A 70 ans et plus, Giovanna Marini est toujours une sacré bavarde. Historienne de la musique à qui Pasolini aurait révélé, en 1963, que «la musique ne se trouve pas dans les livres», elle glane inlassablement depuis ce temps les chants populaires, rengaines de travail, hymnes de révolte, joyau précaire de la culture orale. Des Pouilles à la Vénétie, en passant par la plaine du Pô, chez les cueilleuses de riz.
«Autrefois, c'était le sud de l'Italie, autour du royaume de Naples qui était riche et le nord qui était pauvre. Quand Garibaldi a unifié le pays, les richesses ont commencé à s'enfuir vers le nord. Dans les rizières, on trouvait les mondines. C'étaient des femmes très courageuses, très fortes — à tous les sens du termes: certaines pesaient plus de 100 kg — qui luttaient. J'ai longtemps vécu avec l'une d'elles, Giovanna Bafini. C'est elle qui nous a enseigné le Bella Ciao. Tout ces chants étaient des musiques de travail. Dans les rizières, on alignait 200 femmes, qui devaient travailler parfaitement en rythme. Si l'une avançait trop vite, la suivante ne savait plus quel pied avait été fait. Les caporaux, qui supervisaient la cueillette, disposaient une ou deux femmes qui savaient chanter en bout de rangée et criaient “allez, chantez les femmes”, parce que sinon, les mondines bavardaient et n'étaient pas concentrées sur leur travail. Mais le soir, après la journée de travail, les femmes continuaient à chanter. Des chansons qui n'avaient pas de rythme cette fois, parce que dans la tradition orale, il n'y a pas de rythme, c'est la cadence des mots qui scande la chanson.»