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Toujours prêt à écouter l’autre, à chercher comment faire le pont avec lui, Djamchid s’appuie sur sa parfaite connaissance de sa musique, sa maîtrise technique et son humanité sans faille. Inlassable et subtile pédagogue, il a su susciter à ses enfants le désir de jouer, les a poussé à l’excellence, sans jamais les contraindre.
Maryam explique : « Sa philosophie, c'est de prendre du plaisir, dans la façon dont tu répètes et rabâches. De rendre l'apprentissage et la répétition suffisamment ludiques pour que ce soit plaisant. » De son côté Zabou les ouvre à d’autres musiques, suit leur formation musicale extra familiale. Maryam raconte : « Quand on avait 6 ans, elle a mis Keyvan et moi dans une école de musique. On a fait une année, on a chanté dans une chorale, mais très vite on s'est heurté au solfège. Comme on n'aimait pas ça elle nous a alors retiré. Dès qu'on est parti de Paris, elle a cherché des profs qui pouvaient nous enseigner sans solfège. »
Maryam
Maryam s’est produite sur scène en tant que chanteuse dès l’adolescence. D’abord, en remplaçant une copine qui s’était dégonflée, comme chanteuse dans un piano bar sur un répertoire soul funky des années 8O. Plus tard en duo avec la maintenant Arlésienne Guylaine Renaud puis avec Henri Agnel pour ses Cantigas de Santa Maria, au sein de la Kumpania Zelwer ou du trio Delizioso. Mais Maryam ne mise pas tout sur la musique qui est sa passion et a suivi sa vocation d’infirmière. Ce qui ne l’empêche pas d’apporter, sur scène ou sur disque, son magnifique chant persan à sa famille. Avant de voler de ses propres ailes Djamchid lui a donné deux conseils : « De mon éducation, je veux que tu retiennes 2 choses très importantes pour moi : “ Chaque jour, prend un temps pour te poser, que ce soit en méditation, en prière ou juste ne rien faire. “ Pour lui, il s’agissait de lâcher le tourbillon du mental pour redescendre. L’autre conseil c’est : “Soit généreux, partages ce que tu as“ et ces deux choses ne me quittent pas. »
Aujourd’hui Maryam s’est tournée vers la musicothérapie et prépare un répertoire inédit avec Bijan.
Bijan
Le benjamin des Chemirani a lui toujours été professionnel de la musique choisissant ses collaboration le plus souvent par amitié comme avec l’incandescent marseillais Sam Karpienia et le barde turc Ulas Ozdemir dans le trio Forabandit, le joueur de lyra crétoise Stellios Petrakis, la chanteuse iranienne Shadi Fathi, le flûtiste et chanteur occitano-espagnol Guillaume Lopez et tant d’autres. Bijan a aussi répondu à l’invitation imparable de Sting pour le disque et la tournée de If On a Winter's Night en 2009 et régulièrement monté ses propres projets, sur son nom, en duo ou en groupe, selon une logique fidèle à la philosophie humaniste de son père : « Sur le papier, le sextet Oneira (début des années 2010) avec moi aux percussions et au saz, la vielle à roue de Pierlot Bertolino), le ney d’Harris Lambrakis), la guitare acoustique un peu folk jazz de Kevin Sidikki , le chant grec de Maria Simoglou et le chant persan de Maryam, pour un ethnomusicologue c'est n'importe quoi. Mais je connaissais tout le monde et je savais qu’il y avait un truc à faire. »
Dès le départ de sa carrière Bijan a aussi été conseillé par son grand frère. Keyvan : « je me souviens, alors qu'il était vraiment jeune, de lui avoir dit : “Fais un disque, n'attends pas comme moi de penser faire un disque parfait qui n'arrivera jamais. Mets toi tout de suite dans le bain d'enregistrer en studio ! Invite des copains musiciens et fais un truc sous ton nom ! »
Keyvan
Gourmand de rencontres - avec les jazzmen Didier Lockwood ou Louis Sclavis, le Breton Erik Marchand et Titi Robin, l’Irlando-Crétois Ross Daly, la chanteuse séfarade Françoise Atlan ou l’Ensemble Constantinople-, Keyvan a souvent approché la perfection dans ses ambitieux projets transversaux, voyages à travers le temps et les géographies musicales. En 2004, Le Rythme de la Parole invite de grandes voix d’Inde du Sud, d’Iran, du Pakistan, de Bretagne, de Provence, du Mali, du Maroc, de Turquie ou du monde judéo-arabe. En 2006 pour Tahawol, il fait équipe avec le chanteur mauritanien Mohamed Ould Meydah, le troubadour et joueur de kamantché arménien Gaguik Mouradian, le danseur flamenco Andres Marin et le chanteur andalou José Valencia. En 2013, Avaz construit un pont entre l’Iran et la Bretagne avec Annie Ebrel et plus récemment Keyvan Chemirani and The Rythm of Alchemy a réuni les tablas de Prabhu Edouard, la batterie de Stéphane Galland le violoncelle de Vincent Segal, la lyra de Sokratis Sinopoulos, la clarinette basse de Julien Stella, également beat boxer, autour du trio Chemirani.
