Comme un sprinteur qui voit se rapprocher la ligne d’arrivée, il faut tout donner. Reprendre ses notes. Les confronter à ses souvenirs. Définir son propos. Trouver l’angle. Coucher les mots, lettre à lettre sur l’écran blanc, coucher mes jours et mes nuits faits de musiques et de rencontres, veiller à ce que le correcteur ne nous joue pas détours… euh des tours et aller droit au but ! Ma journée 2, celle du mardi 15, a des allures de lendemain de jours fériés (pour peu qu’il nous en reste un jour, des jours fériés). Ecrire en gardant dans un coin de la tête, 12h30, l’heure de l’apéro.

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Délaisser le concert de la chanteuse et guitariste argentine Rosa Libertad. S’interdire de milongas, zambas, valses et autres tangos pour courir le long des arènes et arriver just in time à l’Espace Van Gogh pour une rapide présentation du duo vocal féminin Leï. Leur répertoire chargé en berceuses et chansons douces tisseront un peu plus tard, de leurs voix claires, le canevas voire le matelas moelleux de notre sieste musicale du jour dans un des coins de cette cour non bitumée et ombragée.
Chanter, enchanter, réenchanter…
Les Suds, c’est le plaisir des voix, celles qui chantent comme celles qui s’élèvent et contestent. Des voix que le festival accueille. Samuel Grzybowski nous parle de son livre “Les Terroirs et la Gauche” paru aux Editions du Faubourg, il y a un peu moins d’un an.
Il participera dans l’après-midi à la table ronde au côté d’Edwy Plenel, Anne-Laure Delatte, Eva Doumbia et Eric Fourreau : Quels Récits pour réenchanter les imaginaires ? Chanter, enchanter, réenchanter… La boucle est bouclée.
« Repousser la fin du monde »
Les Suds, c’est marcher, un peu, beaucoup et courir énormément pour qui accumule concerts, interviews. C’est parfois arriver sur trois notes de musiques qui seront les dernières du show. L’enthousiasme (ou pas) du public laisse deviner le niveau d’intensité du moment qu’on a raté. Dans le cas des filles de Poplité, il est au max ! Le quintet, tout juste, descendu de scène, se partage les tâches. Noémie et Léa restent près de la scène pour partager l’émotion du concert avec le public, écouler leur EP déjà disponible et surtout diriger anciens et nouveaux fans vers le Hello Asso sur lequel elles pré-vendent “Implantação”, leur prochain album. Lise, Laura et Anaïs se dirigeant vers les loges pour l’interview prévue. « Poplité, c’est le nom de la partie à l’arrière du genou, très sensible, érogène » expliquent-elles dans un joyeux chahut où l’une démarre une phrase, l’autre la continue et la dernière la ponctue. « C’est au lendemain du Covid qu’on a commencé à chanter ensemble avec une forte attirance pour les musiques du Nordeste, une région et un pays que certaines connaissaient. Très vite, on a commencé à écrire. Nous avons ressenti le besoin, ou du moins l’envie de partir au Brésil ensemble. ». Leurs textes pointent des similarités entre les deux réalités. « On partage à Bahia et dans sa région comme par chez nous, une expérience forte du carnaval. Nos textes évoquent ce moment de joie et de transgression, mais aussi la colonisation, les questions du féminisme, de l’écologie et même plus simplement de notre rapport à la nature. On chante pour repousser la fin du monde » confie-t-elle mi-sérieuse, mi-goguenarde. Pour sûr, en cette fin d’après-midi, la fin du monde a reculé de trois cases ! Parce que les trois dernières notes, ne pouvait suffire à un live digne de ce nom, Anaïs, Laura et Lise ont accepté d’interpréter un titre en formation réduite juste pour nous ! Merci à elles !
Walid Ben Selim et Raül Refree : l'extase et même plus !
