentaine, il va reconstituer pour nous le passé de l'enfant perdu qu'il est depuis que sa mère est morte lorsqu'il avait treize ans, dans un terrible attentat au MET de New-York. Il écrit pour comprendre ce qui lui est arrivé et comment survivre à sa perte.
La réponse est liée à un chef-d'oeuvre de la peinture hollandaise du XVII ème siècle,"Le Chardonneret" une miniature du peintre Carel Fabritius, élève de Rembrandt et maître de Vermeer, "un objet fatidique", "Le clou sur lequel ta destinée est susceptible de s'accrocher et de se déchirer" ( p 1081).
Le destin de Théo est à la fois unique et universel, unique car il est digne des plus grands héros romanesques du XIX ème siècle, métis malicieux de David Copperfield et du Prince Mychkine, universel car au moule de l'homme pascalien, aveugle, nu et balloté dans un monde absurde, jeté cruellement dans "ce petit cachot" qu'est l'univers, il cherche le salut.
Le roman est passionnant, qui nous tient en haleine et en empathie par une narration intérieure rétrospective, autobiographie fictive volontairement elliptique, volontairement bornée au regard du héros perdu en lui-même et dans le monde, qui se heurte à son destin comme un papillon à la lumière d'une ampoule.
La première partie s'ouvre avec une citation de Camus: " L'absurde ne délivre pas, il lie" et la dernière avec une citation de Nietzsche:" L'art et rien que l'art, nous avons l'art pour ne point mourir de la vérité." "Si la vie est une catastrophe", comme le dit Théo, emprisonnés que nous sommes, à l'image du petit oiseau retenu par une chaine fine à son perchoir, l'oiseau du tableau, seul l'art sublime nos êtres, irradie d'une douce lumière qui ne nous quitte pas.
"Le Chardonneret", une fois refermé aura lui aussi distillé sa lumière réparatrice qui ne nous quittera pas, comme un baume sur nos coeurs.
Donna Tartt, Le Chardonneret, titre original "The Goldfinch", 2015, en poche édition Pocket, 1100 p., Prix Pulizer Fiction 2014.
et aussi : "Le Maître des illusions", Pocket, 1993; "Le Petit copain", Pocket, 2003.