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Début des années 1940, le flamenco, jusqu’alors cri de liberté, de rébellion, se retrouve fauché par l’arrivée du dictateur Franco. Dans les années de plomb qui s’en suivirent, le pays a vu s’installer une Espagne folklorique, de pandereta - du nom d’un petit tambourin galicien -, qui a pris le pas sur l’ensemble de la culture. Le flamenco, particulièrement chez les gitans, s’est réfugié dans le milieu familial, se réinventant dans les chants cara a cara (en vis-à-vis) à travers les fêtes domestiques et intimes. La transmission se construit en nomadisant, d’un lieu à l’autre. Mais aucune letra, aucun texte, n’évoquera les vécus de ces années 40/50.
Comme l’a expertement expliqué Corinne Frayssinet-Savy, à l’occasion du salon de musique qui s’est tenu au Museon Arlaten mardi 9 juillet dernier, il a fallu l’apparition de chanteurs comme Jose Menese, Enrique Morente et surtout Camaron de la Isla avec Paco de Lucía à la guitare, pour, profitant de l’arrivée massive de touristes et du développement des tablaos, les cabarets, mettre à mal ces « sombres silences ».
Israel Fernández est né à la fin des années 80, quelques printemps plus tard, dans une famille de gitans à Corral de Almaguer, près de Tolède, dans la Mancha. Très rapidement il s’intéressera au chant et aux disques de Camaron, au point de remporter à tous justes 11 ans son premier concours à la télévision nationale espagnole. Aujourd’hui encore, il revendique « apprendre des grands maîtres » mais surtout du cantaor iconique de la Isla de San Fernando.
Le guitariste et chroniqueur flamenco Claude Worms explique : « Sa paraphrase mélodique s’inspire nettement du style de Camarón, ce qui convient parfaitement à sa tessiture et à son timbre vocal. Cette influence est si intériorisée qu’elle le préserve de tomber dans la caricature, d’autant qu’il se réfère constamment à la merveilleuse musicalité de la première période de Camarón. » Israel Fernandez y amène une fraîcheur habitée qui nous permet d’apprécier l’équilibre qu’il sait préserver entre créativité personnelle et respect de ses attachements. Chaque cante est susceptible d’une multitude d’interprétations. Nous retrouvons là les dilemmes qu’affrontent tous les musiciens, ainsi pour le jazz, face à un répertoire canonique. Israel Fernandez apporte une couleur sonore séduisante dont la légèreté diaphane, trouée de silences, rend son cante particulièrement émouvant. « Il préfère toucher que surprendre » nous livre Corinne, décrivant « la vérité, la sincérité et le cœur » de son chant. « J’improvise à 100%, Les lignes chantées sont toujours différentes. Mais cela dépend beaucoup de ce que vous ressentez, de votre humeur aussi » confiera-t-il au quotidien El Pais.
Israel Fernandez, gitan d’aujourd’hui, écrit ses paroles, expose ses interrogations. Il fait bouger les lignes de sa propre culture lorsqu’il questionne les mariages arrangés des jeunes gitans ou l’homosexualité. Son chant est un lieu de dialogue pour sa communauté et la société.
Israel Fernandez est accompagné par le guitariste Diego del Morao, le fils du légendaire Moraíto Chico. C'est un guitariste orthodoxe, avec une identité marquée, qui s’inscrit dans une filiation andalouse et un héritage très intériorisé. « Il existe une complémentarité, une vrai complicité dans ce duo - toujours Corinne - qui leur permet de ne jamais faire la même chose, ce qui fait cette fraîcheur à chaque concert. »
Dans le chant d’Israel Fernandez, convergent l’héritage le plus pur du flamenco traditionnel, de la contemporanéité et de la transgression.
Anselme Koba