Premier Moment Précieux dans la Cour de l’Archevêché, la rencontre initiée par Stéphane Krazniewski, le directeur des Suds entre le chanteur marocain Walid Ben Selim et le musicien, compositeur et producteur espagnol Raül Refree (Rocio Márquez, Niño de Elche, Rosália, Silvia Pérez Cruz, Lina, Rodirgo Cuevas…) promettait l’extase et a offert plus encore ! Moment de grâce, instant rare, leur évidente complicité s’est emparée de la magie du chant de celui qui fut le front-man du projet N3rdistan pour la nourrir, l’accompagner, la sublimer. Le piano impressionniste du Catalan, emboîte le pas touche après touche, aux intentions et inflexions vocales de Walid Ben Selim. Quand Raül Refree saisit sa guitare au son plus abrupt car électrique et sous effet, son parti-pris fraternel vient encore en prolongement du chant. Dans l’édition arlésienne du quotidien La Provence, on pouvait lire le lendemain de la bouche de Walid Ben Selim « qu’il avait l’impression de connaître Raül Refree depuis 500 ans ! ». Personne n’en doute à observer le public littéralement sous le charme de cette rencontre.
Les chants des favelas londoniennes
Le Théâtre Antique était plein à craquer. Plus une place à la vente ! Seu Jorge séduit toujours. En première partie, Stick in the Wheel tentera bien d’occuper le terrain avec ses chansons londoniennes d’un autre temps. Le trio (voix + vocoder, dobro biscuit et batterie) n’est pas attendu, et il le sait. Sur une scène un peu trop grande, la chanteuse calée le plus souvent derrière une table sur laquelle est posée une valise, camouflant le livret de ses chansons, ne fait pas d’effort pour venir chercher le public. Pourtant ces chants des favelas londoniennes pour garder la brasil-touch de cette soirée, ne manquent pas de sarcasme, façon famille Addams. Si le lieu ne semble pas adapté, l’heure, entre chien et loup, renforce le mood sardonique du show du trio, entre folk et expérimentations vocales augmentées.
Seu Jorge, l'empereur du funk brésilien
L’heure Seu finira par arriver. Le chanteur et acteur entouré d’une dizaine de musiciens est accueilli comme il se doit. Grooves samba funk cuivrés s’enchainent sans temps mort. A l’américaine (du Nord) par des musiciens du Sud aux Suds !
Au micro, mais aussi à la guitare ou à la flûte traversière, et en pas de danse dans son habit aux soies colorées aussi ample et léger qu’un pijama, Seu Jorge, soutenu par des musiciens d’exception ravit un public qui ne demande pas mieux. Généreux, croisant titres de Baile à la Baiana, son dernier opus paru au début de l’année, succès plus anciens dont en solo seul sur scène à la guitare, Life on Mars, une des reprises de David Bowie enregistrées pour son album Life Aquatics Studio Sessions paru en 2005 , et classics de la MPB revisités. C’est d’ailleurs sur une version bodybuildée du Mas que Nada, qu’il fera, qu’ils feront une sortie remarquable devant un public qui continue de chanter et de frapper dans les mains ! Seu n’a rien laissé au hasard !
MAQX, de la vibration du roseau à celle des générateurs de sons
Quelques belles enjambées suffisent à passer du Théâtre Antique à Croisière, des musiques de Seu Jorge à celles de MAQX, du Brésil à l’Occitanie. En effet, dans l’antre des afters de ce début de semaine, MAQX a posé ses machines, ses flûtes de bois dur ou de roseau, mais aussi ses tambourins, ses cornemuses… pour nos proposer un florilège de musiques de l’Occitanie, « une Occitanie post-apocalyptique » précisaient en chœur, Henri Maquet et Maxence Camelin, en amont du show. Ce duo au nom né d’une factorisation des premières lettres du nom du premier et de celles du prénom du second est une machine à remonter le temps autant qu’à nous propulser dans le futur. « MAQX, ça sonne très 80, façon Temps X des frangins Bogdanoff » annonçait Henri Maquet, qui n‘a pas oublié les univers flashys de ces années-là, à voir leur tenue de scène empruntés aux agents de propreté des villes modernes. Mais leur ancrage musical est plus profond, plus ancien en fait et tout aussi actuel. « Les musiques traditionnelles passent le cap des années. C’est pourquoi nous pensons que même après l’apocalypse, elles rassembleront encore les danseurs » suggère son compère Maxence Camelin. Eux deux sont prêts en tout cas. « Nous sommes là pour faire danser les gens, pour faire la fête tous ensemble. Notre démarche est avant tout une recherche d’efficacité plus qu’une approche de concertiste » claironnaient-ils. Sur des airs d’antan boostés par de puissants beats, et quelques emprunts à des génériques de dessins animés des eighties, Croisière danse comme depuis la nuit des temps et avec une belle liberté ! Un album est attendu au début de l’année prochaine.
Baba Squaaly