En 2021 Keyvan, Bijan Djamchid, Maryam et le flutiste Sylvain Barou ont enregistré Hâl et fin 2022, Keyvan, avec la metteuse en scène Marie-Eve Signeyrole, a crée Negar son premier opéra multiculturel à Berlin.
https://www.arte.tv/fr/videos/111909-000-A/opera-l-amour-sous-le-regime-des-mollahs-en-iran/
Keyvan a pleine conscience que la rencontre d’univers parfois éloignés est délicat : « Cette question nécessiterait trois livres, au minimum, mais il faut être conscient que chaque culture se tient et fait sens en elle même. Il faut accepter d’aller sur un autre espace qui contient des éléments de langage de chaque culture, mais qui soit ailleurs. Il faut écrire des choses et les arranger de manière à ce que ça fonctionne. C'est une sauce. »
Le Trio Chemirani a aussi accueilli d’autres artistes comme les Maliens Neba Solo ou Ballaké Sissoko, le cubain Omar Soza, l’Irlando-Crétois Ross Daly ou lesfrançais Sylvain Luc, Renaud Garcia-Fons ou Titi Robin. Pour ces musiques de croisements, Comme l’indique Keyvan : « Le casting est hyper important. Il faut choisir des gens qui ne sont pas complètement enfermés dans une seule culture ou qui ont au moins envie d'aller à la rencontre des personnes qui viennent d'autres mondes. Sinon, c'est très compliqué et pas très intéressant au bout du compte. Pour le rôle de chacun, il faut se mettre d’accord de qui est à l'origine ? Qui propose les compositions, les arrangements ? » En famille il y a une grande liberté où chacun peut apporter ce qu’il veut et tous sont d’accord pour dire comme Maryam : « Jouer entre nous, c'est absolument génial parce qu'on se connaît tellement bien. A chaque fois c'est comme un langage invisible qui coule de source. C'est un bonheur parce que c'est hyper simple. »
Comme beaucoup de musiciens avant de monter sur scène, les Chemirani ont leurs rituels. Les jours de concerts Bijan essaye de se délier les doigts en pratiquant son instrument au moins une demie heure. Maryam prend un moment de concentration : « Je fais un exercice de détente de mon psoas jusqu'à mes pieds, mes paumes de la main. Puis je fais une petite incantation à tous les grands esprits que j'aime, qui sont dans l'autre monde et leur demande de m'accompagner. » Keyvan doit prendre une douche assez chaude pour détendre ses muscles : « Depuis toujours, j’ai un problème qu'on appelle une dystonie de fonction, un truc embêtant pour les musiciens, mais. La commande nerveuse n'est pas complètement contrôlée. » Cette fameuse douche a parfois retardé son entrée sur scène et est un récurrent sujet de plaisanterie familiale. Quand tout est fait dans les temps, tous forment un cercle, bras autour des épaules, tête contre tête, tout en douceur tout en sourire.
Alors, comme avant chaque concert Djamchid lance sa seule consigne : « Musical les enfants ! »