SUDS (avatar)

SUDS

Abonné·e de Mediapart

Billet publié dans

Édition

Plein Suds

Suivi par 103 abonnés

Billet de blog 8 juillet 2024

SUDS (avatar)

SUDS

Abonné·e de Mediapart

Haratago – Le basa ahaide, le chant du don

Quartet d‘amis solides, Haratago réunit des musiciens sensibles et ingénieux qui mettent en commun leurs consistants savoirs et talents au service d’un défi que leur a proposé l’un des leurs. Rencontre avec Julen Achiary, percussionniste et chanteur de basa ahaide, tradition de chant a capella basque et sans parole que quelques rares initiés pratiquent aujourd’hui. Par Benjamin MiNiMuM.

SUDS (avatar)

SUDS

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
Haratago © © Nahia Garat

Afin de donner un souffle nouveau au basa ahaide, l’émouvant praticien Julen Achiary, s’est assuré du compagnonnage de pairs virtuoses. Avec Jordi Cassagne (contrebasse et viole de gambe), Bastien Fontanille (vielle à roue, accordéon, banjo, hautbois) et Nicolas Nageotte (clarinette, zurna, doudouk), ils emmènent ce chant de soliste hors de son cadre initial. Ils lui apportent un horizon orchestré et le rapprochent d’autres pratiques musicales qui au fond partagent des valeurs communes. 

HARATAGO - Belatxa © Petit Pois

Julen est né dans un environnement où la musique est primordiale. Sa mère est chanteuse non-professionnelle de chœurs. Son père Beñat Achiary est un illustre chanteur basque qui s’est toujours impliqué dans cette culture en y insufflant une connaissance érudite et instinctive des traditions locales ou exogènes, comme celle du jazz, des musiques contemporaines ou improvisées. 
Julen : "Ma famille a toujours entretenu des relations avec des chanteurs, musiciens, poètes ou danseurs qui venaient à la maison parfois de très loin. Si l’on me demande quand j’ai commencé à chanter, je ne sais pas répondre. Quand on est gosse, comme dans toute culture de transmission orale vivante, avant même de savoir parler, on commence à écouter, à imiter, voir ce qu'il y a autour et petit à petit à rechercher." Très jeune Julen a bénéficié de nombreux exemples et conseils de grands artistes, à commencer par ceux de son père. Julen : "Il m'a surtout donné l'amour du chant tout en me laissant faire. J'ai toujours été très libre. Il m'a transmis cette philosophie de l'accueil, de laisser l'autre venir à soi ou d’aller le chercher. Nous n’avons pas eu de rapport de maître à élève. Il m'a plutôt dit regarde et m'a ouvert des portes en me disant tu peux y aller".

Beñat Achiary et Pedro Soler | Territoires © Blogothèque

Tout au long de sa carrière Beñat Achiary a développé un rapport intime avec les mots. Julen : "C'est un littéraire qui adore la poésie et la déclame aussi. Je suis moins dans ce chemin-là, mais ce n'est pas du tout par réaction, je crois que la poésie est faite pour être dite et c'est surtout comme ça que je l'apprécie." Mais c’est aussi auprès de son père que Julen à découvert les chants sans parole du basa ahaide, point de départ de sa recherche artistique : "Basa fait référence au monde sauvage et Ahaide est le mot basque pour l’air et la mélodie. On ne connaît pas l'origine historique de ces basa chants, mais aujourd’hui et peut-être de tout temps c'était quelque chose d'intime et confidentiel qui vient de la Soule, la plus petite et la plus montagneuse des provinces du Pays Basque (13.000 habitants). Basabürüa y est une petite vallée où se trouve les Arbailles, un massif calcaire avec des gouffres et des dolmens. La région est habitée depuis la préhistoire et là quelques chanteurs, des bergers ont inventé le basa ahaide et l’ont transmis."

