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20h30 Sílvia Pérez Cruz traverse le Théâtre Antique. D’un pas décidé, mais léger, elle longe la scène, attentive à ce qui s’y déroule. Elle envoie un sourire à son bassiste qui s’y exerce. Dans une heure, elle en prendra la position centrale. Mais pour l’instant le public n’est pas encore en place et Sílvia rejoint les loges. Elle est souriante, visiblement contente de revenir chanter à Arles depuis 2013.
Peu à peu le public prend place, certaines personnes s’assurent avant toute chose de se trouver une place confortable, d’autres se promènent dans les allées périphériques où des bars ont pris place, où ce soir l’association SOS Méditerranée a installé un espace de communication. L’association, apolitique areligieuse, laïque et à but non lucratif, SOS Méditerrannée s’est lancé en 2015 lorsque le drame des réfugiés à commencer à prendre ses sales habitudes et à se répéter jusqu’à la nausée. Depuis l’accentuation des conflits en Moyen Orient, des hommes, des femmes et des enfants ont commencé à fuir par la mer leurs terres d’origine devenues inhumaines. Ont été ballottés par les vagues jusqu’à atteindre les eaux territoriales de pays dit civilisés, qui refusent de prendre en compte la dimension humanitaire de ce problème. Une attitude irresponsable qui a favorisé et multiplié, les noyades, violences et problèmes sanitaires. Avec des moyens réduits qui n’émanent que de dons privés, l’association a équipé un bateau de sauvetage, L’Aquarius, qui, en une année, a réussi à recueillir près de 14000 personnes. En affrétant un bateau dont le but est de recueillir des réfugiés en situation de détresse au milieu de la mer.
Pendant la présentation de la soirée, l’évocation de SOS Méditerrannée a été accueillie par deux vagues d’applaudissements nourris.
Il faut signaler ici la peur d’une part conséquente de la population et de la dégradation des rapports humains. Des préoccupation partagées par Sílvia Pérez Cruz au cœur de sa performance.
Mais avant de prouver sa conscience humanitaire, elle nous avait déjà emportés dans une sublime et très convaincante envolée.
Pour sa seconde performance arlésienne, Sílvia Pérez Cruz a choisi d’interpréter avec la complicité d’un quintet à cordes, un répertoire de classiques hispaniques, auxquels se mêlent ses compositions.
Elle démarre sur une composition d’Enrique Morente, figure emblématique depuis sa disparition pour les réformateurs du langage musical espagnol. Cette composition Estrella porte le prénom de la fille du cantaor, qui a elle même rendu hommage à son père sur cette même scène en juillet 2011. Si près des étoiles, il suffit de tendre le bras pour toucher la lune . sa délicate version du classique de Simon Diaz, Tonada de Luna Lleana n’a pas à rougir de la comparaison avec celle que Caetano Veloso délivra au Théâtre Antique en 2003. Et ça continue le morceau suivant est à nouveau une repise d’Enrique Morente Mexico, tiré de son disque fondateur du nouveau flamenco Omega et défendu sur le sol arlésien en 1998, troisième édition des Suds.

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Il n’est pas facile d’accepter l’idée de la non-préméditation, et pourtant nul dans l'entourage de Sílvia, n’a pensé en préparant ce concert à fouiller dans les archives du festival. Sans l’avoir calculé, Sílvia Pérez Cruz opère une plongée radicale au cœur de l’esprit des Suds,à Arles. Depuis sa création Marie-José Justamond s’est donnée pour mission parallèle de promouvoir la création hispanique à travers ses aspects les plus lumineux. Ce soir, Sílvia Pérez Cruz développe sa vision de l’histoire de la chanson de langue espagnole et ses choix rebondissent sur le vécu des festivaliers les plus fidèlement attachés à cette esthétique. Elle se permet aussi des détours dans d’autres traditions comme cette interprétation tout en souplesse du célèbre Asa Branca brésilien.
Les notes de cristal s’envolent comme des bulles, les basses veloutées réveillent nos sens. L’art vocal de Sílvia Pérez Cruz a atteint le stade où la performance vocale, pourtant hors du commun, s’efface devant l’émotion qu’elle ressent et veut nous transmettre. Au milieu de son récital, Sílvia annonce l’arrivée d’une invité inespérée.
Cette année, Sílvia Pérez Cruz a remporté deux Goyas pour l’écriture de la musique d’un film et Rocio Molina, qui vient de traverser la scène pour la rejoindre, a récolté deux Max - prix national du spectacle vivant. Rocio Molina a elle aussi entretenu une relation unique avec Les Suds. Maître de stage en 2012, artiste improvisatrice remarquée en 2013, celle qui brille aujourd’hui au panthéon des figures incontournables de la danse flamenca contemporaine n’a pas perdu de vue la magie qui peut être cueilli ici. Magie réveillée dès les premières notes de musique de cette soirée et porté à son zénith lors de la réunion des deux jeunes femmes. A ce moment-là, cette soirée s’est classée au centre des plus belles pages de l’histoire du festival. Après le départ de la chanteuse Rocio Molina, l’intensité ne baisse plus. Les jeux de cordes pincées, caressées ou grattées accueillent avec volupté les milles inventions de la chanteuse, qui préserve son intention esthétique tout en retenue, qui conjugue cris pudique et souffles voluptueux. Rayonnante et incomparablement lumineuse, Sílvia Pérez Cruz ose toutes les audaces, se frotte à tous les clichés pour mieux les plier à son art subtil. Par ses lèvres, l’hymne de Leonard Cohen Hallelujah retrouve la fragilité des poèmes fraîchement nés. Pour finir de nous étonner, elle termine son concert par un reprise soyeuse et totalement inattendue de la Lambada qui lui permet de faire danser un public qui n’en revient pas.

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Rencontre avec Nourredine Khourchid
Quel est votre définition du soufisme ?
C’est une méthode de vie. On y apprend comment se comporter avec l’autre, avec soi et avec Dieu. Cette méthodologie est complète et dirigée par l’amour. Dans le chant, cet amour est traduit par les mots qui traduisent ce ressenti. Quand ce chant est nourri par quelque chose d’inné, qui vient de l’intérieur, qui vient du coeur, il a rapidement une bonne influence sur l’autre. Il serait malhonnête de traduire le soufisme autrement que par l’amour que l’on porte à l’autre.
Quels sont les étapes et les symbole liés de la danse ?
Quand nous jouons pour une performance, nous demandons une autorisation aux saints. Lorsque les derviches dansent en tournant sur eux même, comme le fait la terre. Je fais une prière pour garder le lien avec mon Coeur et les ancêtres..
L’habit blanc du derviche est une référence au linceul. Il nous renvoie à notre finalité, à la mort. Face à ça, on devient humble. Lorsque le danseur lève une main vers le ciel et incline l’autre main face vers le sol, il rejette ce qui est terrestre pour aller vers le ciel. C’est une ascension vers Dieu. Chaque geste a un sens. Quand le derviche pose les mains à plat sur la clavicule, c’est pour indiquer qu’il est réconcilié avec Dieu.
A quand remonte cette danse ?
L’histoire de la danse remonte au premier calife (Abu Bakr 632-634) juste après la mort du prophète. Il y avait besoin de rassembler les croyants. L’ange s’est adressé au prophète : « Dis à Abu Bakr que Dieu le protège mais qu’il doit aussi protéger Dieu ». Le calife a alors pensé « mais qui suis-je pour que le prophète m’ait béni ? » puis il s’est mis à tourner.