Massive mais discrète, accoudée à la scène, elle tape du talon. En rythme. Au son du luth oriental, l'oud des Joubran. Pas au rythme de la foule, qui bat des mains à coups réguliers. Comme si ce pied connaissait plus intimement cette musique. Sur scène, le benjamin des Joubran, Adnan, ouvre grand les yeux, lui lance un grand salut de la main. Puis c'est son frère, Wissam, qui lui rend hommage. Samir, l'ainé, désannonce le morceau que le trio vient d'interpréter, suspend sa phrase, puis enchaîne: «Je voudrais vous présenter une grande dame, qui est venue nous voir: madame Leïla Chahid.» Dans la fosse du théâtre antique d'Arles, au soir du 13 juillet 2008, la déléguée générale de Palestine auprès de l'Union européenne est venue écouter ces garçons qu'elle connaît bien.
Rien de politique là-dedans, pourtant, ce n'est pas un concert de soutien, un spectacle militant, Samir Joubran s'en défend: «Je me suis longtemps demandé si les gens venaient par attachement à la cause palestinienne ou pour écouter notre musique. J'appréhendais cela». Rien de politique, ou alors au sens primordial, celui qui prend en compte la vie quotidienne. Des attachements, des amitiés, des fidélités qui se croisent au fil des voyages.
La fraîche nuit arlésienne, balayée par la tramontane, vient apaiser la journée de chaleur.
Le public descend des gradins de pierre, pour y voir de plus près. Il est tour à tour recueillis, enthousiaste, suspendu à une note. Rappels:
Un peu plus tôt, c'est un autre oriental, Saïed Shanbehzadeh, qui a subjugué l'amphithéâtre en jouant, dansant, chantant d'entêtants morceaux du sud de l'Iran, accompagné de son nayanban, une cornemuse en peau d’agneau. On avait su que les pères-la-rigueur de Téhéran ne voulaient plus entendre parler de ces danses de transe. Après les avoir vu sur scène, on comprend mieux ce qui les gène:
Il y a de la colère, pourtant, chez Saïed Shanbehzadeh. Il prévient: «J'ai fui un système pervers en Iran. Je retrouve un système en France.» Depuis sept ans, il vit en France — «depuis sept ans, je vais faire la queue à la préfecture de police pour faire renouveler ma carte de séjour. C'est ça, le statut “artistique”.» Mais il ne se plaint pas tant des tracasseries administratives que de l'«exploitation des agences artistiques»: «le temps de l'esclavage est terminé; je veux que mon fils, qui n'a que quinze ans reste un enfant. Nous allons réduire le nombre de concerts que nous donnons.» Explication: Naghib, le fils de Saïed, joue des percussions depuis neuf ans et le suit sur scène, l'accompagne. Au point d'être plus sollicité que son père. «Les gens croient qu'on en tire de l'argent. Mais tout va aux agences: 30% pour nous, 70% pour eux. Je préfère travailler dans une pizzeria plutôt que de continuer comme ça.»