Ces chants plongent au plus profond de la culture souletine : "Le basa ahaide c’est une façon de voir le chant, de faire le son. C'est un répertoire qui se prête à l'improvisation mais toutes les bases ne sont pas improvisées, ce sont des lignes mélodiques. À chaque fois que quelqu'un chante un basa ahaide ancien on va les reconnaître. Dans Hartago, certains basa ahaide sont indatables et d'autres beaucoup plus récents. Il y a quelques années mon père a crée Ügatza (le gypaète barbu, sorte de rapace) et j’ai inventé Ühalteberri. C’est le nom d’une maison. Ühalte signifie vers où il y a de l’eau et Berri c’est nouveau." Les basa ahaide font souvent référence à la nature et aux oiseaux comme Belatxa (le chocard) ou Arranoa (l’aigle). D’autres portent le nom de la maison de celui qui l’a composé ou celle où il a été crée comme l’a capella Xorhoa qui est une improvisation faite à la toute fin des enregistrements de album d’Haratago et nomme le fenil, (lieu où l’on entrepose le foin) où se sont déroulées les sessions. Julen précise : "Pour l’instant Xorhoa n’est qu’une improvisation pour qu’il devienne un véritable Basa Ahaide, il faudrait que je le travaille, le réécoute, me le réapproprie et le revive en le rechantant."

Haratago : Ühalteberri

Leurs pièces, basées sur des basa ahaide poétiques sans paroles peuvent aussi inclure de la poésie textuelle. "Dans Laphane Suite, il y a une longue partie centrale d'improvisation modale autour d’un texte magnifique du grand poète basque Joxean Artze (1938-2018) qui dans les années 70 avec son frère Jesus a aussi réinventé la txalaparta." La txalaparta est un instrument constitué de madriers sur lesquels on frappe verticalement avec des makil (bâtons). Pour que cette musique existe, il faut être deux. Il est emblématique de la musique basque et ne possède pas de réel équivalent dans d’autres cultures.

Laphane suite - Haratago 2022 © Julen Achiary

Pour qu’une tradition ne se perde pas elle a souvent besoin de se réinventer. Julen : "Ça faisait très longtemps que je voulais faire quelque chose à partir du basa ahaide. Ca n'aurait pas rimé à grand chose pour moi de donner des récitals solos. Il m’aurait manqué trop de choses. Je cherchais une forme pour le partager différemment je ne savais pas trop quoi et à un moment j'ai eu le déclic et c'est  parti."

Le déclic a eu lieu lors d’une nuit soufie à la Philharmonie de Paris en 2016. "Je me rappelle que c'était un cinq novembre parce que c'était mon anniversaire".  Lors de ce collier de concerts se sont succédés les chants du mugham d’Azerbaïdjan, d’Alim Qasimov et Fergana Qasimova, les chants mystiques persans d’Homayoun Shajarian et un dhikr (cérémonie soufie) de haute Egypte. "Ces musiques ont des liens avec le Basa Ahaide qui, sans être lié à une religion est aussi, quand on chante, une expérience méditative, spirituelle. Ce rapport lié à l'expérience corporelle autant qu’inconsciente durant laquelle on sent parfois que l'on peut se laisser traverser par quelque chose de plus grand, quelque chose d'intérieur et d'extérieur, ce lien avec l'invisible. Lors de cette nuit je me suis dit que ces musiciens ont cette connaissance et alternent des moments de chant long avec des moments rythmiques, des moments d'improvisation qui sont aussi constitutifs du basa Ahaide. C'est peut-être vers cette façon de voir la modalité, de construire les pièces dans un temps assez long que je devrais me tourner." 

Pour former Haratago que l’on peut traduire par "au-delà", Julen s’est mis à la recherche de partenaires : "Je me suis demandé qui pourrait être complémentaire et m'accompagner dans cette recherche. Il fallait trouver une cohérence instrumentale, mais aussi des personnes enracinées, possédant le goût de l'improvisation, de la composition et de l'échange direct d’une musique non figée. J’ai assez directement pensé à trois musiciens et n’ai contacté personne d’autres". Haratago a démarré en 2017 avec trois amis enthousiastes qu’il connaissait depuis des années. Julen : "Avec Jordi Cassagne, on jouait dans le trio free jazz Bengalifère (avec le saxophoniste Matthieu Lebrun). Jordi a un rapport puissant à l'improvisation, au son des textures, à la liberté dans quelque chose qui rassemble. Nous nous sommes rencontrés dans le festival girondin Uzeste Musical (crée par la compagnie Lubat) qui a été fondateur pour moi. J' y ai aussi fait la connaissance de Nicolas Nageotte. Lui a eu une formation classique, c’est un ancien élève devenu partenaire musical du clarinettiste et improvisateur Jacques Di Donato. Il a aussi vécu en Turquie où il a suivi l’enseignement d’un grand maître arménien du doudouk. Avec Bastien Fontanille, on s'est rencontré dans le milieu des musiciens lorsque j'habitais à Toulouse, il jouait des musiques traditionnelles et du jazz contemporain, c’est un maître dans tout ce qui est rythmique."
Au début Julen leur a transmis le fond et la forme du basa ahaide autour duquel chacun a apporté son expérience : "Ils sont chacun très différents et apportent des éléments très complémentaires. Petit à petit le projet s’est formé et consolidé, on a dû se perfectionner trouver un chemin et creuser mais ça n’a jamais été dans la force." Ils ont aussi été à la rencontre des musiques inspiratrices sur leur territoire. "J’ai d’abord été seul en Azerbaïdjan, en 2018 pour apprendre au contact des chanteurs de mugham. Et en 2019 nous sommes partis en groupe, pour approfondir notre apprentissage et tenter des collaborations avec le chant et les instruments. Ça nous a nourri dans notre façon de construire la musique d’Haratago."

