Le contexte économique actuel et certaines décisions institutionnelles ont-ils eu des répercussions sur le festival ?
Nous sommes partie prenante de cet écosystème culturel, et la contraction des financements publics qui sont consacrés à la politique culturelle nous impacte nécessairement, et de plusieurs manières.
Directement, nous avons subi une baisse de la subvention régionale. Celle-ci a été compensée, en partie par de nouveaux partenaires qui apportent la preuve, si besoin était, que les financements croisés de nos organisations sont indispensables pour assurer la stabilité et la pérennité de nos projets, mais dans le contexte inflationniste que nous connaissons, une stagnation du niveau de subvention, publique et privée correspond à une baisse relative.
Par ailleurs, tous les opérateurs n’ont pas eu cette chance ou cette capacité de pouvoir mobiliser de nouveaux subsides. Or, lorsque les producteurs, les autres diffuseurs et les artistes sont touchés par une baisse de leurs moyens, nous sommes indirectement touchés. Un spectacle qui a moins de dates de tournée se vendra plus cher, une production qui n’a pas pu boucler son budget devra se rattraper sur le coût de la cession… Et une mécanique de paupérisation de l’ensemble de la chaîne peut s’enclencher.
Conjoncturel ou sur le long terme ?
Les conséquences de ces décisions seront à évaluer dans le temps long. Dans un premier temps, la capacité de résilience du secteur jouera et permettra d’éviter l’effet spectaculaire d’un arrêt brutal. Les festivals vont supprimer une scène, ou un jour, les salles vont raccourcir leur programmation, les ateliers dans les quartiers prioritaires ou en milieu scolaire vont s’espacer, fragilisant le lien de confiance avec les partenaires de terrain.
Pour autant, la fin du consensus du financement de la culture, la « délégitimation politique » du secteur culturel, pour reprendre les mots de Vincent Guillon, co-directeur de l’Observatoire des Politiques culturelles, va avoir des répercussions multiples, sur l’ensemble de la chaîne et risque de s’inscrire dans la durée et, donc, de profiter aux promoteurs d’une offre de divertissement, au détriment des opérateurs historiques, qui agissent sur leur territoire et pour leur filière.
Nous vivons un contexte politique attaché à la culture qui aujourd’hui peut influer sur certaines décisions, de programmation par exemple. Cela a-t-il été le cas pour les Suds ?
Le festival n’a pas subi de pressions. Nos partenaires publics ont toujours respecté nos engagements, notre indépendance et notre liberté de programmer. C’est un lien de confiance qui est indispensable pour bâtir une relation dans la durée et développer l’ensemble de nos projets. La Région Sud a, par exemple, récemment souhaité faire un sujet de l’utilisation de l’écriture inclusive dans les documents de communication externe des structures que l’institution subventionne. Ça a été l’occasion d'ouvrir un débat, par l’intermédiaire d’une représentation intersyndicale, et de réaffirmer l’importance du dialogue et de la fidélité que nous nous devons à l’égard de nos engagements et valeurs respectives.
Avec ton engagement dans le réseau, as-tu rencontré d'autres exemples de situations différentes ?
En France, de fait, les atteintes à la liberté d’expression, de création et de programmation se multiplient. Ainsi dans l’Isère, il y a quelques jours, un festival s’est vu retiré sa subvention départementale parce qu’il programmait Médine. Le 30 juin dernier, les membres d’un groupuscule d’extrême droite ont brulé des livres de la médiathèque Elsa Triolet de Lanester, dans le Morbihan, revendiquant l’inspiration nazie des autodafés, parce que ces ouvrages traitaient de la question du genre et de l’éducation sexuelle. Des exemples comme ceux-ci sont nombreux et leur multiplication n’a d’autre but que d’instaurer un climat de défiance et d’insécurité poussant les programmateurs et les créateurs à s’autocensurer.
Que peuvent faire les opérateurs culturels face à tout cela ?
Le dialogue avec le politique est indispensable et doit être repensé. Sur la base d’une évaluation qualitative de nos actions, qui ne peuvent être appréciées à l’aune seule des chiffres de fréquentations ou des retombées économiques. Les opérateurs culturels sont des faiseurs de liens sur les territoires, des fabriques d’imaginaires, des facteurs d’émancipation, nous sommes des outils au service de politiques publiques d’intérêt général, dans le champ de la culture bien sûr, mais aussi du social, de l’éducation, de l’aménagement urbain…
Ensuite, à l’aune de la bataille culturelle qui a démarré outre Atlantique, il nous faut pouvoir compter sur la parole politique, comme un rempart aux atteintes à la liberté d’expression. En 2011, lorsque l’exposition « Piss Christ » est vandalisée à Avignon, le Ministre en fonction, Frédéric Mitterrand, s’exprime publiquement pour condamner cet attentat. Aujourd’hui, nous sommes en droit d’espérer une mobilisation au plus haut niveau de l’Etat pour garantir ces libertés fondamentales lorsqu’elles sont attaquées
Et, le monde culturel doit bien sûr se remettre en question. Le peu de réactions qu’ont suscité les attaques de la présidente de la Région des Pays de la Loire doit nous interpeller pour repenser notre rapport aux territoires et aux habitants. A Suds, nous avons fait le choix de renforcer nos actions tout au long de l’année, avec des projets comme le Grand Chœur, par exemple, ou, encore, de réaffirmer l’identité de notre festival. Tout l’enjeu est de construire un autre Récit, porteur d’imaginaire et d’espoir.
Propos recueillis par Anselme Koba