HARATAGO - Ugatza © Petit Pois

Comme tous les musiciens de pratiques non dominantes, les membres d’Haratago ne peuvent survivre avec un seul projet, c’est aussi ce qui apporte la richesse de leur association, mais à chaque fois ils doivent se recentrer. Julen explique comment cela se passe : "Le plus important c’est de se retrouver en tant que personnes. On joue toujours mieux  quand on a réussi à se reconnecter, quand cette énergie humaine circule entre nous. Après on fait le point on répète des passages plus techniques, c'est une musique codée, on a des appels, des façons de se passer la balle, mais ça ne marche pas si les retrouvailles humaines n'ont pas été faites.

Basa Ahaide, le premier album d’Haratago, est sorti début 2023, mais ce répertoire évolue régulièrement sur scène. Si les improvisations en font toujours partie, la construction de leurs concerts tient compte de certaines spécificités. Julen : "Comme on a choisi une construction de longs morceaux on arrive assez vite à des compositions de concerts qui ont une cohérence qu'on ne peut pas trop changer. La narration contenu dans un morceau de dix à quinze minutes, placée à tel endroit apporte aussi un sens à l’ensemble. Les modifications possibles sont plutôt de l'ordre de la variation des longueurs, la façon et la force avec lesquelles on les joue, les nuances, l'énergie. Le basa ahaide est une pratique vocale très exigeante tant au niveau du souffle que de l'amplitude. Des fois je peux proposer de rallonger certaines parties ou de les écourter, de réinventer un peu les choses. Pour arriver au bout du concert, il y a un agencement des morceaux pour préserver la voix. Les morceaux les plus difficiles on les met plutôt au milieu ou à la fin si on a bien réussi à préserver la voix. Le rappel peut être très libérateur et vraiment jouissif, si tout s’est bien passé, car il n’y a plus la pression."
Mais le principal est toujours le partage : "Notre musique réclame une force et une audace à la fois technique et du lâcher prise avec beaucoup d'écoute entre nous. C'est un don qu'on se fait et que l’on donne aussi à l'auditeur. Un concert avec Haratago est un moment fragile. Si on y arrive il y a une sorte d'éclosion, on se laisse traverser par quelque chose et quelque chose nous est donné, que l'on se donne et donne à l'auditeur." 

HARATAGO – Arranoa © Petit Pois

Pendant la semaine des Suds à Arles, Julen va aussi donner un stage de chant basque et de basa Ahaide, qui a vite été complet : "La qualité d'un stage vient évidemment de celui qui transmet et de la manière dont il le fait, mais aussi du groupe. Je suis curieux de rencontrer les stagiaires. J’en connais certains et d'autres pas du tout donc c’est d'abord une rencontre. Un stage de chant c'est aussi un moment où l’on se met à nu et il y a donc toujours des moments très forts pendant une transmission. On va travailler le basa ahaide mais aussi d’autres chants souletins avec des paroles et une recherche polyphonique autour des timbres, des harmoniques qui composent l’ensemble des voix afin de rentrer en résonance avec soi-même et les uns avec les autres. Il y aura une recherche technique personnelle et des pratiques collectives."

Moment Précieux avec Haratago, Cour de l’Archevêché, Mercredi 10 juillet à 19h30

Photo Haratago (de gauche à droite) : Jordi Cassagne, Bastien Fontanille Nicolas Nageotte, Julen Achiary © Nahia Garat

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.